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Guerre en Syrie : la Ligue arabe sera-t-elle favorable à un retour d’Assad ?

Le sort du dirigeant syrien sera en fin de compte déterminé par la realpolitik plutôt que par les principes
Le président syrien Bachar al-Assad s’exprime à Damas en 2016 (AFP)
Le président syrien Bachar al-Assad s’exprime à Damas en 2016 (AFP)

La Syrie est exclue de la Ligue arabe depuis près de dix ans, mais cela pourrait bientôt changer.

La semaine dernière, les Émirats arabes unis ont demandé que le pays déchiré par la guerre soit réintégré dans l’organisation qu’il a contribué à fonder en 1945, faisant écho à des appels similaires lancés par l’Irak en janvier.

Certains organes de la Ligue arabe ont déjà repris leurs activités à Damas. Tout cela semble bien loin de novembre 2011, lorsque 18 de ses 22 membres avaient voté la suspension du président Bachar al-Assad suite à la répression brutale à l’origine de la guerre civile en Syrie.

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Pourtant, Assad a survécu et les événements survenus ailleurs ont incité les États arabes qui s’opposaient autrefois à lui à revoir leur position.

Il pourrait sembler étrange qu’Assad puisse même souhaiter réintégrer la Ligue arabe, étant donné que celle-ci est largement impuissante et que la majorité de ses membres l’ont condamné.

Pourtant, un retour dans le giron arabe présenterait des avantages.

À l’échelle nationale, le régime d’Assad s’appuie depuis longtemps sur une rhétorique nationaliste arabe et son retour dans la ligue pourrait renforcer sa légitimité auprès de certains loyalistes.

À l’échelle internationale, un retour contribuerait à rompre l’isolement d’Assad engendré par la guerre et ouvrirait la voie à d’autres réconciliations.

Jamais complètement isolé

Mais surtout, Assad et ses alliés russes pensent qu’un retour au sein de la Ligue arabe pourrait ouvrir la porte aux fonds de reconstruction du Golfe, dont l’économie syrienne chancelante a désespérément besoin.

En effet, ce n’est pas une coïncidence si les discussions sur la réhabilitation d’Assad s’inscrivent dans le cadre d’une campagne diplomatique de la Russie dans le Golfe.

Qu’est-ce qui a donc motivé le changement de position des membres de la Ligue arabe ? Assad n’a jamais été complètement isolé, puisque le Liban et l’Irak, deux pays voisins, ont refusé de se prononcer en faveur de sa suspension en 2011.

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En tant qu’amis de l’Iran, les relations sont restées étroites tout au long de la guerre civile.

L’Algérie a également fait figure d’exception. Elle a approuvé la suspension à contrecœur mais n’a jamais rompu les liens avec Damas. L’Algérie, un régime dirigé par l’armée qui a également mené une guerre civile contre les islamistes, entretient des affinités de longue date avec Assad et a souvent plaidé en faveur de la fin de son isolement dans le monde arabe.

Cette position n’a pas varié malgré un changement récent à la tête du pays suite à des protestations populaires.

En revanche, deux acteurs importants ont changé de position.

Après la révolution de 2011 et l’élection d’un gouvernement dirigé par les Frères musulmans, l’État égyptien a vivement critiqué Assad. Mais le régime militaire qui l’a renversé à l’issue d’un coup d’État en 2013 s’est rapproché de Damas, considérant Assad comme un compagnon autocrate luttant contre le « terrorisme » islamiste.

La Ligue arabe se réunit au Caire, le 8 février 2021 (Ligue arabe/AFP)
La Ligue arabe se réunit au Caire, le 8 février 2021 (Ligue arabe/AFP)

Les Émirats arabes unis sont également devenus plus conciliants. Si le pays ne s’est jamais opposé avec véhémence à la Syrie – des membres du régime, dont la famille proche d’Assad, ont notamment trouvé refuge aux Émirats –, il est devenu l’un des principaux défenseurs de la réconciliation et a même rouvert son ambassade en Syrie fin 2018.

Tout comme l’Égypte, les Émirats arabes unis sont farouchement opposés aux Frères musulmans, un groupe qui était bien représenté au sein de l’opposition syrienne.

Déjouer les plans d’Ankara

Par ailleurs, Le Caire comme Abou Dabi souhaitent contenir le rôle régional croissant de la Turquie, qui soutient fermement les Frères musulmans, et se méfient de ses avancées dans le nord de la Syrie. Une réconciliation entre la Ligue arabe et Assad permettrait de déjouer les plans d’Ankara.

