Ce que les Panama Papers nous apprennent sur le terrorisme et la mondialisation
La signification du terme « mondialisation » varie selon les personnes, mais le fait est que la « mondialisation » est plus ou moins un euphémisme désignant la colonisation occidentale du monde en développement – cette fois néanmoins, non pas par la puissance coercitive de l’impérialisme de l’État-nation, mais par la puissance de conviction de Wall Street et Hollywood.
Malcolm Waters, théoricien politique, a appelé mondialisation l’« universalisation des concepts idéologiques et politiques occidentaux ». Mais bien plus que cela, la mondialisation a transporté les politiques économiques privilégiées par Wall Street que sont les pots-de-vin et le blanchiment légalisés dans les pays en développement – en particulier dans les pays du Golfe et en Asie centrale.
La mondialisation a universalisé la protection économique des super-élites. Aujourd’hui, les 1 % les plus riches au monde possèdent plus que les 60 % les plus pauvres réunis. La mondialisation des politiques économiques a exacerbé les différences socio-économiques et politiques entre les « nantis » et les « démunis ». Aujourd’hui, au lieu d’investir ou de payer des impôts dans leur propre pays, les « nantis » de la super-élite déposent leur richesse exceptionnelle dans des sociétés dormantes situées dans des pays exotiques que les « démunis » n’auront jamais les moyens de visiter, même en vivant plusieurs vies.
C’est la mondialisation des politiques économiques privilégiées par Wall Street qui se trouve à la racine du genre d’extrémisme violent désormais associé au « terrorisme islamique », mais nous y reviendrons plus tard.
Cette semaine, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié ce qui est désormais connu sous le nom de « Panama Papers » – une base de données contenant 11 millions de pages de documents du cabinet d’avocats Mossack Fonseca.
Ce cabinet a aidé tout le monde (du président russe Vladimir Poutine à la famille royale saoudienne, des potes du président syrien Bachar al-Assad au Premier ministre pakistanais) à déposer des dizaines de milliards de dollars sur des comptes bancaires offshores dans le but probable soit d’éviter les impôts dans leurs pays respectifs, soit de protéger leur patrimoine vis-à-vis des organismes de régulation nationaux.
En d’autres termes, lorsque les dirigeants du monde et leurs acolytes ne privent pas leur pays d’origine des recettes fiscales nécessaires pour investir dans des programmes d’infrastructure et de protection sociale, ils truquent les règles fiscales, comme l’ont fait les super-élites en Amérique ces trente dernières années, afin de transférer leur fardeau fiscal sur les échelons intermédiaires et inférieurs de l’échelle économique, tout en réduisant dans le même temps les programmes gouvernementaux en vue de compenser la réduction des recettes fiscales nationales brut.
Les fruits de ces politiques économiques privilégiées par Wall Street comprennent la pauvreté généralisée, l’inégalité des revenus, la stagnation des salaires et une perte de pouvoir de la classe des électeurs. En Amérique, cela a fourni l’espace politique suffisant pour l’émergence d’une personnalité autoritaire et fasciste en tant que candidat légitime au Bureau ovale. Au Moyen-Orient, ces politiques économiques désormais universelles ont créé l’espace nécessaire aux groupes religieux anti-gouvernementaux et radicaux pour prendre racine.
Alors que les racistes et fascistes font aisément croire au sous-prolétariat conservateur américain que ce sont les immigrants qui l’ont privé de sa mobilité socio-économique, au Moyen-Orient, les radicaux persuadent facilement le sous-prolétariat conservateur que c’est l’importation des valeurs occidentales (mondialisation).
Graham Fuller, politologue à la Rand Corporation, explique comment, dans les pays non-occidentaux, les gens sont confrontés à ce qui peut facilement être interprété comme une preuve de la responsabilité des valeurs occidentales dans la dégradation socio-économique de leurs sociétés.
