L’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite devrait rapprocher Riyad et Damas
Quelques jours à peine après s’être vu dérouler le tapis rouge à Moscou, le président syrien Bachar al-Assad a de nouveau pris la route, porté par une intense campagne de réconciliation à l’échelle de la région.
Le dimanche 19 mars, sa destination était Abou Dabi – un connecteur si souvent crucial sur un échiquier en constante évolution –, où l’attendait le président émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane.
Cette visite est intervenue à un moment important, quelques semaines seulement après l’accord historique conclu entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine, que Damas a accueilli avec beaucoup d’intérêt.
L’apaisement entre Téhéran et Riyad a des répercussions sur une grande partie du Moyen-Orient, mais plus particulièrement sur la Syrie, champ de bataille majeur où les deux géants régionaux se sont livrés à une guerre par procuration sanglante au cours de la dernière décennie.
Puisque les deux camps s’adressent désormais la parole, l’un des derniers obstacles au rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Syrie a été levé, ce qui a ouvert la voie à un réengagement attendu de longue date.
Un accord pour rétablir les relations ?
Le pacte irano-saoudien devrait avoir de profondes répercussions au niveau régional et la Syrie en est déjà témoin.
La visite d’Assad aux Émirats arabes unis n’était pas simplement destinée à renforcer sa légitimité régionale. La question de l’objectif à long terme du réengagement avec l’Arabie saoudite était un point majeur à l’ordre du jour.
Une multitude de rumeurs et de récits ont envahi la sphère médiatique arabe, faisant notamment état d’un retour imminent des Saoudiens à Damas après la rupture des relations au début de la guerre en Syrie.
« L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran est assurément un obstacle en moins vers un réengagement plus poussé »
– Un responsable syrien
Disposant de nombreuses relations, Waddah Abd Rabbo, rédacteur en chef du journal syrien pro-gouvernemental al-Watan, soutient que les Saoudiens se préparent à revenir.
« D’après mes sources privées, il a été convenu de rouvrir le consulat saoudien dans quelques semaines et le ministre des Affaires étrangères du royaume entend se rendre à Damas », a-t-il récemment écrit sur les réseaux sociaux.
Interrogé par Middle East Eye, Waddah Abd Rabbo affirme qu’« il y a quelques jours, une réunion importante a eu lieu à Riyad entre des responsables syriens et saoudiens. Il s’agissait du premier contact politique entre les deux pays et des mesures futures pour rétablir les relations entre les deux États ont été déterminées. »
En parallèle, de nombreuses sources rapportent que Maher al-Assad, frère du président syrien et chef de la redoutée 4e Division blindée, se serait rendu en Arabie saoudite et y aurait reçu les conditions posées par le royaume pour une normalisation des relations, une information qui n’a toutefois pas été officiellement confirmée.
Les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées au début des manifestations antigouvernementales en 2011. L’Arabie saoudite a accusé la Syrie d’être un intermédiaire de l’Iran et a ouvertement armé les rebelles contre Assad.
Les liens se sont toutefois réchauffés dernièrement, dans le contexte d’un afflux de pays arabes disposés à faire la paix avec Damas.
Dans la foulée des séismes en Turquie et en Syrie voisine, où 6 000 personnes ont perdu la vie, un avion humanitaire saoudien s’est posé à l’aéroport d’Alep avec des vivres et du matériel médical, un événement qui ne s’était pas produit depuis onze ans.
Selon des responsables saoudiens présents à l’aéroport, l’opération « a été menée sur les ordres directs du roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz et du prince héritier Mohammed ben Salmane ».
En parallèle, le ministre saoudien des Affaires étrangères a déclaré qu’un engagement accru vis-à-vis de la Syrie pourrait ouvrir la voie à un retour de Damas dans le giron arabe.
« Un engagement est nécessaire pour répondre à ces préoccupations », a souligné le prince Fayçal ben Farhane al-Saoud. « Et cela pourrait bien donner lieu à un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. »
La Syrie a été exclue de la Ligue arabe après le déclenchement de la guerre civile, la majorité de ses membres ayant apporté leur soutien à l’opposition syrienne.
« Les choses se précisent », indique à MEE un responsable syrien sous couvert d’anonymat.
« L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran est assurément un obstacle en moins vers un réengagement plus poussé. L’Arabie saoudite est un État arabe essentiel. »
Un retour de la Syrie accéléré par les séismes
Lorsque les secousses ont ébranlé les villes et villages du nord de la Syrie, la solidarité arabe s’est rapidement manifestée. Un pont aérien humanitaire impliquant de nombreux pays a été mis en place, ce qui a permis de consolider la place de la Syrie et de Bachar el-Assad dans la politique arabe.
