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Assassinat de Khashoggi et humiliation de Hariri : l’œuvre d’un même homme

L’assassinat de Khashoggi fait ressurgir les souvenirs du dramatique épisode de la séquestration du Premier ministre libanais à Riyad en novembre 2017. Mais il pourrait aussi avoir des conséquences heureuses pour le Liban en accélérant la formation du gouvernement

Comme tout le monde, les Libanais de tous bords suivent avec intérêt les rebondissements dramatiques dans l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul par une équipe de tueurs spécialement envoyée de Riyad.

L’apparition du nom de Saoud al-Qahtani, conseiller « média » à la cour royale, dans le meurtre du dissident a attiré l’attention des médias et des observateurs libanais. Selon l’agence Reuters, ce proche collaborateur du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) aurait orchestré le meurtre de Khashoggi en donnant ses ordres sur Skype.

Citant une source au sein des services de renseignement turcs, l’agence de presse britannique affirme « que le responsable saoudien a demandé à son équipe de se débarrasser du journaliste. ‘’Apportez-moi la tête de ce chien’’», aurait-il dit.

Jamal Khashoggi a été assassiné mardi 2 octobre au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (AFP)

Qualifié à Beyrouth d’« exécutant des basses œuvres de MBS », Saoud al-Qahatani aurait joué un rôle de premier plan dans la démission et la séquestration du Premier ministre libanais à Riyad, début novembre 2017.

Cette affaire avait provoqué, à l’époque, un scandale planétaire. La France avait dû peser de tout son poids pour exfiltrer M. Hariri qui, de retour à Beyrouth, était revenu sur sa démission, prouvant ainsi qu’elle lui avait été arrachée contre son gré par les autorités saoudiennes.      

De mauvais traitements infligés à Hariri 

Après son retour au Liban, le Premier ministre n’a jamais évoqué en public les mauvais traitements qui lui ont été infligés pendant les deux semaines passées à Riyad. Mais selon de nombreuses sources, dont des hauts dirigeants, il aurait été battu et humilié, son passeport lui a été confisqué, avant qu’il ne soit séquestré dans une villa placée sous haute sécurité.

Le Premier ministre libanais n’a jamais évoqué en public les mauvais traitements qui lui ont été infligés pendant les deux semaines passées à Riyad. Mais selon de nombreuses sources, il aurait été battu et humilié

Près d’un an plus tard, Reuters confirme cette version des faits et écrit que l’interrogatoire qu’a subi M. Hariri était dirigé par ce même Saoud al-Qahtani, limogé samedi 19 octobre pour servir de bouc émissaire dans le meurtre de Khashoggi.

Comme pour l’assassinat du journaliste dissident, le nom de Mohammed ben Salmane avait été cité par les médias à l’époque, surtout qu’al-Qahtani était l’un de ses principaux adjoints.

Reuters rappelle d’ailleurs que dans un tweet émis cet été, al-Qahtani écrivait : « Pensez-vous que je prenne des décisions tout seul ? Je suis un employé et j’exécute fidèlement les ordres de mon seigneur le roi et de mon seigneur le prince héritier ».

Encore échaudés par l’expérience vécue par Saad Hariri l’année dernière, les dirigeants officiels libanais ont préféré garder le silence, alors que le monde entier s’indignait du sort réservé à Jamal Khashoggi.

Le président français Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane posent à côté du Premier ministre libanais Saad Hariri lors d’un dîner officiel à l’Élysée le 10 avril 2018 (palais royal saoudien/AFP)

Certes, des médias proches de l’Arabie saoudite ont défendu le royaume, même au prix d’une grossière propagande, comme ces photos truquées publiées par le quotidien al-Charq montrant Khashoggi quittant le consulat à Istanbul. 

Les médias proches de l’Iran tentent, au contraire, de véhiculer les révélations compromettantes pour l’Arabie saoudite, comme le site officiel du Hezbollah, alahednews.com, qui consacre pratiquement toutes ses unes à cette affaire.

Face aux médias très bavards, les hommes politiques se sont donc tus. Ce n’est que vingt jours après la mort de Khashoggi que Saad Hariri s’est finalement décidé à réagir. Dans une série de tweets, le Premier ministre a soutenu les démarches entreprises par Riyad.

Encore échaudés par l’expérience vécue par Saad Hariri l’année dernière, les dirigeants officiels libanais ont préféré garder le silence, alors que le monde entier s’indignait du sort réservé à Jamal Khashoggi

« Les mesures prises par le royaume d’Arabie saoudite concernant le cas du journaliste Jamal Khashoggi s’inscrivent dans un cadre qui sert la justice et doivent permettre de mettre à jour toute la vérité », a estimé Saad Hariri, ajoutant que « les directives du roi Salmane contribueraient à répondre aux campagnes malveillantes menées contre le royaume ».

Selon lui, « la stabilité, la sécurité et la solidarité avec le royaume ne doivent faire l’objet d’aucune hésitation ». À aucun moment, cependant, il ne prend la défense de MBS, dont il ne cite même pas le nom dans ses tweets.

Déblocage gouvernemental

L’ironie du sort voudrait que l’assassinat de Jamal Khashoggi dans ces circonstances ait des conséquences heureuses pour le Liban, en accélérant la formation du gouvernement.

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En effet, Saad Hariri ne parvient toujours pas à former un Cabinet, cinq mois après sa reconduction à la tête du législatif. Les analystes pensent qu’il est soumis à des pressions de la part de l’Arabie saoudite, qui exige de lui d’appuyer les revendications des Forces libanaises, une des composantes du futur gouvernement.

Empêtré dans le scandale Khashoggi et pointé du doigt par la presse internationale et des dirigeants de nombreux pays, le royaume est plus que jamais isolé. Vulnérable, il a donc besoin de la complicité des grandes puissances sinon de leur silence, pour surmonter cette crise

Mais empêtré dans le scandale Khashoggi et pointé du doigt par la presse internationale et des dirigeants de nombreux pays, le royaume est plus que jamais isolé. Vulnérable, il a donc besoin de la complicité des grandes puissances sinon de leur silence, pour surmonter cette crise.

La France, qui a entamé début octobre des démarches diplomatiques pour tenter de faciliter la formation du gouvernement libanais, s’est engouffrée dans cette brèche. Elle serait intervenue auprès de l’Arabie saoudite pour qu’elle réduise ses pressions sur M. Hariri.

Comme par enchantement, la plupart des obstacles qui retardaient la formation du gouvernement sont tombés, l’un après l’autre. Et les chances que le Liban soit enfin doté d’un gouvernement n’ont jamais été aussi sérieuses, après cinq mois de blocage.

- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth. Vous pouvez le suivre sur Twitter @khalifehpaul

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le prince héritier Mohammed ben Salmane rencontre le Premier ministre libanais Saad Hariri à Riyad avant sa séquestration en novembre 2017 (AFP).

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