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Comment l’État islamique cherche à exploiter la cause palestinienne

La cause palestinienne n’est pas le récit qu’en fait l’État islamique, ni un « amour de la mort » des Palestiniens comme le prétend l’extrême droite israélienne

Le soi-disant État islamique (EI) utilise la nouvelle vague de violence dans les territoires palestiniens occupés à ses propres fins. Cette cooptation de la question palestinienne pose de réels problèmes au peuple palestinien. Cela pose également des problèmes majeurs aux pays européens que menace l’EI et qui, à la suite des attentats de Paris et de Bruxelles, s’efforcent d’améliorer le programme européen en matière de sécurité.

Les tentatives de l’EI visant à placer les attaques au couteau dans le cadre de son credo djihadiste-salafiste constituent de dangereuses incitations à la violence. En outre, ce recadrage alimente directement la diabolisation du discours palestinien par des voix hostiles aux droits des Palestiniens, réduisant une rébellion palestinienne contre une puissance occupante au même type de « terrorisme » que le fanatisme religieux de l’EI.

Les initiatives européennes ont notamment tenté de lutter contre l’attrait apparent de l’idéologie de l’EI avec la mise en place de contre-discours. Les défis auxquels ces initiatives sont confrontées ont été largement débattus ailleurs. Cependant, un élément hautement politisé du discours de l’EI est absent des campagnes de contre-discours : sa propagande sur la Palestine.

L’importance stratégique de la Palestine pour attirer certains publics est indéniable. Elle bénéficie d’une grande légitimité parmi les musulmans, même si elle n’est pas une question essentiellement religieuse et que de nombreux Palestiniens sont chrétiens. Cela s’explique peut-être en grande partie par l’importance des lieux saints de Jérusalem, mais cela pourrait également être lié à la perception de la Palestine comme un lieu d’affrontement entre une population indigène, en grande partie musulmane, opprimée par une puissance coloniale non-musulmane moderne.

Les djihadistes salafistes évoquent souvent l’axe « sioniste-croisé » dans leur rhétorique plus générale. Malgré le fait que 88 % des Palestiniens pensent que l’EI « ne représente pas le véritable islam », le groupe djihadiste-salafiste continue de mentionner les Palestiniens dans ses publications, tentative apparente de coopter cette question et de l’utiliser pour obtenir un soutien.

L’exploitation de la Palestine par l’EI a été particulièrement manifeste avec le début de la récente vague d’attaques au couteau palestiniennes et d’exécutions extrajudiciaires israéliennes en octobre 2015. Les attaques au couteau en elles-mêmes n’ont pas été reliées à un groupe spécifique, l’EI n’a pas non plus revendiqué une quelconque attaque.

Néanmoins, l’EI a applaudi les attaques au couteau et activement appelé à la violence contre les juifs. Il explique que c’est important « non pas pour un morceau de terre ou une patrie ou une quelconque affiliation partisane, mais au nom de Dieu ».

C’est une présentation tendancieuse dangereuse et violente de la question palestinienne, laquelle concerne l’obtention des droits des Palestiniens et ne doit jamais être utilisée comme prétexte à l’antisémitisme (et l’est rarement). De même, cette présentation tendancieuse ne correspond pas, par exemple, au petit mot laissé par une jeune Palestinienne qui a été tuée lors d’une tentative d’attaque au couteau en novembre 2015 et dans lequel elle disait avoir agi pour défendre sa patrie.

La liste des vidéos de l’EI au sujet des attaques au couteau comprend également de vives critiques de la politique palestinienne : « N’attendez rien du Fatah et du Hamas. Ne cherchez pas des solutions de leur côté. Il n’y a pas de paix dans ce qu’ils ont à offrir. Fiez-vous à Dieu ». En fait, le groupe cherche activement à exacerber les problèmes existants en Palestine, comme la fragmentation de la politique nationale. L’EI choisit donc de traiter certains éléments de la question palestinienne et de les arranger très différemment de la façon dont les Palestiniens voient leur lutte pour l’auto-détermination.

Les doléances palestiniennes qu’exacerbe et arrange à sa façon l’EI sont ancrées dans les politiques israélienne, américaine et européenne à l’égard des Palestiniens. Cela ne veut pas dire que la communauté internationale est responsable de l’appropriation ostensible de la question palestinienne par l’EI ; mais plutôt que la marginalisation continue des voix palestiniennes dans l’intérêt de la sécurité et de la stabilité d’Israël – sans tenir compte des violations flagrantes des droits des Palestiniens par Israël et de son projet de colonisation implacable, et illégale – est exploitée par un groupe dangereux qui menace de nombreux pays de la région et au-delà.

Les récentes mesures de l’Union européenne telles que les directives sur l’étiquetage des produits provenant des colonies israéliennes illégales sont un pas dans la bonne direction. Pourtant, celles-ci doivent faire partie d’un changement plus large de paradigme, s’écartant du confinement de la version palestinienne pour des raisons de sécurité, ce qui a été institutionnalisé à travers des politiques telles que les efforts de réforme du secteur de la sécurité soutenus par l’Occident en Cisjordanie et à Gaza.

J’ai dit ailleurs que je pense qu’il est important pour les Palestiniens de lutter contre le détournement de leur message, mais la diabolisation des Palestiniens par Israël et d’autres est un facteur important. Il faut cesser de décrire la violence politique palestinienne comme un « terrorisme » qui proviendrait d’une « culture de la mort » comme le prétend le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.

Bien sûr, un changement de paradigme ne va pas résoudre immédiatement la question israélo-palestinienne. Rien ne prouve que les doléances palestiniennes soient la seule cause, ni même la cause principale, de la radicalisation des sympathisants de l’EI.

Le fait est que faciliter l’expression des voix palestiniennes et reconnaître les véritables causes de la violence politique valorisera le discours des droits de l’homme parmi les Palestiniens, qui luttent pour la plupart pacifiquement pour leurs droits en se basant précisément sur ce discours. Par ailleurs, cela paralysera le récit toxique que les groupes tels que l’EI essaient de mettre en avant.

La cause palestinienne n’a rien à avoir avec le récit religieux imaginé par l’EI, ni avec le prétendu « amour de la mort » des Palestiniens allégué par l’extrême-droite israélienne. La question palestinienne concerne une lutte contre une réalité politique de l’exil, contre l’inégalité et l’occupation dont souffrent les Palestiniens depuis des générations.

- Samar Batrawi est analyste politique pour Al-Shabaka, un think-tank palestinien indépendant, doctorante et assistante au King’s College de Londres. Elle travaillait auparavant pour le Centre de conseil et d'aide juridique pour les femmes à Ramallah et l’Institut néerlandais des relations internationales de Clingendael à La Haye. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @SamarBatrawi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des fidèles musulmans palestiniens dans le complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem après la prière du vendredi, le 2 mai 2014, dans la vieille ville occupée de Jérusalem (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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