Pourquoi les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite tendent la main à Assad
La semaine dernière, les Émirats arabes unis (EAU) ont annoncé qu’ils étaient en train de négocier la réouverture de leur ambassade à Damas et la restauration complète de leurs liens avec la Syrie.
Suite à la réouverture du poste-frontière de Nassib entre la Jordanie et la Syrie, pour la première fois depuis le début du conflit, la Syrie dispose désormais d’une route de transit reliant la Turquie à la Jordanie.
Au même moment, les Israéliens ont également remis à Damas le passage frontalier de Quneitra, sur le plateau du Golan occupé, après quatre ans de fermeture.
Il semblerait donc que toutes les routes mènent à Damas. Mais pas seulement : nous assistons à une réorientation discrète – mais stratégique – de la politique des principaux acteurs arabes de la région en faveur de l’établissement d’une relation de travail avec le président syrien Bachar al-Assad.
Par exemple, selon les informations du média pro-syrien Al-Masdar, l’Arabie saoudite et la Syrie travaillent en coulisses via les EAU pour parvenir à une réconciliation politique.
Un tournant ironique
Ironie du sort, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, Bahreïn et le Koweït ont soudain pris conscience de la nécessité de renforcer la Syrie et de devenir un contrepoids au contrôle croissant exercé par l’Iran et la Turquie sur les affaires du Levant.
Tandis que le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et la survie politique du prince héritier Mohammed ben Salmane font la une des journaux depuis plusieurs semaines, Damas, discrètement mais stratégiquement, a regagné le terrain perdu avec les principaux pays arabes.
Damas est aujourd’hui en train de se repositionner discrètement comme l’arbitre principal dans le bras de fer pour le contrôle des points de passage stratégiques du Moyen-Orient
Alors qu’il y a sept ans, des personnalités telles que Recep Tayyip Erdoğan, à l’époque Premier ministre de la Turquie, ou encore l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak prévoyaient la fin rapide du règne d’Assad, Damas est aujourd’hui en train de se repositionner discrètement comme l’arbitre principal dans le bras de fer pour le contrôle des points de passage stratégiques du Moyen-Orient.
Les récentes déclarations de responsables émiratis, bahreïnis et égyptiens suggèrent une volonté de faire de la Syrie « un problème arabe » en vue de l’éloigner de la Turquie et de l’Iran.
L’idée est la suivante : ce n’est qu’en coopérant avec Damas que l’influence de Téhéran et d’Ankara pourra être contrebalancée. La politique qui consiste, depuis sept ans, à isoler Assad et la Syrie n’a pas aidé la cause arabe et a permis aux Turcs et aux Iraniens d’exercer une influence plus grande en Syrie.
Le retour d’Assad
En septembre dernier, l’échange extrêmement chaleureux entre les ministres des Affaires étrangères syrien et bahreïni lors de l’Assemblée générale des Nations unies a suscité un grand battage médiatique. Après les accolades publiques, le ministre des Affaires étrangères bahreïni a qualifié son homologue syrien de « frère » et déclaré que les pays arabes étaient prêts à collaborer avec la Syrie.
Il y a quelques mois, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Anwar Gargash, a déclaré dans une interview qu’exclure la Syrie de la Ligue arabe avait été une erreur et que le monde arabe devait immédiatement collaborer avec Damas.
Début octobre, Assad a également donné sa première interview à un journal du Golfe depuis le début du conflit. Dans le journal koweïtien Al-Shahed, le président syrien a déclaré que la Syrie avait atteint un nouveau niveau d’entente avec les pays du Golfe et les pays arabes qui y étaient précédemment opposés.
L’interview d’Assad faisait suite aux paroles bienveillantes d’un grand écrivain koweïtien qui évoquait dans une tribune la nécessité de soutenir les efforts déployés par le gouvernement syrien pour faire revenir les réfugiés dans le pays.
