Maroc : Macron inaugure le (conflictuel) TGV de Sarkozy
MARRAKECH, Maroc – Attendus à Tanger, le roi Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron devraient embarquer à bord du TGV marocain pour son premier voyage.
Pour l’occasion, le trafic ferroviaire a été suspendu sur la ligne ferroviaire la plus fréquentée du Maroc, celle reliant la métropole économique Casablanca à la capitale Rabat, comme l’ont constaté plusieurs usagers.
Sept ans après son lancement, et après de multiples retards, la ligne à grande vitesse marocaine Casablanca-Tanger a été baptisée « Al Boraq », du nom d’une fantastique monture ailée issue de la tradition islamique symboliquement choisie pour évoquer « la rapidité et le voyage ».
Les premiers billets doivent être mis en vente dès jeudi soir, les premiers trains circuleront au plus tôt d’ici la fin du mois, avec une fréquence de douze à quinze liaisons quotidiennes.
Cette ligne à grande vitesse, présentée comme la plus rapide d’Afrique, court jusqu’à Casablanca sur 350 km, dont 180 à 320 km/h, reliant les deux régions les plus dynamiques du royaume en 2h10 au lieu de 4h45 actuellement.
Le chantier le plus conflictuel du règne de Mohammed VI
Première étape d’un vaste réseau de lignes à grande vitesse devant relier plusieurs grandes villes du Maroc, et qui devrait s’étirer sur 1 500 kilomètres, le chantier du TGV a été l’un des plus conflictuels du règne de Mohammed VI.
Dès l’annonce du projet, un collectif d’économistes, de militants et d’acteurs associatifs s’est mobilisé pour dénoncer le coût de la ligne à grande vitesse.
Avec 23 milliards de dirhams (2,1 milliards d’euros), « le budget d’un tel projet permettrait de réaliser 25 000 écoles en zone rurale, 25 grands centres hospitaliers universitaires totalement équipés et d’une capacité globale de 22 000 lits, 16 000 centres socioculturels, bibliothèques ou maisons de quartiers, […]16 000 kilomètres de routes rurales », plaidait le collectif.
De manière générale, de nombreux Marocains s’interrogent sur l’utilité d’un tel projet au Maroc, appelant plutôt l’ONCF à mieux entretenir sa ligne classique, qui connaît d’importants dysfonctionnements : jusqu’à 80 % des trains marocains accusent des retards, et la qualité du matériel roulant laisse à désirer.
L’ONCF, de son côté, défend un investissement qu’elle considère sensé, et l’ancien ministre du Transport, Karim Ghellab, qui a assisté au lancement de la ligne à grande vitesse, regrette « l’incompréhension » autour du projet.
L’accident ferroviaire de Bouknadel, survenu le 16 octobre dernier, et dans lequel sept personnes ont trouvé la mort a relancé les critiques contre le TGV, certains pointant du doigt le manque de fonds alloués à la ligne ferroviaire classique et à son entretien par l’Office national des chemins de fer (ONCF), qui a préféré attribuer une partie importante de ses fonds à la ligne grande vitesse. Ce que l’ONCF dément.
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Lancé en grande pompe en 2011 par Mohammed VI et Nicolas Sarkozy, le TGV était avant tout un achat de « substitution » aux Rafale de Dassault Aviation que le président français avait proposés au Maroc, mais que le roi a déclinés, leur préférant des F-16 américains.
Pour ne pas froisser son partenaire français et « pour compenser l’échec des négociations [autour des avions Dassault], le Maroc a commandé une ligne TGV [impliquant] du coup les sociétés Alstom et SNCF International », expliquait Le Figaro en 2011.
Le projet a pourtant été « inauguré » en 2015, en présence de François Hollande, de Jack Lang et de Myriam El Khomri notamment. Les travaux ont représenté 67 millions de mètres cubes de remblais et de déblais, avec la construction de douze viaducs (le plus long de 3,5 km), 169 pont-routes ou pont-rails et 117 ouvrages hydrauliques.
Le chantier a été financé à 51 % par la France via différents prêts, 28 % par l’État marocain et à 21 % par différents fonds arabes (Arabie saoudite, Koweït, Émirats arabes Unis, etc...)
« La première fois, on a célébré sa naissance. Aujourd’hui, ses premiers pas », s’amuse un analyste politique marocain contacté par Middle East Eye, qui voit en cette double inauguration, durant le contexte actuel, un « geste de com’ ». « Le roi essaie de montrer qu’il est actif, qu’il travaille, au moment où tout le monde critique son passéisme et ses absences répétées. »
D’ici là, la « vitrine du Maroc » se retrouve sans vitrine internet adéquate. Il n’y aura pas de site tgv.ma, car – l’Office marocain des chemins de fer ne l’ayant appris qu’après coup – le sigle « TGV » est une propriété intellectuelle de la SNCF, qui s’est empressée, selon nos sources, d’acquérir le nom de domaine pour empêcher l’ONCF de se le procurer.
Pas de site lgv.ma non plus, un plaisantin s’étant amusé à acheter le nom de domaine, devançant l’ONCF, qui a dû se contenter du portail internet tgvmaroc.ma.
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