Comment le 11 septembre a détruit la relation spéciale entre les États-Unis et l’Arabie saoudite
Il y a vingt ans, dix-neuf pirates de l’air participaient aux attentats du 11 septembre aux États-Unis. Quinze d’entre eux étaient des ressortissants saoudiens, principalement originaires du sud-ouest du pays.
Le 11 septembre 2001 a été un catalyseur qui a déclenché une remise en question de la relation américano-saoudienne des deux côtés. Cependant, vingt ans plus tard, aucun des deux camps n’est disposé à admettre qu’il a échoué lamentablement à trouver une alternative à cette relation prétendument spéciale.
Le 11 septembre 2001 a été un catalyseur qui a déclenché une remise en question de la relation américano-saoudienne des deux côtés. Cependant, vingt ans plus tard, aucun des deux camps n’est disposé à admettre qu’il a échoué lamentablement à trouver une alternative à cette relation
Les tensions occasionnelles, les promesses de coopération, les profits financiers et l’animosité clandestine ne rendent guère cette relation spéciale. Les États-Unis ne font plus confiance au régime saoudien, tandis que l’Arabie saoudite doit rester sur ses gardes, de peur que les États-Unis ne déstabilisent sa monarchie absolue ou ne refusent de la défendre face aux menaces intérieures et extérieures.
Oussama ben Laden n’a pas réussi à vaincre le régime saoudien sur ses terres tout au long des années 1990. Il pourrait avoir choisi délibérément des terroristes saoudiens afin d’impliquer le régime saoudien et de pousser les États-Unis à l’abandonner. Dans cette optique, les djihadistes auraient alors pu poursuivre leur ambition à long terme et établir un État islamique juste, libéré de ses suzerains à Washington.
Tant que les États-Unis continuaient de protéger le régime de Riyad, ben Laden pensait probablement qu’il n’avait aucune chance de déclencher une révolution islamique dans le pays des deux saintes mosquées (« Bilad al-Haramaïn »), comme il l’appelait. Il a donc recruté des Saoudiens pour frapper le protecteur du régime et précipiter ainsi une crise sans précédent dans l’histoire des relations américano-saoudiennes.
Le diable incarné
Certes, il est parvenu à empoisonner les relations américano-saoudiennes – après le 11 septembre, la tension entre les deux pays a posé des problèmes à la fois à Riyad et à Washington. Néanmoins, ben Laden a sous-estimé l’interconnexion des intérêts américains et saoudiens, capable de résister à une crise de cette ampleur. Son erreur de calcul l’a mené à sa propre perte.
Les États-Unis ont choisi de ne pas tenir le régime saoudien pour responsable des actes de ben Laden. Quelques jours après l’attentat, de nombreux diplomates, princes et princesses saoudiens ont pu quitter les États-Unis, même si le pays avait fermé son espace aérien quelques heures après l’attentat. De nombreux employés du gouvernement saoudien ont pu rentrer dans leur pays sans être interrogés, notamment l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis, Bandar ben Sultan.
Alors que l’administration républicaine du président George W. Bush continuait de considérer l’Arabie saoudite comme un pays ami, de nombreux Américains, les médias en tête, ont commencé à l’observer sous un angle différent. L’Arabie saoudite, un pays avec lequel les États-Unis entretenaient des liens étroits depuis la Seconde Guerre mondiale, est devenue le diable incarné.
Un mois après le 11 septembre, les États-Unis et leurs alliés ont envahi l’Afghanistan, pays où se trouvaient les camps d’entraînement d’al-Qaïda et depuis lequel les attaques sur le sol américain avaient été planifiées. Deux ans plus tard, les États-Unis ont réuni une autre coalition militaire internationale pour envahir l’Irak, accusé à tort de développer des armes de destruction massive et d’être indirectement impliqué dans les attentats du 11 septembre.
Mis sous pression à l’échelle nationale, les États-Unis ont commandé un rapport sur le 11 septembre et conclu que le régime saoudien n’était pas directement impliqué dans les attentats. L’an dernier, des avocats américains représentant les familles des victimes du 11 septembre ont utilisé divers documents divulgués pour tenter de déterminer si les pirates de l’air avaient agi en tant qu’agents de l’État saoudien ou s’ils étaient des acteurs non étatiques. Il reste à voir ce que décideront les tribunaux de New York et ce que fera l’administration américaine en cas d’implication directe d’acteurs étatiques saoudiens dans les attentats.
