France : un bel accueil du cinéma marocain cet été
Cette année cinématographique 2023 semble particulièrement marquée du sceau marocain, ainsi qu’en témoignent la sélection et le palmarès de la dernière édition du Festival de Cannes : Déserts de Faouzi Bensaïdi (en compétition à la Quinzaine des cinéastes), La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir (Prix de la mise en scène dans la section Un certain regard), Les Meutes de Kamal Lazraq (Prix du jury à Un certain regard) et Ayyur de Zineb Wakrim (Troisième prix de la CINEF, sélection officielle du festival ayant pour objet de présenter et de mettre en valeur des films d’école), réalisé dans le cadre de ses études à l’ÉSAV (École Supérieure des Arts Visuels) de Marrakech.
La réalisatrice Maryam Touzani, dont Le Bleu du caftan est sorti il y a quelques mois, faisait par ailleurs partie du jury de la Compétition officielle.
Cet été, Les Meutes ainsi que trois autres films marocains sont sortis dans les salles françaises. Ce pourcentage inhabituel est révélateur de la santé croissante d’une cinématographie qui, portée par des cinéastes confirmés mais aussi par plusieurs jeunes talents, confirme sa capacité à se solidifier et à se renouveler.
Les Meutes de Kamal Lazraq
Né à Casablanca en 1984, Kamal Lazraq étudie la réalisation à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (Fémis), à Paris.
C’est dans ce cadre qu’il réalise en 2010 Les Yeux baissés et Drari, des courts métrages qui font le tour des festivals. Le récit de Drari se déroule dans la capitale économique marocaine, comme cela est le cas du court métrage suivant de Lazraq, le saisissant et touchant Moul Lkelb – L’Homme au chien, réalisé en 2014 et marquant sa première incursion dans la réalisation professionnelle.
Tout comme Moul Lkelb, son premier long métrage, Les Meutes est produit par Barney Production et Mont Fleuri Production à qui nous devons d’autres films survitaminés tels Zanka Contact (Ismaël El Iraki, 2020) ou Reines (Yasmine Benkiran, 2022).
Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan (Abdellatif Masstouri) et Issam (Ayoub Elaid), père et fils, enchaînent les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme. Commence alors une longue nuit à travers les bas-fonds de la ville...
Les Meutes s’inscrit dans la continuité des précédents courts de Lazraq et met en scène un récit âpre et violent, mais non dénué d’humanité, dans une Casablanca de la marge, nocturne, filmée comme un dédale où les héros plongent corps et âme pour, au péril de leur vie, tenter d’atteindre leur objectif.
En dépit de quelques facilités d’écriture et d’une certaine complaisance dans la noirceur, le film est captivant et fait de Kamal Lazraq un réalisateur à suivre.
Les Damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa
Né en 1985 à Leicester, au Royaume-Uni, Fyzal Boulifa apprend le cinéma en autodidacte. Ses courts métrages ainsi que son premier long, Lynn + Lucy (2019), se font remarquer en festivals.
Boulifa met régulièrement en scène de jeunes personnages en proie à la difficulté de s’épanouir dans des environnements sclérosés par les schémas culturels ou sociaux.
Pour son second long, il revient à son pays d’origine, le Maroc, où il avait déjà tourné en 2012 un très beau court, The Curse. Les Damnés ne pleurent pas conte l’histoire de Fatima-Zahra (Aïcha Tebbae) qui traîne son fils de 17 ans, Selim (Abdellah El Hajjouji), de ville en ville, fuyant les scandales qui éclatent sur sa route. Quand Selim découvre la vérité sur leur passé, leurs relations s’enveniment…
Comme cela était le cas avec Lynn + Lucy qui mettait déjà en scène un duo de marginaux dont les rapports alternaient entre l’affection et la répulsion, Boulifa excelle à mettre en scène l’ambiguïté et l’instabilité, mâtinées d’amour et de fureur, d’une histoire à deux. La puissance mélodramatique du film permet d’invalider tout misérabilisme pesant.
Certaines situations sonnent cependant assez faux et les clichés sont parfois de la partie (les femmes opprimées, l’Européen homosexuel…). Boulifa semble davantage à l’aise lorsqu’il localise ses récits dans son Angleterre natale dont il maîtrise mieux les codes.
L’interprétation incandescente des deux comédiens, non professionnels, permet néanmoins au film de se laisser regarder avec intérêt.
