COP28 : L’« éco-normalisation » va de l’avant à Dubaï malgré les crimes de guerre israéliens
Le 28e sommet de l’ONU pour le climat, COP28, s’est ouvert jeudi 30 novembre à Dubaï, accueillant des délégations des 198 parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques.
Au cours des mois et semaines précédant la conférence, les controverses ont jeté une ombre sur la nomination du sultan al-Jaber, directeur général de la société pétrolière nationale d’Abou Dabi (ADNOC), à la présidence de la COP28.
Le tollé a pris de l’ampleur quelques jours avant le début de la COP28 lorsque des documents ont révélé l’intention des Émirats d’utiliser les réunions lors de l’événement pour promouvoir leurs sociétés nationales gazières et pétrolières.
Malgré les appels palestiniens à la communauté internationale pour demander des comptes à Israël sur sa campagne meurtrière, les Émirats ont accueilli Israël à la COP28
Mais l’indignation vis-à-vis de cette conférence climatique basée à Dubaï ne doit pas être motivée uniquement par l’hypocrisie des Émirats arabes unis sur les sujets climatiques. Ceux-ci ont également joué un rôle majeur dans la normalisation et le renforcement de la position diplomatique et politique d’Israël dans la région arabe malgré les atrocités perpétrées à l’encontre de la population palestinienne.
Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont tué plus de 15 000 personnes (dont plus de 70 % de femmes et d’enfants) et ont blessé environ 36 000 autres personnes. Au cours de cette même période, l’armée israélienne et la violence des colons ont tué au moins 239 personnes en Cisjordanie, faisant de 2023 l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis des décennies.
Malgré les appels palestiniens à la communauté internationale pour demander des comptes à Israël sur sa campagne meurtrière, s’ajoutant à la faim et à la soif imposées aux familles palestiniennes à Gaza – ce qui s’apparente à des crimes de guerre et à un génocide selon les organisations de défense des droits de l’homme, les Émirats ont accueilli Israël à la COP28.
« Éco-normalisation »
Une délégation israélienne plus petite que celle qui était prévue initialement participe à la conférence et érigera un pavillon dans la zone bleue à Dubaï. Gideon Behar, envoyé spécial israélien pour les changements climatiques et la durabilité, a récemment annoncé que Dubaï « avait aidé la délégation à la fois face aux changements de dernière minute et pour garantir la sécurité ».
En 2020, Israël, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan ont signé les accords d’Abraham, un accord de normalisation négocié par les États-Unis qui cherche également à renforcer, de manière à la fois formelle et informelle, les relations existantes avec les autres États arabes.
Ces deux dernières années, dans le cadre de cet accord, Israël et ces États arabes ont signé plusieurs protocoles d’accords pour mettre en œuvre de manière conjointe des projets écologiques concernant les énergies renouvelables, l’agroindustrie et l’eau.
Dans un chapitre de l’ouvrage Dismantling Green Colonialism: Energy and Climate Justice in the Arab Region publié récemment, j’évoque comment les projets environnementaux arabo-israéliens constituent une forme d’« éco-normalisation » qui renforce les efforts de greenwashing d’Israël et son oppression coloniale.
Les Émirats arabes unis mènent et participent à divers projets d’éco-normalisation avec l’État israélien.
Chaque année, Israël voit la COP comme une opportunité importante pour renforcer sa stratégie de greenwashing, une façon de normaliser et de détourner l’attention de l’oppression qu’inflige son régime colonial d’apartheid à la population palestinienne et les inégalités environnementales qui en découlent. La signature des accords d’Abraham a accru l’importance de la conférence pour Israël car c’est devenu un espace pour conclure des accords d’éco-normalisation avec d’autres États arabes.
L’année dernière, le ministre israélien des Affaires étrangères a qualifié la COP27, qui s’est tenue à Charm el-Cheikh en Égypte, de « participation la plus significative depuis le début des conférences internationales sur le sujet ».
C’était l’année où Israël a érigé son premier pavillon national lors de l’événement, promouvant dix sociétés technologiques dans le secteur du climat, et accueillant plus d’une trentaine d’événements.
Achat d’eau à une entreprise de dessalement israélienne
Autre accomplissement pour Israël à la COP27, la signature d’un protocole d’accord négocié par les Émirats avec la Jordanie pour poursuivre une étude de faisabilité sur deux projets entremêlés, baptisés Prosperity Blue et Prosperity Green, qui forment à eux deux le projet Prosperity.
Selon les termes de l’accord, la Jordanie achètera 200 millions de mètres cubes d’eau chaque année à une entreprise de dessalement d’eau israélienne, qui sera établie sur la côte méditerranéenne (Prosperity Blue). L’usine de dessalement sera alimentée par une station photovoltaïque solaire de 600 mégawatts qui sera construite en Jordanie (Prosperity Green) par Masdar, une société publique émiratie spécialisée dans les énergies renouvelables.
