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American Sniper, reflet de la propagande de la guerre contre le terrorisme

American Sniper est un film de propagande pro-américain en faveur de la guerre contre le terrorisme qui trompe le public en lui faisant croire à une éventuelle implication de l’Irak dans les attenants du 11 septembre

American Sniper raconte l'histoire du plus meurtrier des snipers de l'histoire militaire des Etats-Unis, Chris Kyle, lors de ses quatre missions de combat en Irak. Nominé pour six Oscars, dont celui du meilleur film, ce film réalisé par Clint Eastwood était meilleur que je ne m'y attendais. Je l’ai pourtant détesté.

Avec un record de 105 millions de dollars de bénéfice au box-office lors de son week-end de sortie, le film a sans doute généré plus de controverses aux Etats-Unis que n’importe quel autre film dont j’ai le souvenir.

Une grande partie de la controverse s’est focalisée sur la représentation de Chris Kyle lui-même, désormais décédé. Alors que d’anciens combattants ayant servi à ses côtés ont salué la prouesse de l'acteur Bradley Cooper dans son interprétation du rôle, un certain nombre de journalistes progressistes ont fustigé le film pour s’être écarté de l'autobiographie de Kyle. En effet, le film n’est pas loin de dépeindre Kyle comme un guerrier malgré lui. Vous savez, l’habituel « Je ne fais que mon travail ». En revanche dans son le livre et selon ses propres termes, tuer 160 Irakiens, pour la plupart du genre « civils le jour, soldats la nuit », était une chose que Kyle avait en réalité grand plaisir à accomplir.

Après s’être vu accusé du meurtre d’un civil irakien non-armé, Kyle confiait à un enquêteur militaire : « Je ne tue pas des gens avec des Corans. J’aimerais, mais je ne le fais pas ». Dans d'autres passages de son livre, Kyle écrit : « J’en avais rien à foutre des Irakiens » et « je déteste ces maudits sauvages ».

Je laisse aux autres le bonheur de disserter sur la question de savoir si Kyle était ou non un voyou raciste. A bien des égards, j’éprouve une certaine compassion pour cet homme, étant donné l'énorme et injustifiable fardeau placé sur ses épaules par l’armé américaine – quatre affectations et 160 ennemis tués au combat est un poids que nul homme ne devrait avoir à porter.

J’ai aimé le fait que le film relance le débat sur la guerre en Irak et donne un coup de projecteur sur les séquelles psychologiques endurées par ceux qui sont appelés à accomplir de telles missions. Mais j’ai détesté le fait qu’American Sniper ne soit rien de plus qu'un tissu de propagande militariste qui aurait fait rougir le réalisateur nazi Joseph Goebbels. « American Sniper me rappelle un peu le film qui est projeté dans la troisième partie d’Inglorious Basterds », disait l'acteur Seth Rogen dans un tweet en référence au film de Quentin Tarantino qui relate l’histoire d’un complot judéo-américain imaginaire visant à assassiner Hitler et les dirigeants du Troisième Reich.

Dès le début, American Sniper se présente effrontément comme un outil de propagande pro-américain et pro-guerre contre le terrorisme. Dans la deuxième scène, Kyle, interprété par Cooper, a un flash-back de son enfance. Lors d’un diner de famille, le père enseigne au petit Kyle alors âgé de 10 ans : « Il y a seulement trois types de personnes dans ce monde : les moutons, les loups et les chiens de berger », ceux qui servent à protéger du mal. La conclusion est claire et intentionnelle : le chien de berger est le vertueux tireur d'élite américain dont la mission est de protéger ses hommes contre les méchants loups irakiens.       

Une demi-douzaine de scènes plus tard, on nous montre les véritables images (issues des archives de la chaîne CNN) du deuxième avion frappant le 11 septembre 2001 la tour nord du World Trade Center, puis l'effondrement des immeubles. Juste après, nous voyons Kyle et son équipe célébrant leur déploiement en Irak. Encore une fois, la déduction est claire et intentionnelle : singer la propagande de l'administration Bush précédant l’invasion de l’Irak et, ce faisant, transcender Kyle en trompant le public et lui faisant croire à une éventuelle implication de l'Irak dans les attentats du 11 septembre. Un tour de passe-passe facilité par le fait que près de 50% des Américains croient encore, à tort, que l'Irak était l’instigateur des attaques de septembre 2001.

La moralité et la légitimité de la guerre illégale en Irak ne sont jamais remises en question. Les Irakiens ne sont pas dépeints comme des défenseurs de leur patrie ou des résistants à une force d'occupation étrangère, mais comme des barbares, bêtes et méchants.

Dans son livre comme dans le film, à plusieurs reprises Kyle décrit la population locale en employant le terme de « sauvages ». Dans la scène d'ouverture, Kyle se trouve sur un bâtiment donnant sur une rue de Falloujah où patrouillent les Marines. Une mère et son jeune fils sortent dans la rue, et l’un passe une grenade à l'autre. Kyle les assassine tous deux d’un seul tir – ses premières exécutions confirmées. Plutôt que d'être compatissant à leur égard, à leur tentative désespérée de résister à une force militaire étrangère accablante, Kyle (Cooper) déclare : « Qu’est-ce que c’est que cet enfer ? »

Dans son livre, Kyle ajoute quelques mots sur son premier meurtre : « Le mal méprisable, sauvage. C’est ce contre quoi nous nous battions en Irak.... elle était trop aveuglée par ce mal pour s’en rendre compte. Elle voulait juste tuer des Américains, coûte que coûte ».

