Canada-Arabie saoudite : menace sur un énorme contrat d’armement
Avant que la crise diplomatique éclate entre Riyad et Ottawa, le gouvernement libéral de Justin Trudeau défendait comme une priorité le contrat de quinze milliards de dollars de vente d'armes à l'Arabie saoudite. Un contrat inédit pour l'industrie militaire canadienne en proie à une très forte concurrence mondiale et à la réduction des achats américains.
En mars 2018, la chaîne publique canadienne CBC avait révélé la teneur et les détails de l’accord d'armement entre le Canada et l'Arabie saoudite malgré l'accord de confidentialité signé sous la contrainte par Ottawa.
Le marché de quinze milliards de dollars a d’abord été approuvé par l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2014, mais a été finalisé et supporté par les libéraux qui ont signé l'autorisation de vente et la licence d'exportation.
Le gros de l’accord concerne la livraison de 928 véhicules blindés légers LAV 6.0, construits par la filiale canadienne du géant américain General Dynamics Land Systems (GLDS).
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Ironiquement, et puisque le contenu du contrat était secret, l'ancien Premier ministre Stephen Harper qualifiait de « camions » les véhicules qui seraient exportés vers l'Arabie saoudite. Son successeur ne fera pas mieux en évoquant des « Jeeps », en pleine guerre au Yémen et pleine répression dans la région saoudienne de Qatif.
Alors, simples véhicules de transport ou engins de mort sur roues, comment qualifier les blindés vendus aux Saoudiens ?
Même si l’entreprise mère est américaine et que le fabricant de canons est belge, le contrat est établi entre l’Arabie saoudite et une entreprise canadienne
Sur les 928 nouveaux véhicules concernés par le contrat, 357 LAV 6.0 sont configurés pour le combat lourd, 119 sont équipés d’une tourelle avec un canon de 105 millimètres et sont considérés comme des chars, 119 sont équipés d’une tourelle avec un canon de 30 mm de calibre et sont utilisés comme véhicule d’appui, 119 autres sont équipés de missiles antitanks. Le reste des véhicules est composé de blindés ambulances, blindés grues ou blindés postes de commandements.
À la décharge des Canadiens, c’est une entreprise belge, CMI, qui fournit le gros de l’armement et les tourelles avec canons. Ceci explique peut-être l’assurance avec laquelle les officiels d’Ottawa parlent de vente de véhicules. Il reste que même si l’entreprise mère est américaine et que le fabricant de canons est belge, le contrat est établi entre l’Arabie saoudite et une entreprise canadienne.
Besoin urgent de blindés
En fin de semaine dernière et après l’incident diplomatique entre les deux pays, l'Arabie saoudite avait annoncé qu'elle gèlerait tout nouvel accord commercial et d'investissement avec le Canada, expulserait l'ambassadeur canadien et rappellerait son propre émissaire à Ottawa. Le royaume entend également annuler les bourses de 15 000 étudiants saoudiens fréquentant une université au Canada.
Ces mesures ont été prises en représailles à un message du gouvernement canadien sur Twitter qui exprimait ses préoccupations concernant la situation des droits humains dans le royaume.
Certains craignent que le contrat controversé de plusieurs milliards de dollars conclu entre le Canada et l'Arabie saoudite ne soit menacé par cette querelle diplomatique.
Pourtant, cette éventualité reste très peu probable, tant le besoin en blindés et véhicules est urgent pour l’Arabie saoudite dont l’armée est empêtrée au Yémen.
Peu de données existent sur les pertes saoudiennes dans leur guerre contre les Houthis, mais elles varieraient, selon certains médias, entre 190 et 300 véhicules détruits, dont une bonne centaine de LAV. Leur remplacement est donc plus qu’urgent surtout depuis l’offensive de la coalition menée par Riyad sur la ville portuaire de Hodeida.
L’accord entre Riyad et Ottawa implique 7 000 emplois indirects au Canada
Si le contrat est annulé, ce serait une catastrophe sur le plan économique pour le Canada.
Jim Reid, un dirigeant syndical qui représente près de 500 travailleurs de l'usine de General Dynamics à London (Ontario), a fait part, mardi 7 août, de son inquiétude au quotidien canadien La Presse, une région qui a connu de nombreuses fermetures d'usines au fil des ans.
General Dynamics « est maintenant le plus grand employeur de la région de London », a-t-il souligné. Selon lui, 7 000 emplois indirects seraient soutenus par ce projet. Il espère donc que « le gouvernement saoudien continuera de respecter les contrats existants ».
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