Aller au contenu principal

Comment G4S a-t-elle pu tolérer la haine homophobe du terroriste d’Orlando ?

L’aventure homophobe d’Omar Mateen avec l’État islamique a vu le jour dans les entrailles d’un complexe de sécurité nationale dominé par la droite chrétienne

Omar Mateen, le terroriste qui a massacré 49 personnes et fait 53 blessés dans la discothèque Pulse d’Orlando, en Floride, a prêté allégeance à l’État islamique lors d’un appel téléphonique au 911 au cours de l’attaque.

Cette connexion a attiré l’attention à juste titre sur le rôle insidieux de l’État islamique dans la légitimation de la violence contre les civils théologiquement déshumanisés : les Yézidis, les musulmans chiites, les musulmans sunnites qui s’opposent à l’État islamique et les membres de la communauté LGBT, pour ne nommer que quelques-uns des « déviants » que l’État islamique veut annihiler.

Pourtant, l’évolution idéologique de Mateen nous emmène bien au-delà de l’idée banale qu’il s’agissait d’une atrocité « parmi d’autres » inspirée par l’État islamique.

G4S et la plus grande fusillade de masse de l’histoire des États-Unis

Mateen était un employé de longue date du géant de la sécurité G4S, une société britannique qui fournit des services de sécurité à de nombreux gouvernements à travers le monde.

Il a rejoint G4S en septembre 2007 en tant qu’agent de sécurité armé et en est resté un employé jusqu’à ce que la police l’abatte à Orlando.

Pourtant, avant son passage chez G4S, Mateen n’était pas homophobe.

Il y a dix ans, selon Samuel King, un ancien ami de lycée, Mateen « n’avait pas de problème avec la communauté LGBT ».

Mateen était ami avec King, qui était pourtant drag queen et gay, et se rendait au restaurant où il travaillait, où il « riait avec nous. Il pouvait même s’asseoir au bar, boire un verre et rire avec les barmaids tout en sachant qu’elles étaient lesbiennes. »

King a vu Mateen pour la dernière fois en 2009. Qu’est-ce qui a donc changé depuis ?

Le tournant

Selon l’ex-femme de Mateen, Sitora Yusufiy, Mateen est devenu de plus en plus violent après leur mariage en avril 2009, deux ans après son arrivée chez G4S : « Il pouvait rentrer à la maison et commencer à me battre juste parce que le linge n’était pas fini ou quelque chose de ce genre. »

Elle a décrit un homme malade mental, instable et souffrant de troubles bipolaires, qui prenait « des stéroïdes ». Yusufiy a expliqué que Mateen n’était pas particulièrement religieux et « semblait être quelqu’un de normal ».

Néanmoins, il affichait déjà des tendances homophobes : « Il y avait des moments où il exprimait son intolérance envers les homosexuels », a-t-elle affirmé. Au bout de quelques mois, le mariage a été rompu et Yusufiy a été secourue par ses parents.

Au cours de son mariage avec Yusufiy, en travaillant pour G4S, Mateen était employé comme agent correctionnel au centre régional de détention pour mineurs de Saint Lucie, près de Fort Pierce, géré par le département de la justice pour mineurs de l’État de Floride. La société commanditée par le ministère pour gérer l’installation est G4S.

Le problème est que l’approche de G4S de la sécurité intérieure sur le territoire américain équivaut à un vivier d’abus, de violences sexuelles, d’extrémisme et d’homophobie au quotidien et toléré aux plus hauts échelons de la direction de G4S.

Les responsables homophobes de G4S en Floride

En octobre dernier, quatre agents de sécurité de G4S ont engagé une action en justice pour discrimination religieuse à l’encontre de la société basée en Floride, qui les a licenciés lorsqu’ils se sont plaints du sectarisme extrémiste et homophobe de leur superviseur principal chez G4S.

