Libye : à Benghazi, les femmes s'émancipent avec des haltères
BENGHAZI, Libye – Tous les lundis, mercredis et samedis matins, le complexe « Sport Olympique » change d’ambiance. Dans la salle de sport et les vestiaires, les hommes ont disparu. Une dame âgée ferme la porte et contrôle les entrées : l’espace de deux heures, seules les femmes sont autorisées. On retire le voile, on se salue avec plaisir et on rigole. Il n’est pourtant pas question de détente. Ici, on travaille ses muscles sous les ordres de Hanin al-Barhouni, 28 ans.
Difficile d’imaginer que la jeune femme, du haut de son mètre 70 et de ses 56 kilos, peut soulever 120 kilos de fonte en épaulé-jeté. Difficile également de l’imaginer dans son legging panthère et son justaucorps échancré, entraîner des femmes après avoir été la première Benghaziote à prendre des cours d’haltérophilie il y a quatre ans. Et pourtant, « coach Hanin » s’est bâti une certaine réputation dans la seconde ville du pays.
Après s’être montrée discrète un temps sur sa pratique de l’haltérophilie, Hanin al-Barhouni a choisi, en 2016, de sortir de l’ombre. Sur les réseaux sociaux, elle explique son sport et surtout... recrute des femmes.
« Au début, elles étaient un peu inquiètes. Elles pensaient qu’elles finiraient par avoir la carrure d’un homme. Et puis finalement, elles ont compris que c’était bon pour leur corps », explique Hanin à Middle East Eye.
En cas de doute, les femmes pourront toujours être convaincues en regardant leur nouvelle coach : longiligne, maquillée avec soin et manucure parfaite, Hanin al-Barhouni est bien loin du stéréotype de la sportive garçon manqué.
« Au début, les femmes étaient un peu inquiètes. Elles pensaient qu’elles finiraient par avoir la carrure d’un homme »
- Hanin al-Barhouni, coach en haltérophilie
Aujourd’hui devenue une petite star locale, elle n’est plus la seule coach sportive en haltérophilie à Benghazi. Surtout, elle entraîne une quarantaine de femmes, à raison de deux heures, trois fois par semaine, à défaut d’avoir pu obtenir plus dans les salles de sport de la ville, traditionnellement réservées aux hommes.
Imen, une des femmes coachées par Hanin, regrette d’ailleurs auprès de MEE : « La salle de gym ne nous réserve que six heures par semaine et c’est le matin. Les femmes qui travaillent ne peuvent pas venir alors que beaucoup voudraient. Le nombre augmente peu à peu. »
Le poids de la tradition
Myriam a choisi ce sport, découvert grâce à Facebook, pour perdre du poids. Très fière de ses huit kilos en moins, elle se montre reconnaissante envers sa coach : « Je n’aurais jamais pensé avant pouvoir porter ces poids. Coach Hanin m’a donné confiance en moi. »
Hana, elle, a débuté il y a six mois : « J’ai cherché pendant des années un lieu pour pratiquer l’haltérophilie. C’était mon rêve. Je veux être en forme et faire attention à mes postures à cause de mon travail, qui use mon dos. »
La dentiste de profession note pour MEE que le sport n’est pas une activité répandue en Libye, et plus particulièrement pour les femmes : « Elles sont occupées toute la journée avec leurs enfants, la maison... Certains maris doivent leur interdire de venir. La tradition nous empêche encore de faire beaucoup de choses comme on l’entend. »
Le changement de mentalité est en cours, mais il est lent. « La fédération libyenne nous reconnaît, mais il y a malgré tout des blocages. En 2017, nous étions invitées à une compétition au Canada. Nous avons apporté nos passeports à la fédération qui n’a jamais fait les démarches pour nos visas. Nous n’avons eu aucune explication », regrette Hanin qui remarque que cette même année, seuls les garçons ont pu se rendre au Maroc pour une compétition.