De l’autre côté du débat, on trouve le Qatar et l’Arabie saoudite, qui sont les plus réticents face à un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Doha se montre plus direct en se rangeant du côté de la Turquie, qui continue de condamner Assad. Cependant, alors que le Qatar était un acteur majeur de la Ligue arabe en 2011 – Doha a notamment mené la charge pour suspendre la Syrie et même adressé des menaces à l’Algérie si elle ne se suivait pas le mouvement –, sa situation est aujourd’hui plus marginale.

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Même si le blocus imposé par ses voisins du Golfe a été récemment levé, Doha reste plus faible qu’en 2011 et si les autres États arabes votaient en faveur d’une réintégration d’Assad, les Qataris auraient du mal à l’empêcher.

L’Arabie saoudite est un obstacle plus important, mais sa position est plus ambivalente. Comme ses alliés égyptien et émirati, elle craint à la fois l’expansion turque et les Frères musulmans et flirte avec l’idée d’une réconciliation avec Assad.

Elle a approuvé la réouverture par son proche allié bahreïni de son ambassade en Syrie en 2018, ce que beaucoup ont perçu à l’époque être un ballon d’essai en vue d’une initiative similaire de Riyad.

De même, l’Arabie saoudite a discrètement autorisé l’entrée dans son territoire de camions syriens chargés de marchandises l’an dernier, ce qui constitue un revirement par rapport aux restrictions imposées pendant la guerre et un signe d’un possible dégel.

Plus que les Émirats arabes unis et l’Égypte, les Saoudiens se méfient de la présence renforcée de leur rival iranien en Syrie

Cette tendance a été renforcée lors d’une récente conférence de presse russo-saoudienne, au cours de laquelle les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont évoqué le retour de la Syrie dans la « famille arabe ».

Et pourtant, Riyad fait toujours montre de prudence. Plus que les Émirats arabes unis et l’Égypte, les Saoudiens se méfient de la présence renforcée de leur rival iranien en Syrie.

Si la réconciliation avec Damas est susceptible de permettre à l’Arabie saoudite de diluer quelque peu le rôle de Téhéran, cet effet ne serait encore que marginal et pourrait en fin de compte favoriser son ennemi.

Motivés par des événements extérieurs à la Syrie

L’autre obstacle majeur est constitué par les États-Unis et leur régime de sanctions prévu par le Ceasar Act à l’encontre de toute entreprise ou tout individu traitant avec des acteurs Syriens visés par des sanctions. 

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En appelant au retour d’Assad au sein de la Ligue arabe, les Émirats ont reconnu que ces sanctions « compliqu[aient] la question ».

L’inconnue pour Abou Dabi et les autres États arabes est de savoir à quel point la nouvelle administration Biden fera preuve de zèle à l’idée de maintenir ces sanctions décidées sous Trump – même si elles proviennent du Congrès et non de la Maison-Blanche.

Alors que tous les yeux aux États-Unis sont rivés sur la pandémie de COVID-19 et que les priorités régionales du président américain Joe Biden semblent porter sur l’Iran plutôt que sur la Syrie, il est possible que les Émirats et les autres pays finissent par trouver un moyen de réintégrer progressivement Assad sans provoquer l’opposition de Washington. C’est certainement ce qu’espèreront les Émiratis, les Russes et Assad.

Cependant, que la Syrie soit réintégrée ou non au sein de la Ligue arabe, une chose est claire : cette décision n’aura probablement rien à voir avec un changement de comportement d’Assad.

Tous les membres semblent motivés par des événements extérieurs à la Syrie, à savoir les éventuels impacts d’une réintégration d’Assad ou du maintien de son isolement sur leurs alliances et rivalités géopolitiques plus larges.

Le sort d’Assad au sein de la Ligue arabe sera en fin de compte déterminé par la realpolitik plutôt que par les principes.   

Christopher Phillips est maître de conférences en relations internationales à la Queen Mary University of London, dont il est également vice-doyen. Il est l'auteur de The Battle for Syria: International Rivalry in the New Middle East, disponible auprès de Yale University Press.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Christopher Phillips is a professor of international relations at Queen Mary, University of London, where he is also a deputy dean. He is the author of The Battle for Syria, available from Yale University Press, and co-editor of What Next for Britain in the Middle East, available from IB Tauris.
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