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Héritage du roi Salmane : les rêves d’hégémonie régionale s’achèvent dans la tourmente

Dans la deuxième partie d’une série de textes sur l’héritage du roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, l’universitaire Madawi al-Rasheed soutient que les politiques régionales de l’Arabie saoudite lui ont valu plus d’ennemis que d’amis
Le roi Salmane d’Arabie saoudite préside une réunion virtuelle du gouvernement à Riyad le 22 juillet 2020 (SPA/AFP)
Le roi Salmane d’Arabie saoudite préside une réunion virtuelle du gouvernement à Riyad le 22 juillet 2020 (SPA/AFP)

Le royaume de Salmane aspirait à devenir une puissance hégémonique régionale dans le monde arabe. Mais le rêve a été contrarié lorsque la diplomatie conciliante a progressivement cédé la place aux aventures militaires mal planifiées, aux intrigues et aux démonstrations de force à l’attention des États voisins.

Aucune des politiques régionales du royaume n’a produit les victoires attendues par le roi et son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane – à savoir le couronnement du pays en tant qu’arbitre incontesté des affaires arabes. Au cours des cinq dernières années, les incendies régionaux se sont avérés plus dévastateurs et difficiles à éteindre que prévu.

Tandis que les ressources pour acheter la loyauté des anciens alliés s’amoindrissaient, le royaume de Salmane a eu du mal à maintenir sa stature, et ce même parmi ses alliés arabes les plus fidèles

Pour la première fois depuis l’éclatement de la guerre du Golfe en 1990, le royaume a été témoin d’une détérioration de sa propre sécurité en raison des erreurs de calcul du monarque, qui avait à tort anticipé une défaite rapide de ses ennemis, anciens comme nouveaux.

Les dépenses en armement sans précédent se sont avérées non seulement un gaspillage des revenus pétroliers en baisse, mais également un sujet d’embarras qui a révélé la fragilité des capacités du royaume en matière de sécurité.

Les Saoudiens ont vu leurs territoires reculés, leurs champs pétrolifères et leurs grandes villes être la cible de missiles et de drones sans pouvoir mettre un terme à cette humiliation.

Ces incidents inattendus résultaient directement de l’incapacité du royaume à parvenir à une entente avec l’Iran et à mettre fin à la guerre au Yémen, que le roi Salmane et son fils ont déclenchée en 2015. Si sur le plan militaire, de telles attaques sporadiques contre le royaume n’ont pas entraîné une dévastation totale, elles se sont toutefois révélées être gravement préjudiciables pour la réputation des dirigeants.

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Le royaume, qui ambitionne de devenir une puissance hégémonique, a été attaqué en représailles à sa propre guerre contre le pays le plus pauvre du monde arabe, à savoir le Yémen. Malgré toute la puissance des armes, des avions de combat et de la technologie militaire occidentales, le royaume de Salmane n’a pas réussi à sécuriser ses propres frontières et son propre espace aérien.

Au lieu d’entamer de sérieuses négociations avec l’Iran pour atteindre un modus vivendi et mettre fin à des décennies d’hostilité, les dirigeants saoudiens ont choisi de perpétuer le conflit. Salmane a opté pour une confrontation indirecte avec l’Iran non seulement au Yémen, mais aussi au Liban et en Syrie. Sous sa direction, l’influence iranienne s’est répandue au lieu de diminuer dans les anciens territoires arabes où elle était déjà en hausse, y compris en Irak.

Le Qatar et la Turquie pour cibles

Dans la région, Salmane a déclenché la fragmentation du Conseil de coopération du Golfe en ostracisant le Qatar et en encourageant d’autres pays à lui emboîter le pas, espérant que les sanctions contre son petit voisin précipiteraient sa chute. Mais ses plans pour renverser l’émir du Qatar et installer un régime fantoche de l’autre côté de la frontière ont échoué.

Salmane a également réussi à se créer de nouveaux ennemis en s’attirant l’hostilité de la Turquie, où les agents de son fils ont commis ce que l’on peut appeler le crime du siècle, à savoir assassiner du journaliste Jamal Kashoggi au consulat saoudien à Istanbul.

Un manifestant avec un masque du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et les mains peintes en rouge lors d’un rassemblement de protestation suite au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en 2018 à Istanbul, en Turquie (AFP)
Un manifestant avec un masque du prince héritier saoudien et les mains peintes en rouge lors d’un rassemblement de protestation suite au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en 2018 à Istanbul (AFP)

Quand les médias turcs ont brossé un tableau horrible des dernières heures du journaliste, luttant pour sa vie face aux couteaux des assassins, le royaume de Salmane a été acculé comme un État voyou prêt à commettre des crimes brutaux et effroyables d’une ampleur inouïe. La réputation de l’Arabie saoudite en tant que monarchie bienveillante a été détruite en un seul acte, alertant la communauté internationale sur un nouveau style de comportement voyou sous le règne du roi et de son fils.

Ailleurs dans la région arabe, le roi Salmane a cherché à consolider d’anciennes alliances avec des pays comme Bahreïn, l’Égypte, la Jordanie et le Maroc. Mais ces efforts n’ont pas permis de garantir la sécurité. Ces États ont refusé de soutenir sans réserve les efforts militaires saoudiens au Yémen et ont préféré poursuivre des politiques régionales indépendantes.

Et tandis que les ressources pour acheter la loyauté des anciens alliés s’amoindrissaient, le royaume de Salmane a eu du mal à maintenir sa stature, et ce même parmi ses alliés arabes les plus fidèles.

Abandon des Palestiniens

Le royaume de Salmane a violé un tabou séculaire en initiant de nouveaux canaux diplomatiques avec Israël, recherchant son expertise militaire et technologique pour contrer sa propre insécurité et vulnérabilité croissantes. Ces appels du pied problématiques ont montré jusqu’où Riyad était prêt à aller sous la pression régionale.

L’histoire se souviendra du royaume de Salmane comme d’un pays qui s’était jadis engagé à soutenir les Palestiniens et qui a rapidement inversé cette politique en faveur de relations pragmatiques et ad hoc avec la puissance qui a causé leur déplacement et leur souffrance

L’histoire se souviendra du royaume de Salmane comme d’un pays qui s’était jadis engagé à soutenir les Palestiniens et qui a rapidement inversé cette politique en faveur de relations pragmatiques et ad hoc avec la puissance qui a causé leur déplacement et leur souffrance. Ce soi-disant médiateur de paix a démontré qu’il ne se souciait vraiment pas des Palestiniens et de leur sort.

Salmane a choisi de suivre une voie dangereuse qui n’a ni apporté la paix, ni résolu le conflit israélo-palestinien. Les Saoudiens ont perdu non seulement la possibilité de jouer un rôle majeur pour mettre fin à ce conflit, mais aussi la crédibilité et l’impartialité d’un honnête négociateur de paix.

Les politiques régionales du royaume de Salmane ont échoué et ont contribué à créer un vide dans le monde arabe. La région est maintenant plus fragmentée et désorientée que jamais. Riyad ne sera jamais couronnée en tant que capitale arabe où les décisions majeures sont prises et envers qui d’autres pays arabes sont enclins à faire preuve de déférence. Le royaume se retrouve seul dans sa tentative de direction d’une région en ébullition.

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L’Arabie saoudite n’a jamais connu un recul de son influence dans le monde arabe aussi radical que celui qu’il a subi sous la direction de Salmane. Son royaume est maintenant considéré comme une puissance prédatrice qui se débat pour améliorer son nom et sa réputation – et qui a désormais plus d’ennemis que d’amis.

Vous pouvez lire le premier article de cette série en trois parties en cliquant ici.

Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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