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Les ambitions d’Asma al-Assad, la première dame de Syrie devenue dame de fer

Longtemps reléguée aux œuvres caritatives, l’épouse de Bachar al-Assad impose progressivement sa présence dans la politique et dans les affaires syriennes. Malgré sa réputation de profiteuse de guerre, elle semble prête à jouer les premiers rôles
Une photo distribuée par la page Facebook de la présidence syrienne, le 3 août 2019, montre la première dame Asma al-Assad. La première dame syrienne a annoncé dans une interview télévisée qu’elle était « totalement » guérie du cancer du sein après un an de traitement
Une photo distribuée par la page Facebook de la présidence syrienne, le 3 août 2019, montre la première dame Asma al-Assad. La première dame syrienne a annoncé dans une interview télévisée qu’elle était « totalement » guérie du cancer du sein après un an de traitement

Le 14 janvier, le journaliste et fondateur du site web Kuluna shurakaa, Ayman Abdel Nour, publiait sur son compte Twitter une photo prise dans le bureau du ministre syrien de l’Éducation, Darem Tabaa. Derrière ce dernier, tout près du portrait du président Bachar al-Assad, une photo de la première dame, Asma al-Assad.

Abdel Nour s’en est étonné dans une interview accordée au site internet Al-Hurra : « En général, il n’est pas d’usage en Syrie que la photo de la première dame apparaisse, cela ne s’est jamais fait, que ce soit du temps des [présidents] Hafez al-Assad, Choukri al-Kouatli ou Khaled al-Azm. »

Déjà, en octobre dernier, un portrait géant d’Asma al-Assad dominait la façade d’un bâtiment dans la ville de Hama, à l’occasion d’un rassemblement politique. Une affiche de son mari ainsi que le drapeau national syrien recouvraient un autre bâtiment lui faisant face.

Le journaliste syrien Bassam Jaara, dans un entretien accordé à Middle East Eye, estime que le régime pourrait préparer Asma al-Assad afin qu’elle se présente aux prochaines élections – programmées en 2021 –, si un véto onusien venait à être prononcé à l’encontre de son mari.   

« Combler le vide » laissé par Rami Makhlouf

Asma al-Assad – née al-Akhras – a la particularité d’avoir baigné dans la culture occidentale depuis toujours : née à Londres en 1975 d’un père cardiologue originaire de Homs et de confession sunnite et d’une mère ancienne diplomate elle aussi sunnite, elle y rencontre Bachar al-Assad – alors étudiant en ophtalmologie – en 1999.

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Contacté par MEE, un proche sous couvert d’anonymat explique que leur mariage aurait été arrangé par sa propre tante, mariée à un général alaouite : la vieille garde au pouvoir aurait ainsi cherché à ce que Bachar al-Assad, l’alaouite, épouse une sunnite, dans le but de consolider les liens entre les deux communautés. Six mois plus tard, elle devenait première dame de Syrie.

Celle qui jadis était présentée comme l’incarnation de la modernité occidentale, notamment grâce à son implication dans le domaine caritatif, va être éclaboussée du sang des victimes du régime durant les dix années de guerre civile.

Selon l’ancien diplomate syrien Bassam Barabandi, le fait que de nombreux membres de l’entourage de Bachar al-Assad soient décédés durant la guerre pousserait aujourd’hui sa femme sur le devant de la scène : « La matriarche Anissa al-Assad est décédée et la vielle garde est décimée par la guerre. Le cousin de Bachar, Rami Makhlouf, a franchi toutes les lignes rouges. Il a été écarté par Asma, qui en a profité pour combler le vide », déclare à Middle East Eye l’ancien diplomate.

Rami Makhlouf assistant à la cérémonie de hissage d’un drapeau syrien au-dessus de Damas pour célébrer les dix ans de pouvoir du président Bachar al-Assad,  le 17 juillet 2010 (AFP)
Rami Makhlouf assistant à la cérémonie de hissage d’un drapeau syrien au-dessus de Damas pour célébrer les dix ans de pouvoir du président Bachar al-Assad, le 17 juillet 2010 (AFP)

Jusqu’à récemment figure centrale du monde des affaires en Syrie, Makhlouf – considéré comme l’homme le plus riche du pays – se serait brouillé avec le président en août dernier après avoir refusé de payer les dettes de guerre croissantes du pays.

Makhlouf, qui a été dépossédé de plusieurs entreprises et contraint de payer de lourdes amendes, est allé jusqu’à défier Bachar al-Assad dans des vidéos postées sur Facebook, en jouant sur les divisions confessionnelles.

Une influence grandissante

Ainsi, la première dame de Syrie interviendrait désormais dans les nominations ministérielles et militaires.

« De plus en plus de personnes au sein du pouvoir lui sont redevables de leur bonne fortune, comme son ancien directeur de cabinet Fares Kallas, qui a pris en main le cabinet du président Assad », ajoute Bassam Barabandi.

En contrepartie, Kallas accèderait aux demandes d’Asma al-Assad en ce qui concerne certaines nominations au gouvernement, dans les institutions militaires ou dans les services de renseignement.

« Elle fait campagne dans ces deux régions pour signifier aux alaouites qu’elle est de leur côté »

- Bassam Barabandi, journaliste

Selon des informations dévoilées par Al-Arabiya, la première dame, profitant de son influence grandissante, aurait court-circuité les services de renseignement syriens en créant récemment à Lattaquié un centre destiné à l’émission de nouvelles pièces d’identité (pour les Syriens ayant perdu les leurs). Un marqueur indéniable de son influence.

