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Israël-Émirats : le roi Salmane d’Arabie saoudite est le grand perdant

Le monarque saoudien préfère garder clandestines ses relations avec Israël. Mais il perd à tous les coups, qu’il se joigne aux Émirats arabes unis ou pas
Le président américain Donald Trump, le roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et le prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane (à gauche) posent pour une photo de groupe à l’occasion du sommet arabo-islamo-américain à Riyad, le 21 mai 2017 (AFP)
Le président américain Donald Trump, le roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et le prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane (à gauche) posent pour une photo de groupe à l’occasion du sommet arabo-islamo-américain à Riyad, le 21 mai 2017 (AFP)

Ce n’était qu’une question de temps avant que ne soit signé l’« accord d’Abraham » entre les Émirats arabes unis (EAU) et Israël. Cet accord de paix entre les deux pays, signé le 13 août, verra le drapeau israélien hissé à Abou Dabi. Mais à Riyad, il sera retardé car le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane privilégieront l’hypocrisie et le secret à l’ouverture et à la transparence. 

Il est peu probable que Mohammed ben Salmane emboîte volontiers le pas à son proche mentor et allié à Abou Dabi, le prince héritier Mohammed ben Zayed

Pourquoi ? Parce que les dirigeants saoudiens préfèrent entretenir des relations clandestines avec Israël, qui restent cachées aux yeux de l’opinion publique. Le roi vieillissant ne veut peut-être pas finir son règne sur une mesure controversée. Quoi qu’il fasse, il est perdant. 

L’accord de paix israélo-émirati constitue un défi supplémentaire pour le royaume. Comme les EAU, l’Arabie saoudite entretenait des relations de bas niveau et en coulisses avec Israël, lesquelles se sont intensifiées au cours du règne de Salmane. La raison d’être de ces relations était la coopération contre un ennemi commun, l’Iran. La coopération technologique, militaire et en matière de surveillance avec Israël visait à renforcer la sécurité de l’Arabie saoudite. 

Silence et hypocrisie

Mais Mohammed ben Salmane n’a pas encore rendu publiques ces initiatives clandestines, qui ne sont jamais discutées ou débattues ouvertement en Arabie saoudite. La plupart des Saoudiens sont au courant du niveau de coopération grâce à ce qui est annoncé en Israël et rapporté dans la presse israélienne. 

Dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’accord de paix, l’Arabie saoudite a géré la normalisation des relations entre les Émirats et Israël en gardant le silence. Ce n’est que le 19 août que le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhan, a annoncé que le royaume respectait l’initiative de paix arabe de 2002 et ne se hâterait pas de normaliser ses relations avec Israël. 

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Dans un avenir proche, il est peu probable que Mohammed ben Salmane emboîte volontiers le pas à son proche mentor et allié à Abou Dabi, le prince héritier Mohammed ben Zayed. Sans de sérieuses pressions du président Donald Trump, il hésitera à se précipiter dans un accord de paix maintenant. 

Compte tenu de la nature controversée de la normalisation des relations avec Israël, qui ne tient absolument pas compte du plan de paix arabe saoudien original, en vertu duquel Jérusalem devait être la capitale d’un État palestinien assuré d’un retour aux frontières de 1967, le roi Salmane ne voudra peut-être pas être associé à l’abandon total des droits des Palestiniens. 

Si le roi choisit de garder le silence et d’ignorer l’initiative émiratie, il sera condamné par ses grands patrons à Washington, Trump et son gendre Jared Kushner, qui se sont tous deux avérés des soutiens loyaux ces quatre dernières années.

Il est peu probable que Trump comprenne pourquoi l’Arabie saoudite est réticente à rendre publiques ses longues relations clandestines avec Israël, car le président américain ne comprend pas pleinement et ne se soucie pas de l’opinion publique saoudienne. Si le roi cède à la pression, il rendra un grand service à Trump à Washington et à Netanyahou en Israël. Tous deux se battent pour survivre, confrontés à de graves crises politiques intérieures. 

L’opinion publique saoudienne

Jusqu’à présent, peu de Saoudiens ont salué l’accord. En fait, comme toujours, certains se sont réfugiés sur les réseaux sociaux pour le dénoncer et réaffirmer leur soutien aux droits des Palestiniens, que l’accord sape pour beaucoup. 

Si le roi et son fils ignorent l’opinion publique saoudienne, qui reste opposée à la normalisation avec Israël sans considération sérieuse des droits des Palestiniens à un État, et se hâtent d’emboîter le pas aux Émirats, ils seront perdants aussi. 

La réaction des Saoudiens reste inconnue. Les journalistes et écrivains ne critiquent pas directement les EAU, ce qui est un tabou dont la violation peut conduire en prison. De même, soutenir ouvertement la cause palestinienne via des manifestations ou l’expression de ses opinions est condamné et conduit toujours à des détentions. 

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Dans la presse officielle, l’accord soi-disant historique est considéré comme une avancée, sans que personne ne se lance dans une évaluation critique des conditions de l’accord ou ne l’encense ouvertement. 

Pour la plupart des commentateurs saoudiens, cet accord est l’exercice par les EAU de leur souveraineté, mettant ainsi fin à tout débat utile sur les termes et conditions du pacte ou ses implications générales pour les Palestiniens.  

Incertitude et silence

Cependant, il y a une petite minorité de Saoudiens qui se démènent pour louer le courage du gouvernement émirati et déclarer comment son nouvel accord ouvre la voie à une paix durable. Le célèbre politologue et romancier saoudien Turki al-Hamad a déclaré sur Twitter que la cause palestinienne n’était pas la sienne. 

Mais nous n’avons pas encore vu le moindre Saoudien annoncer que l’Arabie saoudite serait le prochain pays du Golfe à signer un accord avec Israël. La plupart des commentateurs prédisent qu’il est peu probable que Riyad emboîte le pas à Abou Dabi dans un avenir proche. Le silence et l’incertitude sont aujourd’hui la meilleure stratégie saoudienne pour apaiser la crise. 

Le roi et son fils savent assez bien qu’ils sont fichus s’ils se pressent de normaliser leurs relations avec Israël. La meilleure option pour les dirigeants saoudiens est de garder le silence sur une mesure très controversée qui pourrait s’avérer fatale pour l’héritage du roi. 

Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

 Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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