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Comment les partis politiques libanais exploitent le coronavirus pour reprendre le contrôle

Quarante-cinq ans après le début de la guerre civile libanaise, l’aide humanitaire dans le cadre de l’épidémie de coronavirus est devenue le nouveau champ de bataille de partis politiques rivalisant pour consolider leur emprise sur la population
Une peinture murale représente un garçon portant un masque au nord de Beyrouth le 30 mars 2020 (AFP)

Peu de temps après la détection du premier cas de nouveau coronavirus dans le pays, le gouvernement libanais a pris plusieurs mesures en réponse : fermeture des écoles et universités, mise à l’arrêt de l’aéroport international, imposition d’un confinement à l’échelle nationale et tentative, avec ses maigres ressources, de renforcer un secteur de la santé publique en pleine débâcle.

Comme pour d’autres crises au Liban, la société civile, les familles, les médias et de nombreux autres groupes se sont mobilisés pour se joindre aux efforts visant à atténuer les conséquences locales de la pandémie. Les partis politiques traditionnels se sont également proposés pour fournir des services à leurs circonscriptions.

Bien que ces efforts puissent s’avérer vitaux à court terme, ils auront en fin de compte un effet négatif sur le Liban – du moins pour ceux qui ont œuvré pour apporter un véritable changement dans le pays lors de la « révolution d’octobre ».

L’aide comme outil de marketing

Les partis politiques traditionnels ont déployé un large éventail de mécanismes dans la « guerre » contre le coronavirus, arborant des tenues colorées, faisant des tournées en convois et érigeant des « postes de contrôle de sensibilisation », entre autres. Certains partis ont organisé des visites pour les journalistes internationaux et locaux afin de montrer les préparatifs en cours.

Des photos de masques customisés avec les logos des partis politiques traditionnels circulent sur les réseaux sociaux. Tout comme la pulvérisation de désinfectant dans les rues, ces mesures ne sont pas bénéfiques et pourraient même être nocives. En outre, elles en disent long sur la politique de ces groupes.

[Les partis] visent avant tout à faire en sorte que les citoyens ne se sentent pas en sécurité, ou du moins à nourrir et entretenir des sentiments d’insécurité et de vulnérabilité en pleine pandémie

Certains militants indépendants avertissent que de telles mesures sont un moyen pour les partis traditionnels de retrouver leur légitimité après avoir été ébranlés par le mouvement pro-réforme qui a commencé le 17 octobre – il s’agirait de mettre au défi ceux qui sont descendus dans la rue pour exiger la responsabilisation des élites et contester les autorités.

Peut-être plus important encore, ces interventions sont une tentative claire de la part des partis politiques visant à renforcer leur emprise et consolider davantage les frontières sectaires et politiques.

Le fait que ces groupes politiques insistent à faire de la publicité pour leurs stratégies d’intervention est très révélateur. Ils visent avant tout à faire en sorte que les citoyens ne se sentent pas en sécurité, ou du moins à nourrir et entretenir des sentiments d’insécurité et de vulnérabilité en pleine pandémie et alors que la situation économique est désastreuse.

Ainsi, ces groupes ne sont pas intéressés à mettre en œuvre une vision sociétale nationale, mais à façonner leurs propres sociétés en dehors des institutions étatiques extérieures et à les gouverner en conséquence.

Des racines historiques

Les réponses des partis politiques à la crise sanitaire doivent être comprises à la lumière de la manière dont la gouvernance a historiquement pris forme au Liban. Depuis au moins la fin du XIXesiècle, et plus tard avec la création de l’État libanais, plusieurs acteurs et associations se sont donné pour mission d’offrir des services clés à la société, notamment en matière d’éducation et de santé.

En tant que concurrents de l’État, bien que tolérés par ce dernier, ils ont trouvé dans la guerre civile (1975-1990) une occasion en or pour établir leurs propres ordres territoriaux. Les milices ont pris en charge leurs zones respectives, offrant de la nourriture, des services et l’entretien des infrastructures. Ces frontières ont été maintenues dans le Liban d’après-guerre et seront davantage consolidées avec l’effondrement économique à venir.

