Soixante-dix ans après sa création, laissons Israël imploser tout seul
Elles sont plus que jamais prêtes à tout. Par leur impatience et leur démesure, les institutions d’Israël accélèrent de leurs propres mains la fin du sionisme. Nous pourrions même y assister de notre vivant.
Pour la première fois dans l’histoire, elles semblent se rendre compte que sur le long terme, le sionisme est indéfendable et insoutenable. Mais cette prise de conscience ne suscite pas une véritable introspection collective susceptible d’amener la société israélienne vers une transformation sociale ; c’est plutôt le contraire qui est en train de se produire. Adoptant une approche dispersée, Israël tire dans tous les sens pour protéger, comme l’a si bien dit l’essayiste britannique Perry Anderson, « ce qu’il a fait de ce qu’il a pris ».
Les morts palestiniennes célébrées
Leur stratégie est révélatrice : les menaces doivent être contenues et les forces doivent être développées. L’épine dorsale du projet sioniste implique la mobilisation sociale des citoyens israéliens. La vue de soldats israéliens célébrant le meurtre de Palestiniens désarmés, tandis que d’autres prennent place sur des balcons improvisés pour regarder – comme dans un cinéma en plein air – des manifestants palestiniens se faire tirer dessus, montre à quel point la gangrène coloniale s’est propagée dans l’organisme social israélien.
La vue de soldats israéliens célébrant le meurtre de Palestiniens désarmés […] montre à quel point la gangrène coloniale s’est propagée dans l’organisme social israélien
Les juifs israéliens forment la colonne vertébrale de ce projet, mais les juifs de la diaspora en sont le réservoir. Partout où la dissidence juive germe, le spectre sioniste est là pour l’écraser. Tous les moyens sont casher : les tribunaux rabbiniques d’Israël pourraient bientôt disposer d’un pouvoir sans précédent sur les juifs non israéliens.
Non seulement les snipers de l’armée ont pour politique d’exécuter les manifestants palestiniens à la frontière de Gaza, mais le gouvernement israélien le justifie également. En réponse à une pétition déposée devant la Cour suprême par des groupes de défense des droits de l’homme, l’État d’Israël a déclaré que les protestations de Gaza relevaient de l’état de guerre et que les droits de l’homme ne s’appliquaient donc pas aux règles d’engagement.
Il y a quelque chose de tragique à faire appel aux tribunaux israéliens pour défendre les droits de l’homme et les droits civiques fondamentaux. Les tribunaux israéliens n’ont jamais été un rempart de la liberté. Par le passé, l’armée aurait réfuté l’ampleur du nombre de morts ; mais aujourd’hui, l’histoire officielle adapte sans remords la loi et la morale afin de donner un sens à la politique d’Israël aux yeux et aux oreilles des Israéliens.
Ce changement témoigne d’une dégradation culturelle que le monde doit reconnaître : lorsque le malfaiteur rationalise et célèbre ses crimes, l’espace de dialogue a été fermé. Israël doit être ostracisé jusqu’à ce qu’il se conforme au droit international, comme l’exige le mouvement BDS.
Effacer l’occupation
Au cours des dernières années, le gouvernement israélien a essayé de contrôler et de restreindre les dons adressés aux organisations de défense des droits de l’homme et des droits civiques dans le pays, tout en encourageant les activités militaristes dans les écoles et en effaçant toute mention de l’occupation dans les manuels d’éducation civique.
Les défenseurs des droits de l’homme sont également empêchés d’apporter leurs messages dans l’espace social israélien : fin avril, deux éminents avocats américains des droits de l’homme, Katherine Franke et Vincent Warren, ont été placés en détention à l’aéroport Ben Gourion pendant quatorze heures, interrogés puis expulsés.
Sur le front extérieur, Israël a créé de plus en plus d’institutions officielles pour lutter contre le mouvement BDS en recrutant également des législateurs américains dans cet effort. Pourtant, ces tentatives sont insignifiantes par rapport à la masse croissante d’individus et d’organisations à travers le monde rejoignant le mouvement BDS, qui remporte toujours plus de victoires d’année en année.
Et maintenant, Israël condamne aussi les poètes palestiniens. Dareen Tatour a été condamnée ce mois-ci par un tribunal de district israélien pour incitation au terrorisme suite à des publications sur les réseaux sociaux – en particulier un poème intitulé : Résiste, mon peuple, résiste-leur. Aucune autre décision n’aurait pu aller à ce point à l’encontre de l’objectif recherché, car réduire la poésie au silence, c’est déchaîner ses passions.
Il est évident que pour Israël, la menace représentée par les Palestiniens ne réside pas dans leurs actes : du point de vue sioniste, l’existence même des Palestiniens est une manifestation de guerre
Il est évident que pour Israël, la menace représentée par les Palestiniens ne réside pas dans leurs actes : du point de vue sioniste, l’existence même des Palestiniens est une manifestation de guerre. L’intensification et l’expansion de cette haine dirigée contre les Palestiniens exige le resserrement de la mobilisation israélienne. Il n’est pas inconcevable qu’à un moment donné, les Israéliens soient obligés d’exprimer leur loyauté de manière plus visuelle et plus forte, peut-être à l’image de la ministre de la Culture Miri Regev, qui a fait porter des étoiles jaunes à des enfants lors des commémorations du Jour de l’Indépendance.
Des pouvoirs exécutifs renforcés
Dans le même temps, le cercle autoritaire institutionnel se referme sur les Israéliens. Premièrement, par mesure de sécurité, le Parlement israélien est sur le point de s’assurer de pouvoir passer outre les décisions de la Cour suprême qui contestent le caractère juif ou militariste de l’État ; deuxièmement, le Premier ministre israélien peut désormais déclarer une guerre en consultant uniquement le ministre de la Défense, indépendamment de la position du cabinet. Ces deux décisions renforcent le pouvoir de l’exécutif qui, depuis des décennies, domine la Knesset sans opposition politique significative.
La farce démocratique est aujourd’hui en train de s’effondrer. Le député Dov Khenin de la Liste commune – qui inclut des Palestiniens d’Israël – a averti que Netanyahou menait le pays vers un suicide collectif semblable à celui de Massada. Néanmoins, on ne peut faire grand-chose à l’heure actuelle au sein des institutions sionistes.
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La Liste commune doit immédiatement quitter la Knesset. En dépit de ses petites victoires, sa présence continue de légitimer la vermine. Laissons la Knesset devenir un Parlement purement juif pour mieux faire écho à la dynamique étatique et sociétale en cours. Laissons Israël imploser seul.
Entretemps, les Palestiniens et les Israéliens antisionistes des deux côtés de la Ligne verte peuvent commencer à établir les bases de nouvelles institutions démocratiques. Une fois que les institutions politiques d’Israël auront implosé, des outils politiques alternatifs seront disponibles.
- Marcelo Svirsky est maître de conférences à la School for Humanities and Social Inquiry de l’Université de Wollongong, en Australie. Il étudie les sociétés colons-colonisés, en particulier Israël et la Palestine, et se concentre sur les questions de transformation sociale et de décolonisation.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des juifs ultra-orthodoxes antisionistes brûlent un drapeau israélien dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim à Jérusalem, le 2 mai 2018, lors des célébrations de la fête juive de Lag BaOmer (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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