La guerre illégale en Irak a fait un million de morts Irakiens, 4,5 millions de réfugiés, près de 2 millions de veuves et 5 millions d’orphelins.

Ross Caputi, un ancien soldat américain qui a pris part au siège de Falloujah, a condamné ce qu’il considère comme une réécriture de l'histoire. Caputi prétend que peu de « faits documentés » sur la ville assiégée ont été présentés dans American Sniper. « Ces faits comprennent l’utilisation par les Américains du phosphore blanc sur les populations civiles, le détournement de l'aide humanitaire, la coupure de l’eau et de l’électricité pour quelque 50 000 civils pris au piège d’un siège long d’un mois, et la participation à une guerre déclenchée suite à une série de mensonges », écrit David Mastracci dans la revue The Islamic Monthly.

Mais nulle part à Hollywood un Irakien est-il autorisé à demander : « Qu’est-ce que c’est que cet enfer ? »

En réalité, les victimes irakiennes de la violence américaine arrivent à répondre à cette question. Layla Asamari, une Irakienne dont l’oncle a été tué par un tireur d'élite américain, écrit : « Mon oncle Abdulrazaq (le frère cadet de mon père, âgé de 50 ans) vivait en Irak (dans notre ville natale de Samarra) lorsque, le jeudi 5 janvier 2006 à 20 heures, alors qu’il rentrait d’une réunion avec ses partenaires d'affaires, il a été tué par les troupes américaines. Après lui avoir dérobé les 10 000 dollars en sa possession, les troupes dont les Américains sont si fiers ont constaté qu'il n’avait pas d'armes ou d'explosifs sur lui, ont jeté son corps à l'hôpital local et sont partis avec son argent ».

Tout au long du film, les scènes de meurtres se déroulent de manière prévisible. Les soldats américains apparaissent comme de nobles guerriers en patrouille, et leur violence est raisonnable, rapide et proportionnelle. Les Irakiens, quant à eux, sont présentés comme d’obscurs intrigants qui emploient une violence disproportionnée et «non-civilisée » - si jamais une telle chose existe.

Dans American Sniper, on nous présente un tireur d'élite d'origine syrienne impassible qui filme ses meurtres de soldats américains pour les montrer au public irakien, ainsi qu’un personnage encore plus terrifiant, « le boucher », qui transperce les têtes des civils apportant une quelconque assistance aux Américains.

Essentiellement, c’est ainsi que toute la guerre contre le terrorisme a été promue et consommée par l'Amérique. Les médias occidentaux nous submergent d’images de journalistes occidentaux décapités, qui nous laissent pétrifiés et incapables de comprendre une telle sauvagerie et une telle violence.

On nous épargne, cependant, l'imagerie de la violence que nous-mêmes infligeons. « Notre terreur est imposée aux damnés de la terre avec des armes industrielles, mais elle nous est invisible », rappelle Chris Hedges. « Nous ne nous arrêtons pas sur les corps décapités et éviscérés que nos missiles, drones et avions de chasse sèment dans les rues des villes et des villages. Nous n’entendons pas les gémissements et les cris des parents enlaçant les corps brisés de leurs enfants. Nous ne voyons pas les survivants d'attaques aériennes enterrant leurs mères, leurs pères, leurs frères et leurs sœurs ».    

Il est quelque peu suspect, mais pas suffisamment pour déclencher une théorie du complot, que le film de propagande contre le terrorisme American Sniper ait été salué par Hollywood au moment même où la guerre contre le terrorisme s’intensifie. Aujourd'hui, Hollywood et les motivations de l'Etat américain impérialiste sont inextricablement liés. Il est devenu presque impossible de dire où commence l’un et où finit l’autre.

En 2013, Argo, un compte-rendu fictif adapté pour l’écran de la crise des otages iranienne de 1979 a remporté l'Oscar du meilleur film. La Première dame des Etats-Unis, Michelle Obama, avait ouvert en personne l'enveloppe annonçant Argo comme vainqueur. Cela soulève la question suivante : où est la séparation entre médias et Etat ? Il y a certainement une discussion pertinente à entamer sur le sujet.

En fin de compte, un film de propagande qui réécrit l'histoire, blanchit les péchés du passé et déshumanise l'Autre, assure que les mêmes péchés se répètent à l'avenir. « Et, volontairement ignorants, nous ne comprenons pas notre propre complicité. Au lieu de ça, nous condamnons avec autosatisfaction les tueurs sauvages et inhumains qui méritent de subir encore davantage la violence qui les a créés. C’est la recette d’une terreur sans fin », prévient Hedges.

Si l'art imite la vie et vice-versa, alors l'introspection et l'auto-examen restent aussi insaisissables que jamais, ce qui ne fait qu’assurer que des hommes comme Chris Kyle continuer d’être envoyés se faire briser en terres étrangères dans des guerres insensées.

- CJ Werleman est chroniqueur pour Salon et Alternet, et auteur des livres Crucifying America et God Hates You. Hate Him Back. Vous pouvez le suivre sur Twitter : cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale du Middle East Eye.

Légende photo : Chris Pine et la présidente de l'académie des Oscars Cheryl Boone annonçant le film American Sniper comme l'un des nominés aux Oscars du meilleur film (AFP).

Traduction de l'anglais (original).

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