Report de la présidentielle en Algérie : les dessous d'un plan avorté
ALGER – Un accord aurait été trouvé entre le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), Abderrezak Makri, et la présidence algérienne pour reporter, d’une année, la prochaine élection présidentielle d’avril 2019. Mais cet accord aurait été saboté par le haut commandement de l’armée, l’ex-DRS (services secrets officiellement dissous en 2016) et des courants politiques, notamment des islamistes.
C’est le quotidien El Khabar qui fait cette révélation, ce jeudi 17 janvier, en publiant des extraits d’un document interne au MSP, rédigé par Makri.
Ce document devait expliquer aux membres du conseil consultatif du parti les tenants et les aboutissants de l’initiative du président du MSP qui appelait au report de la présidentielle, prévue en avril 2019.
Pour l'instant, l’élection n’enregistre aucune candidature sérieuse à moins de trois mois de l’échéance.
Selon une partie de l'opposition, la présidentielle ne servira qu’à maintenir l’actuel président en poste. Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, affaibli par la maladie, entamerait donc son cinquième mandat et bouclerait ses vingt ans de règne.
L’appel du MSP pour le report de la présidentielle
Fin novembre 2018, Abderrezak Makri a lancé un appel pour le report de la présidentielle afin que le pouvoir se donne le temps nécessaire pour trouver un consensus.
Pour le leader islamiste, le cinquième mandat de Bouteflika est une option qui ne fait plus l’unanimité au sein du système, en raison de l’état de santé du chef de l’État. Entre-temps, il propose aussi de mener des réformes politiques et économiques.
Traduction : « Jour après jour, l’horizon politique se ferme davantage et il est clair qu’il n’y aura pas de cinquième mandat. Les forces du pouvoir n’arrivent pas à s’entendre sur un candidat du consensus, tandis que l’opposition ne peut pas entrer dans la course, en l’absence de visibilité et de garanties […] Venez au dialogue et au consensus national. Si la solution et le consensus nécessitent plus de temps, alors reportons l’élection présidentielle pour une période qui sera déterminée d’une manière consensuelle. Aller vers ces élections, c’est aller dans l’inconnu »
Dans son document rendu public par El Khabar, Abderrezak Makri révèle que son initiative a reçu un écho positif à la présidence de la République. Il explique avoir rencontré à plusieurs reprises le frère et conseiller du président, Saïd Bouteflika. Ce dernier lui aurait confié son inquiétude au regard de « la difficulté de faire le consensus pour choisir entre ceux qui convoitent le poste de président ».
Le frère du chef de l’État a également avancé au président du MSP une option qui circulait dans certains cercles du pouvoir : amender la Constitution pour créer un mandat de sept ans (au lieu de cinq actuellement) et éviter d’aller vers une présidentielle.
Makri croit aussi que la crainte de voir le pouvoir passer subitement entre les mains d’autres clans du système inquièterait les proches de Bouteflika
Un cinquième mandat acté aurait été « très gênant pour la famille du président à cause de la détérioration de la santé du chef de l’État », écrit Makri dans ce document interne.
En plus de cette « gêne » face à l’opinion algérienne et internationale, Makri croit aussi que la crainte de voir le pouvoir passer subitement entre les mains d’autres clans du système inquièterait les proches de Bouteflika.
Par ailleurs, le leader du MSP estime qu’Abdelaziz Bouteflika aura du mal à accepter de transférer ses larges pouvoirs, qu’il s’était lui-même octroyés, à un autre président.
Les engagements de la présidence
Il poursuit en indiquant que la présidence de la République a accédé à sa demande après plusieurs rencontres. Le pouvoir aurait accepté l’idée du report « dans le cadre d’un consensus et de la réalisation des réformes ».
Les autorités se seraient ensuite engagées à entamer un « dialogue inclusif » notamment avec les leaders de l’opposition, comme Ali Benflis, et à promulguer une loi électorale qui éloigne le ministère de l’Intérieur de l’organisation des élections.