Ainsi, Asma al-Assad entend bien imposer sa présence sur la scène politique syrienne, particulièrement dans les régions de Lattaquié et de Homs, deux bastions alaouites, qui craignent particulièrement les sunnites.

« Elle fait campagne dans ces deux régions pour signifier aux alaouites qu’elle est de leur côté. Durant les incendies de Lattaquié [en octobre 2020], son ONG, Syria Trust for Development, a accordé des aides de 8 milliards de livres syriennes [environ 13 millions d’euros] aux familles les plus touchées », signale Barabandi à MEE.

Asma al-Assad posant pour une photo avec des patients au centre de prothèses dans la ville centrale de Hama, le 22 mai 2019  (page Facebook de la présidence syrienne)
Asma al-Assad posant pour une photo avec des patients au centre de prothèses dans la ville centrale de Hama, le 22 mai 2019 (page Facebook de la présidence syrienne)

Syria Trust gor Development, fondée par la première dame en 2001 – alors qu’aucune ONG n’était autorisée à opérer – contrôle désormais quinze « centres communautaires » et reçoit des millions de dollars du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

De la politique aux affaires

« Mais selon des sources liées à la famille Assad, le rôle d’Asma al-Assad est aujourd’hui plus économique que politique, étant donné qu’elle a remplacé Rami Makhlouf, le cousin maternel du président [en tant qu’homme d’affaires de la famille] », poursuit Bassam Barabandi.

Les sympathisants de l’homme d’affaires accusent aujourd’hui la première dame de vouloir dépouiller les alaouites. Asma al-Assad présiderait aujourd’hui le comité chargé de restituer l’argent issu de la corruption ; notamment celui de Rami Makhlouf, empire sur lequel elle aurait des visées.

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Selon Jihad Yazigi, rédacteur du site spécialisé The Syria Report, Asma aurait sciemment cherché à affaiblir l’homme d’affaires.

« Ce n’est pas la seule qui aurait cherché à pousser Makhlouf hors du jeu. Maher, le frère de Bachar, aurait également joué un rôle important. Plutôt que de reprendre ses entreprises, elle l’a poussé à fermer les siennes afin d’en créer d’autres en parallèle », déclare-t-il à Middle East Eye.

En Syrie, Asma al-Assad, ses proches collaborateurs et sa famille se montrent de plus en plus présents dans le monde des affaires. Ainsi, en septembre dernier, elle aurait racheté les parts d’une banque koweitienne dans une banque locale.

Son père et son frère s’imposent quant à eux dans le secteur de la production pharmaceutique syrienne. Selon Jihad Yazigi, le père d’Asma al-Assad, Fawaz al-Akhras, aurait fondé la Société nationale des services médicaux, spécialisée dans la construction d’hôpitaux et d’établissements médicaux ainsi que dans la recherche. Parmi ses partenaires privilégiés figurent la mère et le fils d’Asma al-Assad, preuve du pouvoir grandissant du clan al-Akhras.

Parallèlement, la première dame se montre particulièrement présente dans le domaine des télécommunications : s’appuyant sur l’homme d’affaires Khodr Taher Ben Ali, elle a lancé en 2019 Emma Tel.

Toujours selon Jihad Yazigi, Yassar Ibrahim – un autre grand homme d’affaires proche de la première dame – serait en passe d’acquérir MTN, la seconde compagnie de télécommunications du pays. « Yassar et sa sœur Nisrine sont également proches d’Asma », précise Yazigi. 

Selon la chaine de télévision Akhbar Alaan, le système controversé de carte à puce destiné à fournir de la nourriture subventionnée est également exploité par une société appartenant au cousin d’Asma al-Assad, Muhieddine Muhanad Dabbagh.

« Le clan des al-Assad pourrait bien, grâce à la première dame, être remplacé par celui des al-Akhras dans le futur »

- Bassam Barabandi, journaliste

Introduite pour la première fois en 2014 par le ministère syrien du Pétrole, la « Smart Card », qui servait initialement dans la distribution du carburant aux agences gouvernementales, va par la suite être utilisée pour rationner l’essence subventionnée et le mazout de chauffage destinés aux citoyens.

« Le régime veut prouver qu’il n’est pas dominé par les alaouites mais qu’il est le résultat d’un partenariat entre alaouites et sunnites », analyse le journaliste Bassam Jaara.

L’image d’humanitaire perfectionnée et occidentalisée longtemps entretenue par Asma al-Assad a ainsi volé en éclats, lui conférant une réputation de profiteuse de guerre. En décembre, les États-Unis ont étendu leurs sanctions aux membres de la famille présidentielle, qui visent désormais Asma et ses proches : son père Fawaz al-Akhras, sa mère Sahar Otri, son frère Firas et son oncle Eyad.

Alors que la Syrie est plus que jamais divisée, quel sont les projets d’Asma al-Assad ? « Elle avantage l’héritage de ses enfants », avance Bassam Jaara. Si tel était le cas, son fils Hafez n’hériterait que d’une nation brisée.

« Le clan des al-Assad pourrait bien, grâce à la première dame, être remplacé par celui des al-Akhras dans le futur », conclut Barabandi.

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