Un officier de sécurité libanais fait appliquer le couvre-feu dans le cadre de l’épidémie de coronavirus à Beyrouth le 23 mars 2020 (AFP)
Un officier de sécurité libanais fait appliquer le couvre-feu dans le cadre de l’épidémie de coronavirus à Beyrouth le 23 mars 2020 (AFP)

La phase post-coronavirus au Liban sera très probablement définie par l’effondrement économique, voire la faillite de l’État. La pénurie de dollars américains disponibles sur le marché, nécessaires pour importer des produits essentiels, sera un défi. Le Liban importe plus de 85 % de ses produits alimentaires de base. Aujourd’hui, 45 % des Libanais vivent dans la pauvreté et 22 % dans l’extrême pauvreté. L’inflation monte en flèche et devrait atteindre 25 % cette année.

Au lieu d’opérer depuis l’intérieur de l’État et de renforcer les institutions publiques, les partis politiques se sont précipités pour aider les « nécessiteux ». Alors qu’ils ne disposent pas eux-mêmes des ressources financières nécessaires, les partis ont eu recours à des méthodes alternatives, comme le financement participatif ; à l’instar du Courant patriotique libre du président Michel Aoun qui a ouvert un compte bancaire en vue de collecter de l’argent pour ceux qui en ont besoin.

Nourrir l’insécurité

Les mesures de lutte contre le coronavirus mises en place par le gouvernement sont ambiguës, permettant aux administrations locales de prendre des décisions indépendantes. En l’absence de toute direction claire et centralisée, certaines municipalités ont ainsi fermé leurs entrées principales, érigé des postes de contrôle et isolé leurs zones respectives.

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À travers les tentatives qu’ils déploient pour répondre à la crise – comme la distribution d’essence et de riz en tant que « fournitures de subsistance » –, les acteurs politiques encouragent non seulement la dépendance à l’égard du système de faveurs et de relations, mais cultivent également un sentiment d’insécurité et d’instabilité qui vise à leur permettre de gagner en légitimité et de consolider davantage leur contrôle sur leurs zones respectives.

De fait, peu de temps après le début de la révolution, de nombreux politiciens ont averti les citoyens que le pays traverserait une période de famine. Qu’elle soit réelle ou non, cette menace rend les populations plus vulnérables et donc plus dépendantes des partis.

Leur objectif n’est pas seulement de s’emparer de l’État déjà en faillite, mais d’affirmer le contrôle de leurs territoires et communautés respectifs. Si la saisie des ressources de l’État était cruciale pour garantir leur survie dans le Liban d’après-guerre, aujourd’hui, alors que l’économie est en difficulté et que les fonds publics viennent à manquer, s’emparer du contrôle de la société est leur moyen de survie.

Bien que ces mécanismes créent effectivement des géographies d’auto-isolement, elles deviendront des « géographies de la pauvreté » à la suite de l’effondrement économique imminent. La menace est aujourd’hui le coronavirus, mais bientôt, ce sera la famine. Les mêmes acteurs s’engouffreront probablement dans la brèche.

Entre utopie et souffrance

S’il n’est pas question ici d’aborder de manière critique les succès et lacunes de la révolution, il est crucial néanmoins de souligner la nécessité d’exprimer la lutte différemment. Le discours général a été chargé de connotations négatives, de l’effondrement économique aux craintes liées au virus.

La menace est aujourd’hui le coronavirus, mais bientôt, ce sera la famine

Peut-être plus que jamais auparavant, l’heure est venue de se concentrer sur la culture de l’espoir et de regarder les crises, tant sanitaire qu’économique, non pas comme une fin mais comme un moment constitutif pour l’avenir du pays – à l’instar de nombreux appels à travers la planète à imaginer un monde nouveau.

Cet espoir n’est pas un projet utopique. Ce devrait être un projet politique à même d’assurer la jonction entre l’utopie de la révolution et les intérêts de ceux qui souffrent le plus du système et en dépendent. Ce projet politique n’a pas encore vu le jour ni atteint ceux qui le concrétiseraient – du moins pas encore.

- Jamil Mouawad est maître de conférences en science politique à l’Université américaine de Beyrouth.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Jamil Mouawad is a Lecturer in Politics at the American University of Beirut.
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