Les dégâts causés par les séismes en Syrie ont été évalués à environ 5 milliards de dollars par la Banque mondiale. Cette catastrophe dévastatrice a néanmoins suscité une vague d’empathie internationale envers le pays déchiré par la guerre.
Les Émirats arabes unis ont par exemple envoyé des fonds et accepté de livrer 400 logements en préfabriqué censés être distribués dans différentes régions en coopération avec le Croissant-Rouge syrien.
Malgré cela, le responsable syrien n’est pas enclin à relier les réactions aux séismes et l’intensification des liens entre la Syrie et ses voisins arabes.
« Cela fait des années que les pays échangent avec nous sous la table. Si les liens politiques officiels n’existent pas, il y a d’autres voies et d’autres secteurs de coopération », souligne-t-il.
« Il se trouve que la situation est plus avancée, les séismes n’y sont pour rien. Nous voulons retrouver notre rôle naturel dans la région. Les Arabes ont besoin d’une Syrie unie. »
La partie émergée de l’iceberg
La visite d’Assad aux Émirats arabes unis n’est que la partie émergée d’un iceberg qui remonte à près de cinq ans, lorsque les forces pro-Assad ont conquis les territoires rebelles autour de Damas et que le conflit s’est apaisé.
Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont rouvert leur ambassade à Damas en 2019 et l’année suivante, Oman est devenu le premier pays arabe à y envoyer un ambassadeur.
À Abou Dabi, Assad a salué le « rôle positif et efficace [des Émirats arabes unis] pour garantir des relations solides entre les pays arabes ». Mohammed ben Zayed a pour sa part affirmé que les Émirats arabes unis « se [tenaient] aux côtés de la Syrie et continuer[aient] de faire preuve de solidarité et de soutenir le peuple syrien dans ce qu’il a subi du fait de la guerre et des séismes ».
Les Émirats arabes unis constituent le principal partenaire commercial de la Syrie.
De même, quelques jours après les séismes, le président du Parlement jordanien, Ahmad Safadi, a appelé à un « retour de la Syrie dans le giron arabe ». « Nous exigeons qu’elle redevienne un membre actif et influent du processus décisionnel arabe », a-t-il déclaré.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri s’est également rendu à Damas après la catastrophe et a fait part à Assad de « la solidarité de l’Égypte avec la Syrie ».
Les navettes diplomatiques ne se sont pas arrêtées là. Le mois dernier, Assad s’est envolé pour Oman, où il s’est une nouvelle fois vu dérouler le tapis rouge dans le cadre d’une visite officielle auprès du sultan Haïtham ben Tariq.
Ces démarches irritent Washington, spectateur impuissant. « Les États-Unis sont profondément déçus et troublés par la visite effectuée cette semaine par le président syrien Bachar al-Assad aux Émirats arabes unis, qu’ils considèrent comme une tentative de légitimation d’un dictateur assiégé », a déclaré à Axios Ned Price, porte-parole du département d’État.
Des liens ininterrompus en matière de renseignement
Alors que le rétablissement des relations semble se rapprocher, il convient de rappeler que si les relations politiques entre Damas et Riyad ont été inexistantes, les liens en matière de renseignement ont perduré.
Le chef des renseignements généraux de Bachar al-Assad, Hossam Louka, a participé au Forum arabe du renseignement au Caire en novembre 2021 et a été photographié aux côtés de son homologue saoudien Khaled al-Humaidan : sur cette photo, les deux hommes fument une cigarette dans une ambiance exagérément amicale.
Ce cliché n’est probablement pas le fruit du hasard et a été perçu comme une démarche manifeste visant à illustrer le réchauffement des liens entre les deux pays, dans le contexte des efforts déployés par l’Égypte pour rétablir l’adhésion de la Syrie à la Ligue arabe. Jusqu’à présent, aucune déclaration officielle n’a été publiée par l’Arabie saoudite ou la Syrie au sujet de la réunion.
Avant cela, en mai 2021, Khaled al-Humaidan s’est rendu à Damas : il s’agissait alors de la première rencontre de ce type depuis 2011.
L’acceptation de la Syrie par l’Arabie saoudite s’est étendue à d’autres secteurs. En mai 2021 également, le ministre syrien du Tourisme, Mohammad Rami Radwan Martini, s’est rendu à Riyad pour une conférence.
Alors que la normalisation des relations avec Damas est à l’ordre du jour des pays arabes depuis des années, l’accord de désescalade irano-saoudien servira sans aucun doute de catalyseur.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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