La jeune femme connaît les limites. Dans la salle de sport, qui fleure les années 1970, « coach Hanin » ne se laissera pas photographiée en tenue de sport, alors qu’elle avait accepté lors d’une première rencontre à l’hôtel Tibesti, à quelques centaines de mètres de là. Elle portait alors son hijab et une tenue civile cachant ses muscles saillants. D’ailleurs, rares sont ses élèves qui acceptent les photos. Et quand c’est le cas, la case vestiaire, pour remettre un voile et un vêtement large et couvrant est systématique.
« J’ai fait le tour de tous les coachs sportifs. Tous ont refusé. Un seul a fini par accepter »
- Hanin al-Barhouni
Mais ce ne sont que de petites difficultés face à celles que Hanin al-Barhouni a déjà traversées. En 2016, lorsqu’elle rend publique son activité, elle doit faire face aux critiques : « Au début, ce n’était pas facile. Je me suis fait insulter, notamment parce que je portais le hidjab, comme si on ne pouvait pas être pieuse et faire du sport… ».
Un an plus tôt, lorsqu’elle débute l’haltérophilie, c’est sa famille qu’elle doit affronter. « Ils refusaient que je pratique ce type de sport. » La jeune femme de 25 ans, à l’époque, tient tête. Elle s’enferme trois jours dans sa chambre, pleure et cesse de manger. Sa mère finit par céder.
Résistance
Mais il faut alors faire face aux haltérophiles masculins : « J’ai fait le tour de tous les coachs sportifs. Tous ont refusé. Un seul a fini par accepter ». Elle commence l’entraînement en 2015 de façon plus que discrète : la salle de sport est officiellement fermée pendant ses entraînements. Sa mère l’accompagne, à contrecœur, à chaque entraînement.
En Libye, il n’est pas envisageable qu’une femme reste seule avec un homme, il lui faut un chaperon. Pas question non plus de se montrer en legging devant l’entraîneur. La jeune femme travaille ses muscles en jalabiya noire (longue et large robe).
À l’époque, la guerre rythme déjà la quotidien de Benghazi depuis un an. Le maréchal Khalifa Haftar dirige l’Armée nationale libyenne (ANL) contre une coalition hétéroclite de groupes, parmi lesquels des révolutionnaires, des partisans de l’islam politique mais aussi le groupe État islamique (EI) et Ansar al-Charia (proche d’al-Qaïda).
« Je m’exerçais pendant les bombardements », se souvient Hanin qui estime avoir été épargnée par les combats. La jeune femme n’a pas eu à fuir son domicile et n’a pas perdu de proches.
Son combat à elle se trouve ailleurs. Lorsqu’elle commence à entraîner elle-même, en 2016, elle se casse le pied en faisant tomber un poids. Pour la punir, ses parents refusent de l’emmener immédiatement à l’hôpital.
Hanin patientera 24 heures avant de se faire soigner par une doctoresse surprise d’apprendre la façon dont s’est déroulé l’incident. « Dès le lendemain, je recommençais l’entraînement. Je savais ce que je voulais », conclut la jeune femme.
« Je voulais bousculer la société. Je voulais montrer la puissance des femmes »
- Hanin al-Barhouni
Et pour cause, l’étudiante en sciences politique ne s’est pas lancée dans l’haltérophilie par hasard. Son objectif était clair : « Je voulais bousculer la société. Je voulais montrer la puissance des femmes. J’ai d’abord pensé à la boxe, mais j’ai vu de l’haltérophilie à la télévision et cela m’a tout de suite plu. »
Hanin al-Barhouni n’a pas l’intention de s’arrêter là. Elle entraîne actuellement quatre filles pour des compétitions dans l’est libyen et parallèlement, elle souhaite former une autre coach qui prendrait le relais à « Sport Olympique ».
La jeune femme veut retrouver un peu de temps libre en vue d’une candidature aux élections législatives. Le représentant de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, a annoncé début novembre le lancement d’un nouveau processus électoral (référendum constitutionnel, législatives et présidentielle) à partir du printemps 2019.
« Je pense que les élections peuvent mettre fin à la crise. Comme j’étudie la politique, j’estime avoir les capacités », veut croire Hanin. Bien entendu, si elle parvient à entrer dans le futur hémicycle, Hanin y défendra la cause des femmes et leur indépendance avec force.
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