« Les systèmes de marketing et de communication internationaux créent des autoroutes pour l’importation massive de matériaux culturels étrangers – qu’il s’agisse de nourriture, de médicaments, de vêtements, de musique, de cinéma, de livres, de programmes de télévision, même de valeurs – avec une perte de contrôle concomitante sur les sociétés, les symboles et les mythes. Ces angoisses culturelles alimentent davantage les groupes politiques radicaux qui demandent l’authenticité culturelle, la préservation des valeurs traditionnelles et religieuses et le rejet des antigènes culturels étrangers », écrit Fuller. « Les Big Mac deviennent des symboles tape-à-l’œil de la puissance américaine – politique, économique et militaire – sur les sociétés et États faibles ou hésitants. »
Alors que la critique de Fuller dévie un peu trop vers la thèse largement discréditée du « choc des civilisations », il faut dire que les invasions, occupations, bases militaires et protectorats des États-Unis au Moyen-Orient ne font que renforcer cette anxiété chez beaucoup de personnes qui se tournent vers la violence contre l’Occident ou contre les gouvernements soutenus par l’Occident. Ayman al-Zawahiri, le fondateur d’al-Qaïda en Irak, a identifié l’ennemi du Moyen-Orient comme un consortium d’entités et d’institutions qui pourraient toutes être associées à la mondialisation idéologique occidentale.
« Les forces occidentales qui sont hostiles à l’islam ont clairement identifié leur ennemi. Elles sont rejointes en cela par leur vieil ennemi, la Russie. Elles ont adopté un certain nombre d’outils pour combattre l’islam, notamment : 1. L’ONU. 2. Les dirigeants amicaux des peuples musulmans. 3. Les sociétés multinationales. 4. Les systèmes de communication et d’échange de données internationaux. 5. Les agences de presse et les canaux médiatiques par satellite internationaux. 6. Les organisations humanitaires internationales… », a décrit al-Zawahiri dans son « University of Battles ».
En ce sens, la mondialisation, comme l’indique Benjamin Barber, a préparé la confrontation d’aujourd’hui entre le « McWorld » et le « djihad ». Alors que seule une poignée d’Arabes et d’Iraniens ont été nommés dans la première série de documents divulgués, nous pouvons être à peu près sûrs qu’il y aura beaucoup plus de noms à venir. L’écho de ces révélations va accroître la force de séduction de ceux qui avancent que le Moyen-Orient est attaqué par le « McWorld ».
Et ceux qui ont planqué leur richesse obscène dans les banques du Panama, des îles Caïmans et d’ailleurs ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes pour le chaos social et la violence qui s’abattent ou s’abattront sur leur trône, leur junte et leur gouvernement.
« Regardez l’état actuel du Moyen-Orient », demande Haroon Moghul, chroniqueur de Quartz. « Et combien de milliards de dollars, voire de milliers de milliards, ont été gaspillés dans la poursuite du plaisir, d’actes hédonistes, de projets futiles, de cultes de la personnalité et de revanches. Tout l’argent qui aurait pu être investi dans l’avenir d’une région qui était autrefois l’une des plus dynamiques du monde. »
En fin de compte, le terrorisme prend toujours racine dans les inégalités socio-économiques et politiques. Ce sont ces inégalités qui avaient également donné lieu au Printemps arabe et aux manifestations révolutionnaires syriennes. Les Panama Papers révèlent que le plus riche particulier syrien, qui est étroitement lié à Assad, a fait passer 24 millions d’euros sur des comptes bancaires offshores. La Syrie est déjà à feu et à sang, mais alors que l’ICIJ travaille à de nouvelles révélations, il est probable que celles-ci déstabilisent davantage une région déjà instable.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : photographie prise le 7 avril 2016 à Munich, dans le bureau du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, qui montre plusieurs numéros du 4 avril 2016, titrant sur les « Panama Papers » avec des illustrations de l’artiste allemand Peter M Hoffmann représentant les chefs d’État (AFP/CHRISTOF STACHE).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].