Pendant ses huit années de mandat, le président Barack Obama a clairement fait comprendre que les Saoudiens n’étaient pas de véritables alliés ou partenaires. Pourtant, il a quand même réussi à leur vendre suffisamment d’armes et d’avions de chasse pour faire tourner l’industrie militaire américaine. Les États-Unis continuent de fournir des armes à Riyad.
De sérieuses réserves
Président depuis neuf mois, le démocrate Joe Biden perpétue la tradition en maintenant autant de proximité que possible avec les Saoudiens, malgré de sérieuses réserves sur leur comportement récent. L’assassinat en 2018 de Jamal Khashoggi, journaliste pour Middle East Eye et le Washington Post, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, ainsi que le rôle présumé du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane dans ce crime n’ont pas sensiblement changé l’attitude de Biden à l’égard du royaume.
Après l’Afghanistan et l’Irak, les États-Unis semblent avoir renoncé à leur engagement en faveur d’une politique étrangère prônant le « changement de régime » et l’« édification de la nation » qui dominait leur approche des pays qu’ils jugeaient hostiles aux intérêts américains.
Ni le prétendu soutien des États-Unis à la démocratie dans d’autres pays, ni les millions dépensés pour de telles initiatives dans le monde, ni leur puissance militaire n’ont permis de garantir une expérience démocratique fructueuse hors de leurs terres depuis la Seconde Guerre mondiale. En Arabie saoudite, les États-Unis n’ont jamais essayé d’user de leur influence pour pousser le régime à adopter des mesures démocratiques.
Les États-Unis voulaient seulement que l’Arabie saoudite adopte certaines mesures spécifiques pour contribuer à la « guerre contre le terrorisme » menée par Washington. Le wahhabisme, mouvement conservateur au sein de la branche sunnite de l’islam et force religieuse prédominante en Arabie saoudite, a été désigné comme la principale idéologie ayant inspiré ben Laden et ses djihadistes.
Le soutien à des dictatures brutales
La politique étrangère américaine et son soutien inconditionnel à Israël au détriment des droits des Palestiniens est une autre raison pour laquelle de nombreux musulmans se sont tournés vers la violence militante. Mais cette cause n’était pas le véritable moteur de la violence djihadiste. Les recrues ont davantage été inspirées par un amalgame entre la théologie wahhabite et la pensée islamiste radicale moderne.
Le soutien apporté par les États-Unis à de nombreuses dictatures brutales dans le monde arabe est devenu une autre source de mécontentement. Ne parvenant pas à renverser ces régimes oppressifs, les djihadistes ont reproché aux États-Unis de les soutenir.
En Arabie saoudite, les États-Unis n’ont jamais essayé d’user de leur influence pour pousser le régime à adopter des mesures démocratiques
L’Arabie saoudite a sacrifié sa tradition wahhabite afin d’améliorer ses relations avec les États-Unis. Le régime a licencié des prédicateurs, ordonné la fermeture de camps d’été religieux et d’organisations caritatives islamiques, modifié son programme religieux et pris l’engagement de coopérer dans la « guerre contre le terrorisme ».
Riyad a permis aux avions de chasse américains de décoller de ses bases aériennes pour bombarder l’Afghanistan et l’Irak, prouvant ainsi son allégeance à son protecteur. Après le 11 septembre, le régime saoudien voulait se racheter et regagner la confiance de Washington. Riyad voulait que Washington le considère comme une victime du terrorisme, plutôt que comme un de ses commanditaires.
La question de savoir si Washington a été convaincu est une autre affaire. Toutefois, un semblant d’harmonie et de coopération a été maintenu.
Au cours des vingt dernières années, les relations américano-saoudiennes sont restées problématiques. Elles ne retrouveront probablement jamais les niveaux de cordialité qui ont suivi la première rencontre entre un président américain et un roi saoudien, Franklin Roosevelt et Abdelaziz ibn Saoud, à bord d’un navire dans le canal de Suez en 1945.
Aux yeux de Washington, l’Arabie saoudite est une croix qui vaut la peine d’être portée. Riyad se soumet pour sa part à contrecœur aux exigences de Washington.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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