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Accord Iran-Arabie saoudite : la Chine peut-elle mettre un terme aux guerres par procuration dans la région ?

Beijing pourrait rapidement comprendre que la construction de la paix dans la région relève autant d’une entreprise locale que d’une question géopolitique
Poignée de main entre le président du Conseil politique suprême yéménite Mehdi Hussein al-Machat et l’ambassadeur saoudien au Yémen Mohamed al-Jaber, le 9 avril 2023 au palais républicain de Sanaa (Reuters)

Le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, annoncé le 10 mars, et la réunion entre leurs ministres des Affaires étrangères le 6 avril ont fait naître l’espoir d’une paix durable au Moyen-Orient.

Les deux pays se sont livrés à des guerres par procuration en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen ainsi qu’à une lutte d’influence géopolitique acharnée dans la région.

En servant de cadre à l’accord et en agissant en tant que médiateur, la Chine est intervenue là où les États-Unis avaient échoué auparavant.

Il reste cependant un certain nombre de défis importants qui pourraient compromettre la paix entre Riyad et Téhéran et réduire les perspectives d’une paix durable dans la région. Parmi ces défis, les guerres par procuration au Moyen-Orient, qui ont fait des centaines de milliers de victimes, occupent une place prépondérante. 

Sur les ruines de ces conflits, des groupes armés non étatiques sont devenus des acteurs importants qui auront une influence décisive sur l’avenir de la région et qui peuvent soit favoriser, soit compromettre la paix fragile entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Des intermédiaires devenus hommes d’État

Au cours de la dernière décennie, les puissances moyen-orientales et occidentales ont consacré d’importantes ressources à des conflits transfrontaliers par procuration.

L’une des caractéristiques fondamentales et durables de ces conflits est le rôle ainsi que la prolifération des guerres par procuration et des acteurs non étatiques armés.

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Accélérée – sans être activée – par l’invasion américaine de l’Irak en 2003, puis intensifiée par les conflits en Syrie, en Libye et au Yémen après le Printemps arabe, la guerre par procuration a radicalement transformé les structures de gouvernance et de sécurité au Moyen-Orient.

Les guerres par procuration ont intrinsèquement tendance à être longues, compte tenu de la structure organisationnelle des belligérants non étatiques et de l’implication d’acteurs extérieurs. Ce dernier facteur accroît la durabilité de ces conflits : les puissances extérieures peuvent fournir aux acteurs non étatiques un soutien matériel sous la forme d’armes ou d’argent tout en refusant de s’impliquer. Cela réduit la pression exercée sur les États pour qu’ils mettent fin à leur implication dans ces guerres, tout en leur permettant de poursuivre leurs aspirations géopolitiques.

En outre, ce n’est que lorsque toutes les parties perçoivent que leur participation apporte des bénéfices limités pour des coûts intolérables qu’elles envisagent soit de mettre fin à leur implication, soit de se montrer plus disposées à parvenir à un règlement – et il reste à voir si cela s’appliquera à l’Arabie saoudite et à l’Iran.

Comme le montrent notamment la Syrie et le Yémen, les conflits peuvent durer près d’une décennie en dépit d’efforts répétés pour parvenir à une fin négociée. La notion de règlement durable est en soi un concept délicat dans le cas des guerres civiles.

Poignée de main entre Mohammed ben Salmane, alors vice-prince héritier saoudien, et le président chinois Xi Jinping, le 4 septembre 2016 à Hangzhou (AFP) 
Poignée de main entre Mohammed ben Salmane, alors vice-prince héritier saoudien, et le président chinois Xi Jinping, le 4 septembre 2016 à Hangzhou (AFP) 

Les effets de second ordre des conflits sont souvent sous-estimés, notamment leur impact sur la conscience publique et les souvenirs collectifs d’injustice et de répression qu’ils créent et qui produisent les revendications et les conditions propices à une reprise du conflit.

Ces conditions renforcent la résilience des acteurs armés non étatiques. 

Pour les groupes les plus établis, comme Asaïb Ahl al-Haq en Irak et les Houthis au Yémen, l’effusion de sang qui frappe la région depuis les soulèvements arabes de 2011 a été l’occasion de gonfler leurs rangs.

Des groupes tels que le Hezbollah ont quant à eux étendu leur portée transfrontalière en déployant et en supervisant des combattants en Syrie et en Irak.

Pour les groupes qui sont apparus ou se sont organisés en réponse au Moyen-Orient post-Printemps arabe, tels que les Unités de mobilisation populaire (UMP) en Irak – créées dans le sillage de la guerre contre l’État islamique en 2014 – ou Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en Syrie – formé en 2017 –, les guerres par procuration et le soutien matériel de mécènes extérieurs leur ont offert la possibilité de passer du statut de milices disparates à celui d’acteurs sociopolitiques aguerris, riches en ressources et disciplinés sur le plan organisationnel.