Makri avoue ensuite que les cadres de son parti lui auraient conseillé de rester prudent au cas où le pouvoir viendrait à renier ses engagements. Il a donc refusé de participer aux rencontres publiques des partis pro-pouvoir (FLN, RND, TAJ, MPA) qui commençaient, fin 2018, à insinuer l’idée d’une prolongation du mandat, donc automatiquement, du report des élections.
Mais, révèle le leader du MSP, dès que des indices du succès de sa démarche ont commencé à apparaître, il a subi plusieurs attaques directes et indirectes qui ont fini par pousser la présidence à renoncer au report de l’élection.
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Selon lui, le premier « coup » serait venu de son ex-camarade au MSP, Amar Ghoul, ancien ministre et président du Tajamou Amal el-Jazaer (TAJ, Rassemblement pour l’espoir de l’Algérie).
Au lendemain de l’appel de Makri, Ghoul, réputé proche de certains cercles du pouvoir, a en effet proposé la tenue d’une « conférence nationale » sous l’égide d’Abdelaziz Bouteflika « pour la mise en place d’une Algérie nouvelle, dotée d’institutions fortes et modernes ».
Dans ses déclarations, Amar Ghoul insinuait que la présidentielle était « secondaire ». Le microcosme politique et médiatique algérois n’en tire alors qu’une conclusion : le pouvoir veut reporter la présidentielle. Makri se sent doublé par Ghoul, dont l’initiative n’a selon lui comme objectif que de décrédibiliser celle du MSP.
Dans le document, le président du MSP cite ensuite la « résistance » à l’option du report menée par le Premier ministre Ahmed Ouyahia qui avait insisté sur la tenue des élections à la date prévue.
D’autres courants œuvrent, selon Makri, à saboter son initiative. Parmi eux : ce qu’il qualifie d’« État profond », ou plus précisément « les réseaux des anciens services secrets », qui auraient mobilisé médias et certains partis pour attaquer l’idée du report de l’élection. Il cite même le mouvement Mouwatana (citoyenneté) composé de différents partis d’opposition et de personnalités militant contre le cinquième mandat.
D’ailleurs, Makri et Soufiane Djilali, président de Jil Jadid (Nouvelle génération) et membre de Mouwatana, mi-décembre, ont eu des échanges virulents. « À l’approche de la convocation du corps électoral pour les élections présidentielles, des manœuvres aussi bruyantes qu’insolites sont initiées par les spécialistes de la perfidie et du double langage », a dénoncé l’opposant Sofiane Djilali.
Makri reconnaît aussi le poids des déclarations du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah qui a mis en garde contre toute atteinte à la Constitution
« Ceux qui s’accrochent à la démocratie, tout en connaissant le danger de la fraude électorale et l’inutilité de la course au pouvoir alors que l’équilibre des pouvoirs est en faveur de la fraude, comprennent que le pouvoir a besoin de l’opposition durant cette période pour reporter les élections en échange de réformes politiques et de garanties pour limiter la fraude et peut-être obtenir un consensus national qui sauvera le pays », a répondu Makri.
Ce dernier accuse même, dans le document destiné aux cadres du parti, des islamistes d’autres partis – et même de sa propre formation, le MSP – d’avoir fait des déclarations et des confidences afin de saboter son initiative.
Mais il reconnaît aussi le poids des déclarations du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah qui a, à plusieurs reprises en décembre et début janvier, mis en garde contre toute atteinte à la Constitution, délivrant le message qu’il déconseillait tout report de la présidentielle ou toute prolongation de mandat.
Les dividendes du MSP
Sans donner de date précise, Abderrezak Makri indique que la présidence de la République lui a notifié officiellement que le report de la présidentielle était désormais impossible faute de consensus entre les composantes du pouvoir pour amender la Constitution.
Petite compensation : les autorités ont promis d’inclure dans le programme du candidat les réformes qu’elles s’étaient engagées à mener avec le MSP.
Qu’aurait réellement à gagner le MSP ? « Réaliser les objectifs du parti : une majorité écrasante au Parlement et une participation au pouvoir comme Ennahdha en Tunisie ou le PJD au Maroc », conclut-il.
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