« Coopérez mais prenez garde » : gérer la Russie en Syrie
En 2013, la Russie a semblé sauver la communauté internationale de l'embarras provoqué par l'utilisation d'armes chimiques par la Syrie en obtenant un désarmement. Plus récemment, le veto russe aux mesures prises par le Conseil de sécurité de l'ONU contre le régime syrien pour sa dernière utilisation d'armes chimiques constitue un regrettable recul par rapport à la défense des normes internationales fondamentales.
La Syrie est le dernier des défis russes à l'ordre international fondé sur des règles
Le message de la Première ministre aux républicains à Philadelphie de « coopére[r] mais [de prendre] garde » contenait des vérités pour la totalité du spectre du débat sur la façon de gérer les relations avec la Russie. Elle a reconnu l'impératif d'améliorer les relations avec la Russie, tout en soulignant que la coopération devait reposer sur davantage qu’une confiance aveugle.
La commission des Affaires étrangères que je préside a cherché à approfondir cette brève déclaration en apportant des suggestions sur la façon dont nous pourrions engager le dialogue avec la Russie et sur ce qui devrait nous inspirer une certaine méfiance. Le principal danger réside dans le fait que, si la politique étrangère du Royaume-Uni repose sur le maintien d'un ordre international fondé sur des règles, la politique étrangère de la Russie rejette – et déstabilise – plus ou moins explicitement cet ordre et bon nombre des principes sur lesquels il repose.
La Syrie est le dernier des défis russes à l'ordre international fondé sur des règles. Les Russes aiment à souligner la légitimité du principe de leur implication en Syrie sur la base d'une invitation officielle du gouvernement de Syrie et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui appellent les États membres à confronter les groupes terroristes en Syrie. Cependant, ces justifications de leur présence ne justifient pas leur brutalité inexcusable dans cette campagne.
L'attrait d'un nouveau départ avec les Russes
Les ruines d’Alep-Est sont un témoignage de la volonté des deux parties de réduire à néant les villes syriennes afin d’en revendiquer les cendres. Le mépris gratuit et éhonté des règles de la guerre dans la campagne d'Alep a choqué le monde entier. Au beau milieu de la cacophonie des condamnations, l'incapacité de la communauté internationale et de ses institutions à faire autre chose que rester sur la touche à se tordre les mains a été exposée.
La sincérité et même la capacité du gouvernement russe à arracher des compromis significatifs au gouvernement syrien afin de parvenir à un règlement demeurent incertains
Dès que les armes se sont tues à Alep, la Russie a pris des mesures pour organiser des conférences à Astana puis à Genève afin de rassembler les parties syriennes. Cela a permis à la Russie de se présenter comme un partenaire indispensable dans la cause de la paix, apparemment disposé à, et capable de persuader les différentes parties de s’asseoir à la table des négociations.
Pour une administration Trump balbutiante, l’attrait d'une remise à zéro des compteurs avec la Russie est fort. Alors que le monde observe les pourparlers de paix cafouilleux à Genève, espérant une avancée quelle qu’elle soit, il est naturel de souhaiter une coopération bien intentionnée pour apporter un soulagement tant attendu au peuple syrien.
L’histoire récente des nouveaux départs avec la Russie n'est cependant pas encourageante. De plus, la sincérité et même la capacité du gouvernement russe à arracher des compromis significatifs au gouvernement syrien afin de parvenir à un règlement demeurent incertains.
Jusqu'à présent, les acteurs sur le terrain semblent toujours déterminés à améliorer leurs positions par des moyens militaires, alors que les séries de pourparlers qui ne cessent de se répéter restent infructueuses. Mais les guerres se terminent par des pourparlers et si elles tracent un chemin hideux vers la paix, il s’agit peut-être du compromis difficile mais nécessaire pour échapper au carnage actuel.
Des idéaux aux intérêts
Nos politiques en Syrie devraient être soutenues par davantage que des idéaux, et nous devons travailler à modifier les calculs coûts-bénéfices des acteurs russes qui violent les normes en vigueur sur la scène internationale. Les voies traditionnelles pour tenir pour responsables les auteurs de crimes de guerre semblent actuellement bloquées, car il n'existe aucune perspective réaliste de renvoi de la situation en Syrie devant la Cour pénale internationale. Il ne faut toutefois pas écarter toute possibilité future de demander des comptes.
Il relève de l'héritage de l’après-guerre froide que la coopération sincère sur des intérêts communs fondamentaux reste à la fois compliquée et une perspective tristement éloignée
L’introduction récente de pouvoirs dans le projet de loi sur les finances criminelles, visant à sanctionner les individus impliqués dans des violations flagrantes des droits de l'homme ou des violations commises hors de la juridiction du Royaume-Uni, est une étape bienvenue. Nous attendrons de voir comment le gouvernement pourrait appliquer ces pouvoirs à des particuliers en Syrie.
Cependant, il n'y a pas de route vers la paix en Syrie qui ne passe par la Russie. Nous devons donc veiller à garantir des voies claires pour sortir de la confrontation dans laquelle nous nous trouvons, sans pour autant renoncer complètement à nos valeurs fondamentales.
Il relève de l'héritage de l’après-guerre froide que la coopération sincère sur des intérêts communs fondamentaux reste à la fois compliquée et une perspective tristement éloignée. Néanmoins, la communauté internationale devrait être prête à explorer les zones d’intérêts communs et, ce faisant, coopérer davantage avec la Russie qu’elle ne l’a fait jusqu’à ce jour.
- Crispin Blunt est le président du comité restreint des Affaires étrangères du parlement britannique.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président russe Vladimir Poutine assiste à une réunion avec des officiers de la flotte du Nord qui ont participé aux activités de combat en Méditerranée, au large de la Syrie, au Kremlin à Moscou, le 23 février 2017 (AFP)
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].