Animalia de Sofia Alaoui
Née à Casablanca en 1990, Sofia Alaoui étudie le cinéma dans plusieurs écoles parisiennes. Parmi ses courts métrages, Qu’importe si les bêtes meurent (2019, César du meilleur court métrage 2021) et The Lake (2020) anticipent son premier long, Animalia, du fait qu’ils mettent déjà en scène des individus confrontés à des phénomènes surnaturels en milieu rural marocain.
Itto (Oumaïma Barid), jeune Marocaine d’origine modeste, s’est adaptée à l’opulence de la famille de son mari, chez qui elle vit. Alors qu’elle se réjouissait d’une journée de tranquillité sans sa belle-famille, des événements surnaturels plongent le pays dans l’état d’urgence. Seule, elle peine à trouver de l’aide…
Comme dans Qu’importe si les bêtes meurent, Sofia Alaoui questionne des notions telles que la croyance et le patriarcat dans le cadre d’une invasion extraterrestre qui perturbe les personnages et bouleverse leurs certitudes ainsi que certaines valeurs établies.
Jouant constamment sur le hors-champ, le non-dit, la métaphore et l’ambiguïté, la réalisatrice ne juge pas et ne donne pas de leçons, laissant chacune et chacun interpréter le récit, résolument universel, selon sa propre expérience du monde.
Poétique, contemplatif, hypnotique, subtilement critique mais à contre-courant de la plupart des films arabes jouant la carte du folklorisme ou de la victimisation, Animalia est le plus beau film marocain de cet été et sans conteste l’un des plus originaux et pertinents de l’année.
Abdelinho de Hicham Ayouch
Né en 1976 à Paris, Hicham Ayouch se lance dans le journalisme puis la réalisation de documentaires et de fictions, en France comme au Maroc. Éclectique et imprévisible, son style échappe aux conventions et fait la part belle à l’expérimentation, à la liberté et à l’émotion.
Abdelinho, de son vrai prénom Abdellah (Aderrahim Tamimi), vit à Azemmour, coincé entre une mère hystérique (Zhor Slimani) et un travail kafkaïen dans une administration. Sa seule échappatoire : le Brésil et son amour pour Maria (Inês Monteiro), l’héroïne d’une telenovela. Cette passion est menacée par l’arrivée de l’obscur télévangéliste Amr Taleb (Ali Suliman)…
Le sujet, engagé et ubuesque, est original et audacieux et certaines idées de gags, liées notamment aux compositions du cadre et à l’emploi des couleurs, font mouche.
Le réalisme magique prôné par Ayouch était déjà à l’œuvre, en filigrane, dans Fièvres (2014). La figure du jeune homme fantasque, idéaliste et obstiné, était également au centre de Drôle d’oiseau (2015).
Abdelinho pâtit cependant d’une mise en scène mollassonne, d’un rythme inégal et d’une direction d’acteurs approximative, ce qui neutralise souvent l’humour. L’univers des telenovelas n’est pas exploité avec assez de recul ni de mise en perspective, si bien que le film finit par tomber dans ce qu’il dénonce.
Sachons cependant gré à Hicham Ayouch d’avoir tenté de proposer quelque chose de neuf dans le champ d’un cinéma marocain où la majorité des comédies s’avèrent laborieuses et conformistes.
D’autres films marocains s’apprêtent à sortir en salles françaises dans le courant des prochains mois, tels Déserts et La Mère de tous les mensonges.
Les salles marocaines, quant à elles, attendent toujours, pour des raisons floues, de voir sortir ces films (seul Abdelinho ayant jusqu’à ce jour eu cet honneur). Cela devrait probablement se faire à la suite d’inévitables avant-premières au Festival de Marrakech 2023.
Dans tous les cas, la plupart des cinéastes concernés sont jeunes et figurent assurément parmi les talents les plus prometteurs du cinéma national de demain.
Si les sujets de leurs prochains longs métrages ne sont pas encore officiellement connus, il est déjà acté que Sofia Alaoui sera la réalisatrice d’une série showrunnée par Laïla Marrakchi, Casa Girls, qui mettra en scène quatre femmes casaouies désireuses de trouver leur bonheur dans la capitale économique marocaine. À toutes ces femmes, devant comme derrière la caméra, ainsi qu’à leurs homologues masculins, souhaitons la meilleure des chances.
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