Le procès, qui réclame 3,5 millions de dollars de dommages et intérêts, indique que le kiosque G4S où les gardes travaillaient, dans un centre commercial, était géré par « un superviseur qui était un fervent chrétien et qui disait aux employés que les membres gays de leur famille iraient en enfer, montrait des vidéos sur les Illuminati et annonçait que le kiosque de sécurité pouvait être attaqué par des démons », d’après une publication locale de Portland.

Le superviseur affichait des versets bibliques sur les murs et organisait quotidiennement des « cercles de prière » avec deux autres gardes dans le cadre d’une campagne d’« évangélisation fervente », indiquent les documents judiciaires.

Lorsque les employés de G4S ont déposé des plaintes écrites devant la haute direction au sujet de ce comportement, elles ont été sommairement rejetées, précisent les documents.

Abriter des visions extrémistes et sectaires semble aller de soi chez G4S, comme cela a été clairement illustré après que Dan Gilroy, ancien collègue de Mateen chez G4S, s’est plaint auprès de ses supérieurs au sujet du sectarisme incessant de son collègue.

Ancien officier de police à Fort Pierce, Gilroy avait travaillé avec Mateen pendant plusieurs mois entre 2014 et 2015. Il a décrit Mateen comme un homme ouvertement raciste, homophobe et antisémite.

« J’ai démissionné parce que tout ce qu’il disait était toxique et que l’entreprise ne réagissait pas, a indiqué Gilroy. Ce type était déséquilibré et instable. Il parlait de tuer des gens. »

Les plaintes de Gilroy auprès de ses supérieurs chez G4S n’ont eu aucun effet. Après cela, Mateen a même commencé à le harceler en lui envoyant tous les jours des dizaines de SMS et de messages, ce à quoi la société n’a pas réagi. Gilroy a estimé qu’il n’avait d’autre choix que de demander un transfert et finalement de démissionner pour s’éloigner de Mateen.

G4S a affirmé que Mateen a passé un contrôle de sécurité lorsqu’il a été embauché et a été examiné une nouvelle fois en 2013, ne donnant lieu à « aucune conclusion défavorable ».

Pourtant, Gilroy n’était pas le premier de ses collègues au sein de la société à s’être plaint de ses penchants meurtriers. Le FBI avait déjà interrogé Mateen en 2013 et en 2014 et l’avait même placé temporairement sur une liste de surveillance terroriste lorsque ce dernier avait fait part à des collègues de sa sympathie pour des groupes militants ou terroristes que l’agence n’a pas publiquement identifiés.

Ainsi, autour de cette période, Mateen avait soudainement commencé à afficher un intérêt accru pour une idéologie islamiste extrémiste et belliqueuse. Au moment où il a rencontré Gilroy, il avait commencé à prier régulièrement et apportait son tapis de prière au travail. Toutefois, même Gilroy a observé que la religiosité ritualiste de Mateen était complètement en désaccord avec son comportement : il vitupérait fréquemment contre les noirs, affichait un intérêt sexuel pour des femmes au hasard et parlait ouvertement de son souhait de tuer des gens.

G4S n’a pas encore apporté de précisions expliquant son absence de réaction suite à ces plaintes répétées, qui auraient dû au minimum donner lieu à une enquête interne sur la conduite professionnelle de Mateen.

G4S et le complexe de sécurité meurtrier

Il semble néanmoins difficile d’éviter la conclusion selon laquelle les dirigeants de G4S ne voyaient tout simplement pas les tendances sociopathes de Mateen comme un problème. De la même manière que la direction de G4S a décidé de protéger un superviseur chrétien extrémiste et homophobe à Portland, celle-ci a préféré ne pas contenir l’extrémisme ouvertement meurtrier de Mateen.

La protection récurrente par G4S des tendances violentes et racistes de ses agents de sécurité semble être un problème mondial institutionnalisé pour le contractuel du gouvernement.

Au cours de la dernière décennie, l’entreprise a été en proie à des scandales dus à des allégations et rapports faisant état d’une tolérance systémique pour des abus étonnants.

