Pompeo aurait remis à Riyad un plan pour protéger MBS des retombées de l’affaire Khashoggi
Le roi et le prince héritier d’Arabie saoudite tentent de se protéger du scandale de l’assassinat de Jamal Khashoggi en suivant une feuille de route établie par le secrétaire d’État américain, a déclaré à Middle East Eye une source saoudienne haut placée.
Mike Pompeo a présenté ce plan en personne lors d’une réunion avec le roi Salmane et son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane, le mois dernier à Riyad, a déclaré la source, qui est au fait des discussions de Pompeo avec les dirigeants saoudiens.
Le plan en question comprend une option consistant à mettre l’assassinat du journaliste saoudien sur le dos d’un membre innocent de la famille régnante des al-Saoud afin de préserver ceux qui se trouvent au sommet, a précisé la source à MEE.
Le plan en question comprend une option consistant à mettre l’assassinat du journaliste saoudien sur le dos d’un membre innocent de la famille régnante des al-Saoud afin de préserver ceux qui se trouvent au sommet
Ce bouc émissaire n’a pas encore été désigné, a ajouté la source, et les dirigeants saoudiens réservent l’utilisation de ce plan au cas où la pression exercée sur Mohammed ben Salmane, également connu sous le nom de MBS, deviendrait trop grande.
« Nous ne serions pas surpris si cela se produisait », a confié la source à MEE.
Le département d’État américain a démenti les allégations de notre source saoudienne et les a qualifiées de « fausse image de la mission diplomatique du secrétaire en Arabie saoudite ».
« Nous avons évoqué publiquement nos objectifs : faire comprendre aux dirigeants saoudiens le sérieux avec lequel le gouvernement des États-Unis se consacre à apporter une attention immédiate et totale à l’assassinat de Jamal Khashoggi », a déclaré à MEE Heather Nauert, porte-parole du département d’État.
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Selon la source, Pompeo a exposé son plan le 16 octobre, lorsqu’il s’est rendu à Riyad pour rencontrer le roi Salmane et MBS, alors que l’attention internationale sur l’affaire Khashoggi s’intensifiait.
La visite de Pompeo dans le royaume du Golfe est survenue deux semaines jour pour jour après que Khashoggi, journaliste et détracteur du prince héritier, a été assassiné à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre.
Quelques jours seulement avant l’arrivée de Pompeo à Riyad, MEE avait annoncé que des responsables turcs avaient découvert que Khashoggi avait été tué et démembré quelques minutes après son entrée au consulat pour se procurer les papiers dont il avait besoin pour se remarier.
Pompeo envoyé à Riyad pour conseiller les dirigeants saoudiens
Au moment du voyage de Pompeo à Riyad, les hauts responsables américains – y compris le président américain Donald Trump – avaient très peu évoqué ce qui était arrivé à Khashoggi, qui s’était exilé aux États-Unis au moment de sa disparition.
La rencontre entre Pompeo et MBS à Riyad a fait tiquer, alors que des groupes de défense des droits de l’homme du monde entier exhortaient Washington à exiger des réponses de ses alliés saoudiens.
Au lendemain de cette rencontre très médiatisée, Pompeo a déclaré aux journalistes que les Saoudiens ne voulaient pas discuter des faits dans l’affaire Khashoggi, et lui non plus.
« Je ne veux parler d’aucun des faits », a déclaré Pompeo lors de son voyage en Turquie. « Ils ne le désiraient pas non plus. »
La source saoudienne a déclaré à MEE que Pompeo s’était rendu à Riyad pour conseiller les Saoudiens sur la manière de gérer les retombées de l’affaire Khashoggi.
Après les rencontres, toutefois, Pompeo a déclaré qu’il avait conseillé aux Saoudiens de mener une enquête transparente.
« Nous avons eu des conversations directes et franches. J’ai souligné l’importance de mener une enquête approfondie, transparente et dans un délai raisonnable, et les dirigeants saoudiens se sont engagés à satisfaire précisément à cette exigence », a-t-il déclaré.
« De ces réunions, je retiens qu’il y a un engagement sérieux à déterminer tous les faits et à assurer l’attribution des responsabilités, y compris pour les hauts dirigeants et les hauts responsables en Arabie saoudite. »
L’administration Trump devrait faire une déclaration officielle ce mardi au sujet des conclusions actuelles des États-Unis sur l’assassinat de Khashoggi.
À la fin de la semaine dernière, la CIA a annoncé qu’elle avait conclu que MBS avait ordonné l’assassinat du journaliste, ont rapporté plusieurs médias américains ; néanmoins, Trump a ensuite mis en doute les conclusions de l’agence de renseignement américaine.
Protéger MBS contre toute accusation
Le plan de Pompeo pour les dirigeants saoudiens comprenait plusieurs mesures, a affirmé la source saoudienne.
Lorsque Pompeo a déclaré le 18 octobre que l’Arabie saoudite devait se voir accorder « encore quelques jours » pour achever son enquête, il leur donnait du temps pour commencer à mettre en œuvre son plan, a indiqué la source.
« Ils [les dirigeants saoudiens] ont fait tout ce qu’il [Pompeo] voulait exécuter »
- Une source saoudienne
« Ils [les dirigeants saoudiens] ont fait tout ce qu’il voulait exécuter », a déclaré la source.
Depuis la visite de Pompeo à Riyad, les Saoudiens ont autorisé des enquêteurs turcs à entrer dans leur consulat à Istanbul, proposé de coordonner une enquête conjointe turco-saoudienne, envoyé une équipe à Istanbul afin de poursuivre l’enquête et arrêté au moins 21 suspects.
La dernière mesure, à savoir imputer le crime à un membre de la famille royale, pourrait être prise si les arrestations de ces suspects saoudiens ne contribuaient pas à alléger la pression sur Riyad, a précisé la source.
Dans le même temps, MBS et le roi Salmane ont effectué une tournée en Arabie saoudite, participé à une conférence importante d’investisseurs à Riyad et rencontré les fils du journaliste assassiné.
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Jusqu’à présent, l’enquête officielle de Riyad sur l’assassinat de Khashoggi a impliqué deux des plus proches alliés de Mohammed ben Salmane, le chef adjoint des services de renseignement Ahmed al-Assiri et le conseiller de haut rang Saoud al-Qahtani.
Les deux hommes ont été relevés de leurs fonctions. Néanmoins, selon la source saoudienne, ils devraient finalement retrouver des postes d’influence en Arabie saoudite.
MEE croit comprendre que ni Assiri, ni Qahtani ne font partie des cinq suspects saoudiens qui, selon le procureur général du pays, risquent la peine de mort s’ils sont déclarés coupables d’avoir « commandité et perpétré » l’assassinat.
Jeudi dernier, le procureur saoudien a déclaré que le chef de l’équipe saoudienne déployée en Turquie pour tuer Khashoggi – le garde du corps de MBS, Maher Abdulaziz Mutreb, est fortement suspecté dans ce rôle – avait lui-même pris la décision de faire assassiner le journaliste.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré que l’ordre d’assassiner Khashoggi venait des « plus hautes sphères » saoudiennes. Cependant, Erdoğan a déclaré dans une tribune pour le Washington Post qu’il ne croyait pas à une implication du roi Salmane d’Arabie saoudite dans l’assassinat.
Le royaume maintient toutefois que MBS n’avait aucune connaissance du complot d’assassinat, ni de la tentative de dissimulation qui a suivi.
Sept membres de l’escadron de la mort envoyé pour tuer Khashoggi faisaient partie du service de sécurité personnel de Mohammed ben Salmane, a précédemment rapporté MEE.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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