En juin 2023, en préparation à la COP28, al-Jaber a rencontré le ministre israélien de l’Énergie Israel Katz, ainsi que des responsables jordaniens et américains aux Émirats arabes unis, pour faire avancer les discussions autour du projet Prosperity.
La ratification prévue de l’accord trilatéral à la COP28 a été perturbée le 16 novembre lorsque Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères, a annoncé que son pays ne ratifierait pas l’accord.
Safadi a expliqué que le massacre par Israël des Palestiniens, notamment des enfants à Gaza, avait motivé la décision de la Jordanie. Cependant, aucune annonce officielle n’a été faite à propos de la dénonciation de l’accord.
D’autres projets d’éco-normalisation entre Israël et les États arabes, y compris un projet d’énergie renouvelable, demeurent inchangés malgré le tollé régional et international vis-à-vis des crimes de guerre israéliens à Gaza. Enlight Green et NewMed Energy, deux sociétés israéliennes complices de l’apartheid israélien, devraient mettre en œuvre ce projet aux Émirats arabes unis, en Jordanie, à Bahreïn, au Maroc, en Égypte, à Oman et en Arabie saoudite.
La capacité d’Israël à faire mourir de soif et de faim les 2,3 millions de Palestiniens qui vivent dans la bande de Gaza et à utiliser cela comme arme de guerre souligne les décennies d’érosion par Israël du droit des Palestiniens à la souveraineté alimentaire et en matière d’eau.
La création d’Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique et l’expulsion forcée de 750 000 personnes au cours de la Nakba (« catastrophe » pour les Palestiniens), marquent le début de l’exploitation israélienne et de la dégradation des terres et des ressources naturelles palestiniennes.
En plus des politiques israéliennes d’accaparement des terres et d’usurpation des ressources naturelles, Israël pratique l’apartheid climatique contre les Palestiniens dans les territoires occupés.
Les injustices environnementales israéliennes empêchent la population palestinienne d’atténuer les dangers de la crise climatique, ce qui affecte également leur résilience et leur résistance à la dépossession coloniale d’Israël
Israël traite les localités palestiniennes en Cisjordanie comme des zones sacrificielles pour ses déchets les plus toxiques. En fait, les organisations de défense des droits de l’homme ont documenté, les industries les plus polluantes d’Israël ont été délocalisées en Cisjordanie, faisant naître des inquiétudes environnementales et sanitaires.
La prise pour cible systématique des infrastructures civiles par Israël dans la bande de Gaza a engendré des dommages environnementaux catastrophiques. Les injustices environnementales israéliennes empêchent la population palestinienne d’atténuer les dangers de la crise climatique, ce qui affecte également leur résilience et leur résistance à la dépossession coloniale d’Israël.
Les relations d’éco-normalisation avec Israël renforcent ses efforts de greenwashing pour détourner l’attention de ses politiques et pratiques de nettoyage ethnique vis-à-vis de la population palestinienne et de la destruction de leurs écosystèmes.
Greenwashing
Le discours de greenwashing construit autour des projets énergétiques et d’eau entre Israël et les États arabes tels que le projet Prosperity avancent à tort qu’Israël est un coordinateur environnemental moral. En donnant de l’espace à Israël à Dubaï à la COP28 pour promouvoir une image écologiste, les Émirats arabes unis (et les autres États arabes qui ont normalisé leurs relations) sont complices de l’érosion de la quête de liberté, d’autodétermination et de justice climatique et sociale de la population palestinienne.
De plus en plus, le greenwashing israélien et ses inégalités environnementales sont reconnus par les jeunes activistes pour le climat comme Greta Thunberg qui, lors d’une manifestation à Amsterdam le 12 novembre, a scandé : « Pas de justice climatique sur des terres occupées ».
Pour protester contre la complicité des Émirats avec l’apartheid israélien, j’ai récemment rejeté une invitation à présenter mon point de vue à des groupes participant au sommet pour le climat.
Ma position fait écho à l’appel du mouvement palestinien Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) en faveur d’un boycott total de la COP28 en raison de la normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis, du passif du pays en matière d’atteintes aux droits de l’homme, son exploitation des travailleurs immigrés, et les accusations de crimes de guerre au Yémen.
- Manal Shqair est chercheuse et militante pour le climat palestinienne. Elle est actuellement doctorante en sociologie à l’université Queen Margaret, en Écosse, où elle enseigne également en licence. Ses recherches s’intéressent au rôle des femmes semi-nomades palestiniennes à Masafer Yatta dans la résistance à la dépossession coloniale israélienne.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].