Laïcité en France : « moderniser » la loi de 1905 ?
Suite à plusieurs rapports concernant l’avenir de l’islam en France et l’annonce d’un amendement prochain de la loi « laïcité » de 1905, le cocktail laïcité-islam occupe à nouveau l’actualité depuis quelques semaines.
Le débat n’est pas nouveau et les avis sur ce qu’il faut en penser divergent. Ce qui est clair, c’est que la réactivation de ce débat est souvent liée à la visibilité des citoyens et citoyennes de confession musulmane.
Paradoxalement, cette visibilité constitue une opportunité de dépoussiérer des concepts considérés, souvent à tort, comme bien compris. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut vérifier que nous parlons bien de la même chose.
La laïcité, c’est quoi ?
La laïcité est un bien commun. Elle n’est l’apanage de personne et personne ne peut se réclamer d’une quelconque autorité pour se présenter comme le représentant (officiel ou officieux) de la laïcité
La laïcité est un principe d’organisation de l’État qui repose sur un faisceau d’autres principes. C’est en somme un plat composé d’une série d’ingrédients : l’égalité, la non-discrimination, la liberté (en ce compris la liberté religieuse, qui implique la liberté de croire, de ne pas croire, de croire puis de ne plus croire, de changer de croyance, de croire mais sans pratiquer ou encore de croire et de pratiquer, y compris en public) et la non-ingérence réciproque entre les Églises et l’État (communément appelée « séparation » Églises/État).
La laïcité est un bien commun, qui n’appartient à personne et qui, par conséquent, appartient à tout le monde, sur un pied d’égalité. Elle n’est l’apanage de personne et personne ne peut se réclamer d’une quelconque autorité pour se présenter comme le représentant (officiel ou officieux) de la laïcité.
La laïcité n’est pas une conviction philosophique, mais un principe politique qui garantit la liberté d’expression de toutes les convictions philosophiques, y compris l’athéisme et/ou l’agnosticisme. La laïcité n’est donc pas un joueur, mais l’arbitre, au-dessus de la mêlée.
Quant au principe de non-ingérence réciproque, il signifie d’une part que l’État ne doit pas s’immiscer dans les questions théologiques ou se mêler du fonctionnement et de la composition des institutions religieuses, d’autre part que les institutions religieuses ne doivent pas se mêler de l’élaboration des lois civiles. C’est à l’aune de ces quelques rappels que nous pouvons à présent revenir vers l’actualité.
Quels amendements de la loi de 1905 ?
Il y a quelques jours, le quotidien L’Opinion s’est procuré le texte d’un projet de loi « en cours de finalisation » portant sur l’« adaptation » et la « modernisation » de la loi de 1905, et dont les grandes lignes sont les suivantes.
1. Ce projet prévoit l’obligation tant pour les associations cultuelles loi de 1905 que pour les associations culturelles loi de 1901 (et elles sont nombreuses au sein du tissu associatif musulman français à s’être organisées dans le cadre de cette dernière, qui régit le milieu associatif et protège la liberté d’association) de tenir une comptabilité analytique transparente, qui serait soumise à la Cour des comptes.
Celle-ci ferait nécessairement apparaître tous les dons reçus, y compris par exemple le paiement d’un imam par un pays étranger. Le non-respect de cette obligation serait puni et sanctionné d’une amende.
2. Même s’il ne semble pas y avoir de conditionnalité dans le projet, il n’est pas farfelu de penser que c’est en contrepartie que le même projet propose d’enrichir la palette de recettes stables pour ces associations. « Pour les libérer de toute influence étrangère, publique ou privée », selon le ministère de l’Intérieur.
Ainsi, le projet prévoit la possibilité de subventions spécifiques pour les bâtiments abritant une activité cultuelle et construits après 1905. Même si cette possibilité n’est pas nouvelle, l’article 19 de la loi prévoyant déjà la possibilité pour les collectivités d’allouer des sommes pour les « réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques », le projet prévoit d’étendre cette possibilité de fonds aux « rénovations énergétiques ».
Cela pose la question du critère sur la base duquel l’État procéderait à pareil examen, la tentation de séparer le bon grain (les associations cultuelles promouvant le « bon » dogme) de l’ivraie (les associations cultuelles promouvant le « mauvais » dogme) étant aussi grande que non-respectueuse du principe de laïcité
Voilà qui pourrait inciter les associations loi de 1901, qui ne bénéficient pas de cette possibilité, à passer sous le régime loi de 1905.
D’ailleurs, pour le rendre plus avantageux et donc plus attractif, le projet prévoirait la possibilité d’élargir l’objet des associations cultuelles loi de 1905, qui ne serait plus restreint au culte proprement dit mais qui s’appliquerait aussi aux activités de « soutien du culte », ce qui inclurait donc « la construction et l’entretien de bâtiments cultuels », le paiement de « la formation, des salaires et de la retraite des ministres du culte » et enfin « l’enseignement religieux ».
Plus radical encore : si le préfet constate qu’une association loi de 1901 se livre à des activités cultuelles, y compris ces activités de « soutien du culte » que le projet de loi propose de considérer comme relevant à présent de la loi de 1905, il pourrait désormais saisir le juge, qui prononcera son illégalité.
Au-delà d’un encouragement, il semble donc y avoir une contrainte adressée aux associations loi de 1901 qui ont un objet social cultuel de passer sous le régime de la loi de 1905. Cela pose la question de l’autonomie associative et du principe de non-ingérence réciproque entre les Églises et l’État.
3. En échange de la faculté de délivrer des reçus ouvrant le droit à un dégrèvement fiscal, toutes les associations cultuelles loi de 1905 seraient soumises, dès leur création puis tous les cinq ans, au contrôle du préfet chargé de « constater » leur conformité à la loi de 1905.