Essentiellement, les groupes armés ont commencé à remodeler l’État et ses institutions en fonction de leurs propres perspectives idéologiques et objectifs politiques. En Irak, les UMP ont obtenu des sièges au Parlement, ont accès à un budget de 2 milliards de dollars et opèrent en tant qu’auxiliaires des forces armées irakiennes.

Le groupe a même créé sa propre société commerciale approuvée par l’État, dont le budget de fonctionnement s’élève à au moins 67 millions de dollars. D’autres groupes, tels que les Unités de protection du peuple (YPG), un groupe kurde qui contrôle les ressources pétrolières dans le nord-est de la Syrie, ainsi que HTC en Syrie, qui gouverne par l’intermédiaire du Gouvernement de salut syrien, ou encore une pléthore de groupes alignés sur l’Iran qui contrôlent des zones au sud de l’Euphrate à Deir ez-Zor, engendrent des problèmes pour la sécurité régionale.

La récente escalade entre la Turquie et les Forces démocratiques syriennes (FDS), ainsi que les échanges de coups militaires entre les États-Unis et l’Iran le mois dernier, en sont une parfaite illustration.

Les groupes armés comme trouble-fêtes

Le 9 avril, des émissaires saoudiens et omanais sont arrivés à Sanaa, capitale du Yémen, pour négocier un accord de cessez-le-feu permanent avec les responsables houthis et mettre fin à huit ans de conflit.

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Toutefois, la notion de processus de paix interétatique axé sur la fin des guerres par procuration peut être problématique s’il s’agit de tenter de mettre à l’écart les acteurs ou de sous-estimer leur résilience et leur résistance au changement, mais aussi et surtout leur capacité à jouer les trouble-fêtes. 

Israël et l’Iran, par exemple, sont englués dans une guerre de l’ombre qui se répercute au Liban, en Syrie et en Irak.

Au Yémen, le Conseil de transition du Sud (CTS), soutenu par les Émirats arabes unis dans le cadre de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, a déjà déclaré qu’il ne serait pas lié par un accord entre l’Arabie saoudite et ses rivaux houthis. Au Liban, les Forces libanaises, parti soutenu par l’Arabie saoudite, et le Hezbollah, soutenu par l’Iran, ont exprimé leur scepticisme quant à la capacité de l’accord saoudo-iranien à résoudre l’impasse présidentielle dans le pays.

Une construction complexe de la paix

Il est fondamentalement difficile d’envisager un scénario dans lequel l’Iran démobiliserait ou contiendrait ses alliés, surtout s’ils ont contribué à transformer la projection de puissance de l’Iran dans la région.

Rien qu’en Syrie, l’Iran a mobilisé et continue de superviser des dizaines de milliers de combattants du Hezbollah et d’autres combattants venus d’Irak, du Pakistan et d’Afghanistan, qui ont combattu aux côtés du régime syrien pour vaincre les rebelles et mettre fin au soulèvement.

Beijing pénètre dans un territoire inconnu où les acteurs armés non étatiques exercent une autorité et une légitimité accrues et peuvent déterminer les contours de la paix dans la région

La Chine met sa crédibilité en jeu en se portant garante de la paix entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Beijing pénètre dans un territoire inconnu où les acteurs armés non étatiques exercent une autorité et une légitimité accrues et peuvent ainsi déterminer les contours de la paix dans la région. Sur ce terrain, la Chine manque d’expérience institutionnelle et d’antécédents pour faire face aux complexités liées à la construction de la paix.

Ces complexités ne sont réellement abordées sur le long terme que par une réforme de la sécurité et une bonne gouvernance, des processus qui contribuent à atténuer la vaste empreinte politique et humanitaire que présentent les groupes armés et l’économie de guerre. Si ces éléments constituent des composantes essentielles de l’engagement occidental dans la région, il n’est pas certain que la Chine suive ce chemin.

- Ranj Alaaldin est spécialiste en politique étrangère et chercheur au Middle East Council on Global Affairs. Directeur du Crisis Response Council de la Carnegie Corporation et consultant à la Banque mondiale, il a précédemment officié en tant que chercheur à la Brookings Institution et à l’Université Columbia.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ranj Alaaldin is a foreign policy specialist and a fellow at the Middle East Council on Global Affairs. He is the Director of the Carnegie Corporation’s Crisis Response Council, a Senior Consultant at the World Bank and was previously a fellow at the Brookings Institution and Columbia University.
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