Les appels du pied des Saoudiens et des Émiratis à Assad ont deux objectifs : réduire l’empreinte iranienne en Syrie et s’assurer que le Qatar et la Turquie ne prennent pas l’avantage sur eux dans l’ordre hiérarchique des relations avec Damas
Oman, pour sa part, a maintenu des liens étroits avec Damas tout au long de la guerre et a récemment signé d’importants accords économiques.
Un ancien diplomate indien qui a servi dans quasiment tous les grands pays arabes et qui entretient de bonnes relations avec l’Arabie saoudite a expliqué comment le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane avait tendu la main au président syrien au cours de plusieurs entretiens, en plus d’appeler publiquement à reconnaître la victoire d’Assad et à accepter son régime en échange de l’expulsion de l’Iran.
On peut y voir un indice du rôle futur de Damas dans la tourmente provoquée par l’affaire Khashoggi. Les appels du pied des Saoudiens et des Émiratis à Assad ont deux objectifs : réduire l’empreinte iranienne en Syrie et s’assurer que le Qatar et la Turquie ne prennent pas l’avantage sur eux dans l’ordre hiérarchique des relations avec Damas.
La rivalité du Golfe pour le contrôle de divers champs de bataille déborde également sur la question de l’implication d’acteurs non-arabes dans des capitales arabes clés telles que Damas, Le Caire et Bagdad. Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite abhorrent le fait que la Turquie et l’Iran soient actuellement les leaders régionaux au Moyen-Orient.
Géopolitique ou idéologique ?
La dispute entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d’une part, et le Qatar d’autre part implique désormais une Turquie en pleine renaissance qui cherche à tirer profit de sa toute nouvelle influence auprès de l’Iran et de la Russie. Dans le même temps, les Saoudiens ont fait savoir qu’ils souhaitaient que l’armée turque quitte le Qatar.
L’axe EAU-Égypte est également à l’œuvre contre l’axe Turquie-Qatar, et ce à la fois en Libye et à Gaza. Les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn ont tous qualifié publiquement les Syriens de « frères arabes » et affirmé la nécessité pour les pays non-arabes de la région, la Turquie et l’Iran, de rester en dehors de leurs affaires. Cela a fait de Damas leur nouvel allié potentiel.
En parallèle, le récent accord sur l’énergie entre le Qatar et la Russie est considéré par Ryad et Abou Dabi comme une menace pour les intérêts économiques émiratis et saoudiens, dans la mesure où certains signes laissent entendre que Doha serait heureux d’accepter Assad en contrepartie d’accords de défense avec la Russie et d’une coopération énergétique allant de la Méditerranée à la mer Noire.
Quant aux pays disposant des plus grandes armées du monde arabe, à savoir l’Égypte et l’Algérie, ils ont toujours soutenu Assad et ont récemment apporté un soutien public militaire et économique à Damas.
Le retour d’Assad et de Damas au bercail arabe est imminent
En bref, qu’il s’agisse pour les Saoudiens et les EAU de la nécessité géopolitique d’accepter Assad ou d’objectifs idéologiques visant à écarter l’Iran, la Turquie et le Qatar, tout cela fait le jeu de la Syrie.
La situation n’est pas différente des rapprochements précédents entre Bachar al-Assad e l’ancien roi saoudien Abdallah suite à l’assassinat de Rafic Hariri au Liban en 2005. Hier comme aujourd’hui, les Saoudiens refoulent leur hostilité envers Damas pour combattre l’influence iranienne et turque au Levant.
Et pour couronner le tout, le pays le plus hostile de la région, la Jordanie, qui abritait jusqu’au début de cette année le centre de commandement des opérations secrètes ayant apporté un soutien vital aux rebelles anti-Assad, a rouvert son point de passage frontalier avec la Syrie, Nassib, signalant un changement d’humeur à Amman. Le retour d’Assad et de Damas au bercail arabe est imminent.
- Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est également chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il est aussi un conférencier régulier de plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient et au Royaume-Uni.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : chaise vide de la République arabe syrienne lors du 29e sommet de la Ligue arabe, dans le centre Ithra de Dhahran, dans l’est de l’Arabie saoudite, le 15 avril 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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