Conseils aux voyageurs du Quai d’Orsay : une carte, des incohérences
Vue du Quai d’Orsay, la carte du monde se divise en quatre couleurs, et ce, en fonction du risque sécuritaire pour les ressortissants français. Le rouge désigne les parties du monde « formellement déconseillées », l’orange celles « déconseillées sauf raison impérative », le jaune celles qui requièrent une « vigilance renforcée » et le vert celles qui requièrent une « vigilance normale ».
Ainsi, la carte « Conseils aux voyageurs », accessible sur le site du ministère des Affaires étrangères français, nous montre un monde plutôt bienveillant envers les ressortissants français et dominé par la couleur verte : l’Amérique du Nord, les pays membres de l'Union européenne, la Russie, une partie de l'Asie orientale, l'Australie, une partie de l'Argentine, l'Uruguay, la partie nord du Maroc, ainsi que certains pays du Golfe (Oman, Koweït, Qatar, Émirats arabes unis).
Elle nous montre aussi une partie hostile, notamment une Afrique jugée comme étant la partie du monde la plus dangereuse pour les ressortissants français, avec des pays complètement rouges et d’autres auxquels sont attribuées des consignes variant entre « déconseillés sauf raison impérative » et « vigilance renforcée », exception faite pour le nord du Maroc.
L’Algérie, elle-même longtemps divisée en deux parties, l’une « formellement déconseillée » (le sud du pays et les zones frontalières) et l’autre « déconseillée sauf raison impérative », a vu sa fiche révisée le mardi 21 août 2018. Sur la nouvelle carte, une grande partie du nord du pays vient de passer en « vigilance renforcée ». Les zones demeurant en rouge sont celles situées près des frontières avec les pays voisins.
« L’Algérie compte 6 400 kilomètres de frontières terrestres, notamment avec des pays en situation d’instabilité (Libye, Mali, Niger). Malgré un dispositif sécuritaire important, les frontières ne sont pas étanches »
- Les Affaires étrangères françaises
Selon le Quai d’Orsay, « L’Algérie compte 6 400 kilomètres de frontières terrestres, notamment avec des pays en situation d’instabilité (Libye, Mali, Niger). Malgré un dispositif sécuritaire important, les frontières ne sont pas étanches. De nombreux trafics et activités de contrebande menés par des réseaux transfrontaliers ont lieu dans certaines zones, notamment aux frontières du sud et de l’ouest du pays. De manière générale, les zones frontalières sont formellement déconseillées, d’autant que des groupes terroristes sont actifs dans certains pays voisins ».
Néanmoins, quand on regarde de plus près les fiches des pays voisins, notamment celle du Maroc, on remarque aisément que les zones frontalières sont signalées soit en vigilance normale, soit en vigilance renforcée du côté marocain, alors qu’elles sont « déconseillées sauf raison impérative » ou « formellement déconseillées » du côté algérien – ce qui est naturellement en contradiction avec le caractère non étanche des frontières admis et énoncé par le Quai d’Orsay.
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Le même constat, quoique dans une moindre mesure, peut être fait concernant les frontières tunisiennes dont toute la partie nord est signalée « formellement déconseillée » du côté algérien alors que côté tunisien, elle est à peine signalée « déconseillée sauf raison impérative ».
Considérations non avouées
Au regard de l’immensité des territoires frontaliers qui séparent l’Algérie de ses deux voisins de l’est et de l’ouest, et de l’intense activité de contrebande que connaissent ces zones du fait de leur grande porosité, on est en droit d’interroger la cohérence de cette démarche qui consiste à considérer un côté des frontières comme beaucoup plus dangereux que l’autre : les forces de sécurité déployées sont-elles plus importantes des côtés marocain et tunisien que du côté algérien ? Les frontières sont-elles perméables uniquement aux activités de contrebande ? Ou bien y a-t-il d’autres considérations, non avouées, qui dictent le choix de la couleur ?
La carte du Quai d’Orsay suscite régulièrement des polémiques et la façon dont les pays sont classés en zone rouge et orange ne manque pas d’irriter un certain nombre d’entre eux
Certains observateurs n’hésitent pas à qualifier cette carte de « diplomatique », autrement dit en grande partie tributaire des relations diplomatiques qu’entretient la France avec les autres pays, et de la qualité des rapports du moment.
En effet, marquée du sceau de l’officialité, la carte du Quai d’Orsay suscite régulièrement des polémiques et la façon dont les pays sont classés en zone rouge et orange ne manque pas d’irriter un certain nombre d’entre eux – plus particulièrement ceux dont l'économie repose sur le tourisme – qui s'interrogent sur la pertinence de cette carte qu’ils considèrent comme manquant d’objectivité.
Bien que son économie n’en dépende pas directement, l’Algérie veut faire du tourisme l’un des moteurs de sa croissance économique en tant qu’alternative aux hydrocarbures et commence à son tour à susciter l’intérêt de certains voyagistes – Voyageurs du monde a répertorié Alger dans son top 10 des destinations 2018. Mais la carte du Quai d’Orsay ne l’y aide pas beaucoup.
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Ces mêmes voyagistes qui ont souvent un avis différent, et qui le font parfois savoir, se trouvent diminués face à l’influence qu’exerce la carte aux quatre couleurs sur les touristes et les voyageurs d’une manière générale et, par conséquent, se voient contraints d’abandonner des destinations avec toutes les conséquences que cela peut impliquer sur les économies locales.
Ces voyagistes qui ont souvent un avis différent, et qui le font parfois savoir, se trouvent diminués face à l’influence qu’exerce la carte
Depuis quelque temps, cette carte, régulièrement mise à jour, ne cesse de provoquer non seulement des polémiques, mais aussi des sarcasmes. C’est ainsi que dans certaines capitales africaines – Nouakchott par exemple – on se demande pourquoi on est dans le rouge alors que d’autres capitales européennes, notamment Bruxelles et Londres, sont toujours restées dans le vert malgré la série d’attentats meurtriers qu’elles ont connus ces dernières années.
Par ailleurs, cette démarche, désormais perçue comme une sanction, est vécue comme une sorte d’injustice au regard des efforts consentis par les États de la région dans leur lutte contre le terrorisme. Elle s’apparente de plus en plus à une volonté de la France de distribuer les bons et les mauvais points, et ses conclusions sont de plus en plus décriées.
- Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques, aux droits humains ainsi qu'à la gouvernance Internet. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NourrBess.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Sahara algérien, en raison de sa proximité avec « des pays en situation d’instabilité » (Libye, Mali, Niger), est classé rouge. Un problème pour l’Algérie, qui veut faire du tourisme l’un des moteurs de sa croissance économique en tant qu’alternative aux hydrocarbures (AFP).
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