En Floride uniquement, G4S Youth Services, qui gère 30 centres d’hébergement et de détention pour mineurs à travers l’État, a dû faire face à de nombreux cas d’accusations d’abus sexuels à l’encontre de jeunes garçons contre des employés ; un établissement de détention a notamment affiché un tel niveau d’inaptitude, d’abus et d’insalubrité qu’il a été condamné par un grand jury comme « une honte pour l’État de Floride ».

En effet, selon un rapport de l’American Friends Services Committee, « en Floride, des rapports concordants font état d’abus sexuels, du recours à une force excessive, d’émeutes récurrentes et de nombreuses actions en justice engagées par la suite contre la société ».

Au Malawi, au Mozambique et en Afrique du Sud, entre autres pays où G4S a conclu des contrats de sécurité, des plaintes officielles conformes aux directives de l’OCDE ont décrit des témoignages inquiétants « de ségrégation raciale et de salaires de misère » discriminatoires envers les travailleurs noirs employés par la société.

Il a été rapporté que des employés de G4S en Grande-Bretagne se livraient régulièrement à des plaisanteries racistes, misogynes et homophobes, tandis que les services à l’enfance de la société ont systématiquement soumis des enfants à des sévices physiques entraînant souvent des « blessures pouvant causer la mort ».

Chat échaudé ne craint toujours pas l’eau froide

Pire encore, Omar Mateen est loin d’être le premier cas dans lequel G4S a fermé les yeux face à des signes avant-coureurs de l’instabilité dangereuse d’un employé qui résulte finalement en une folie meurtrière.

C’est exactement ce qui est arrivé en 2009, lorsque le vétéran militaire Danny Fitzsimons a été embauché par la firme et envoyé en Irak. Fitzsimmons était raciste, avait un casier judiciaire, avait été diagnostiqué comme souffrant de trouble de stress post-traumatique et, au moment de son embauche, était en liberté sous caution et n’était pas autorisé à quitter la Grande-Bretagne.

G4S n’y a pas prêté attention. Trente-six heures après avoir atterri en Irak, Fitzsimmons a abattu deux de ses collègues.

Dans le cas de Mateen, la réponse a été identique. Bien qu’il ait fait part à plusieurs reprises à ses collègues de G4S de son désir de tuer des gens, de sa sympathie pour les terroristes ainsi que de ses visions racistes, homophobes et antisémites, ses supérieurs au sein de G4S ont choisi de continuer à lui confier une arme, à le rendre potentiellement dangereux et à lui verser un salaire.

Les rouages exacts du voyage de Mateen jusqu’aux bras de l’État islamique demeurent inconnus. Mais ce qui est clair, c’est que le complexe de la sécurité nationale privatisée dans laquelle il a opéré lui a offert un environnement fertile et toxique qui, à tout le moins, n’a rien fait pour empêcher sa conversion en un fanatique haineux et meurtrier.

L’étendue réelle du caractère « islamique » de ses motivations peut être discernée à partir des déclarations de témoins oculaires qui ont indiqué que Mateen s’est rendu au Pulse au moins une douzaine de fois avant la fusillade, où il se saoulait et discutait parfois avec des fêtards.

Jugez l’ironie : la plus grande société de « sécurité » au monde en termes de recettes a apporté l’environnement idéal pour que s’épanouisse un terroriste meurtrier, ivre et homophobe qui a prêté allégeance à l’État islamique au beau milieu d’une tuerie.

Dans ce contexte, une vraie question se pose : pourquoi les contribuables devraient-ils continuer à financer G4S afin qu’elle puisse récolter des milliards de dollars tout en tolérant des extrémistes sectaires au nom de la « sécurité » ?

Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle la « crise de la civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independent, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une équipe d’intervention SWAT inspecte le toit du dépôt de trésorerie de G4S à Västberga, Stockholm (Suède), le 23 septembre 2009 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].