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Il s’agirait donc d’instaurer un véritable monitoring et de délivrer un label qualité (ou, au contraire, d’invalider le statut d’association cultuelle loi de 1905 pour les associations manquant à leurs obligations). Cela pose la question du critère sur la base duquel l’État procéderait à pareil examen, la tentation de séparer le bon grain (les associations cultuelles promouvant le « bon » dogme) de l’ivraie (les associations cultuelles promouvant le « mauvais » dogme) étant aussi grande que non-respectueuse du principe de laïcité.
4. Ce projet prévoit par ailleurs l’obligation de déclarer au ministère de l’Intérieur tout don venant de l’étranger supérieur à 10 000 € et la possibilité pour l’État de bloquer ce don pour des « motifs d’ordre public » tels que la provocation à la haine ou à la discrimination dans le lieu de culte.
Dans le même ordre d’idées, il est question de revoir la partie de la loi de 1905 relative à la « police des cultes ». Ainsi, il est question d’assortir certaines interdictions – comme celle figurant à l’article 26 de « tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte » – de sanctions.
Ce faisant, non seulement un préfet pourrait interrompre une réunion politique organisée dans un lieu de culte (comme c’est déjà le cas), mais dorénavant, la tenue même de cette réunion pourrait également valoir une condamnation pénale à ses organisateurs.
Si le blocage de dons par le pouvoir exécutif pour provocation à la haine ou à la discrimination est problématique eu égard au principe de séparation des pouvoirs, l’interdiction d’introduire la politique dans un lieu de culte est une proposition intéressante.
En revanche, il ne faudrait pas qu’elle soit à sens unique. Il n’est pas rare que ce soit l’un ou l’autre parti ou responsable politique qui, spécialement en période de campagne électorale, s’invite dans un lieu de culte pour y faire de la propagande en vue d’une (ré)élection.
Outre qu’il va à l’encontre du principe de non-ingérence réciproque entre les Églises et l’État, ce type de comportement porte préjudice à la nécessaire quiétude qui doit avoir cours dans les lieux de culte, dont la visée est le recueillement spirituel. Dès lors, il doit être rigoureusement interdit et sanctionné aussi.
Modernisation de la loi de 1905 ou instrumentalisation contre l’islam ?
On le voit, le contenu du projet d’amendement de la loi de 1905 pose question. Outre que certaines propositions entraînent un risque de violation du principe de laïcité, il est également permis de se demander pourquoi des questions légitimes de transparence ne se sont jamais posées auparavant.
Pareil projet participe d’une inégalité de traitement du culte musulman et d’une discrimination par rapport aux autres cultes et philosophies présents sur le territoire français, puisque l’État français ne prétend pas les organiser, eux
Si le contenu du projet est problématique, le contexte de sa révélation n’arrange rien. En effet, en février dernier, le président Emmanuel Macron indiquait au JDD sa volonté « d’organiser le culte musulman » et révélait les premières pistes d’un projet de « réforme de l’islam de France ».
Cela se traduirait d’une part par la création de « nouvelles instances représentatives des musulmans », d’autre part par l’élaboration d’un cadre pour le financement des lieux de culte et la collecte des dons ainsi qu’un programme de formation des imams. L’objectif étant de « réduire l’influence des pays arabes, qui empêche l’islam français d’entrer dans la modernité », selon un de ses conseillers sur le sujet.
Or, pareil projet participe d’une inégalité de traitement du culte musulman et d’une discrimination par rapport aux autres cultes et philosophies présents sur le territoire français, puisque l’État français ne prétend pas les organiser, eux (sachant qu’un projet d’ingérence qui toucherait « égalitairement » tous les cultes serait aussi contraire à la laïcité).
Certes, en l’espèce, le projet de loi est libellé en des termes généraux de nature à théoriquement concerner tous les cultes. Il reste qu’il fait suite aux déclarations de principe du président français et que, partant de là, la probabilité est grande qu’il sera surtout appliqué à – voire contre – l’islam.
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Le projet du président français paraît donc s’inscrire dans la lignée de déplorables précédents, tels que la création en 2003 du Conseil français du culte musulman (CFCM) par Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, et la mise en place en 2016 de la Fondation pour l’islam de France, « modèles » en matière d’atteinte au principe de laïcité dans son volet « non-ingérence de l’État dans la sphère religieuse », plus précisément islamique.
La déclamation selon laquelle cet amendement ne remettra en question ni l’article 1er de la loi de 1905 – consacrant la liberté de conscience – ni son article 2 – consacrant la neutralité de l’État – apparaît dès lors comme une pétition de principe qui doit susciter la vigilance de toute personne attachée au principe de laïcité
- Mehmet Saygin est titulaire d’un master en droit et d’un master en science politique de l’Université libre de Bruxelles. Il est spécialisé en droit public, en droit social, en droit du travail et en liberté religieuse. Il est conseiller juridique (et occasionnellement formateur) au sein d’une fédération d’employeurs du secteur socioculturel. Parmi ses centres d’intérêt, la laïcité, la séparation Églises/État, les droits et libertés fondamentaux et la lutte contre les discriminations. Il prend activement part à la lutte contre ces dernières et participe régulièrement à des conférences et des séminaires sur ces différents sujets. Il est l’auteur de nombreux articles et d’un livre intitulé La Laïcité dans l’ordre constitutionnel belge (2015, éditions Academia, préface d’Hervé Hasquin).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une personne brandit une banderole, le 4 février 2004, aux abords de l’Assemblée nationale à Paris, lors de la manifestation de quelque 200 à 300 personnes venues protester contre le projet de loi sur les signes religieux à l’école à l’appel du collectif « École pour tous et toutes contre les lois d’exclusion », alors que les députés débattent depuis la veille sur ce projet de loi (AFP).
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