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De Hong Kong à l’Égypte, le pouvoir ultime de la société civile

Comme l’ont montré les manifestations à Hong Kong, l’impuissance des sociétés civiles face à des régimes bien organisés, en particulier les régimes militaires, n’est pas seulement un phénomène arabe. Mais à long terme, les gouvernements ont raison de les craindre
Des manifestants à Taipei manifestent leur soutien aux manifestants de Hong Kong le 16 juin (AFP)

Les événements dans le monde arabe ces dernières années illustrent la faiblesse de la société civile et son incapacité à l’emporter sur des régimes bien organisés, en particulier les régimes militaires. 

L’impuissance de la société civile n’est pas seulement un phénomène arabe. Des manifestations prodémocratie de la place Tian’anmen violemment réprimées par le gouvernement chinois en 1989 aux actuelles manifestations à Hong Kong pour tenter d’arrêter l’empiètement insidieux du Parti communiste chinois sur les prérogatives du gouvernement hongkongais, la société civile a été – et est – sous pression des régimes qui contrôlent la force.

Répressions impitoyables

Mais il y a de l’espoir. Bien que les perspectives à court terme de voir la société civile triomphant contre des gouvernements bien établis soutenus par l’armée semblent sombres, la situation semble différente à long terme. 

L’arme ultime de la société civile est la persistance et le fait que même les mouvements vaincus finissent par remonter au créneau un autre jour ou que de nouveaux prennent leur place. Tant qu’il existera des mécontents qui ne disposeront pas d’exutoire politique à leurs griefs, la société civile restera une menace pour les régimes autoritaires. 

Le gouvernement égyptien a fait de son mieux pour réprimer toute dissidence, mais craint toujours une répétition des manifestations de la place Tahrir comme en 2011

Le gouvernement chinois se montre impitoyable envers toute forme de dissidence depuis 1989, et il passe à la vitesse supérieure lors des anniversaires du massacre, empêchant toute forme de commémoration. 

De même, le gouvernement égyptien a fait de son mieux pour réprimer toute dissidence, mais craint toujours une répétition des manifestations de la place Tahrir en 2011.

Le soir de l’investiture du président Abdel Fattah al-Sissi, le 8 juin 2014, le gouvernement a autorisé des manifestations publiques de soutien sur la place, mais l’a immédiatement encerclée de véhicules blindés de transport de troupes qui bloquaient la plupart des rues, permettant seulement une foule mince à l’intérieur du périmètre. 

Ces événements montrent que si la société civile ne peut pas gagner dans une confrontation directe, les gouvernements ne peuvent pas non plus l’éliminer totalement.

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Pendant des semaines, une foule a protesté à Hong Kong contre un projet de loi qui permettrait l’extradition de citoyens de Hong Kong vers la Chine continentale pour y être traduits en justice.

Les manifestants ont également fait part de leurs craintes que Pékin érode l’autonomie gouvernementale dont bénéficie Hong Kong dans le cadre de la politique « un pays, deux systèmes ». 

Les foules sont immenses, les plus importantes qu’a connu Hong Kong depuis les manifestations pour protester contre le massacre de Tian’anmen en 1989. Fait extraordinaire, le gouvernement de Hong Kong a baissé les yeux le premier, annonçant qu’il suspendrait le projet de loi, allant même jusqu’à s’excuser. Les manifestants ont réagi en exigeant la démission de la dirigeante de Hong Kong, Carrie Lam. 

La crise s’est aggravée le 1er juillet, lorsque certains manifestants se sont tournés vers la violence, pénétrant de force dans le bâtiment abritant l’assemblée législative. Le recours à la force a rapidement rétabli l’ordre, mais le gouvernement reste secoué par ce rappel de la puissance susceptible d’être libérée par la société civile.

Militaires contre manifestants

Le Soudan et l’Algérie oscillent également depuis des mois entre le pouvoir répressif de l’armée et son incapacité à plier la société civile à sa volonté. 

Au Soudan, les manifestations qui ont commencé en décembre 2018 pour protester contre la hausse des prix des denrées alimentaires se sont rapidement réorientées sur la demande de la démission du gouvernement d’Omar el-Béchir, soutenu par l’armée. Les tentatives de pacifier la population avec des réformes largement superficielles ont échoué, et le 11 avril, après avoir publié de nombreuses déclarations de soutien indéfectible à Béchir, l’armée l’a renversé

Des manifestants soudanais brûlent des pneus à Khartoum, le 13 mai (AFP)

Une rivalité entre l’armée et les manifestants a commencé sur la façon de mettre en place un nouveau gouvernement, avec la société civile exigeant un rôle majeur et les militaires s’y opposant. 

Peut-être l’aspect le plus extraordinaire de cette saga est que l’armée s’est abstenue jusqu’à présent de violences en règle, bien qu’une répression début juin a tué des dizaines de personnes.

Gouvernance transitoire

En Algérie, des manifestations pacifiques se sont opposées à ce que le régime présente Abdelaziz Bouteflika, largement frappé d’incapacité, en tant que candidat pour un cinquième mandat à la tête de la présidence.

Comme au Soudan, la situation est au point mort, l’armée faisant valoir que la transition doit suivre les directives de la Constitution et les manifestants demandant de leur côté des changements beaucoup plus profonds. L’armée ne recule pas – bien qu’elle ait accepté de reporter l’élection – mais les manifestants non plus.

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Dans tous ces cas, il serait possible de mettre rapidement fin aux manifestations par des moyens violents, comme l’a fait le gouvernement chinois sur la place Tian’anmen en 1989. La société civile n’a aucun pouvoir contre les chars. 

Mais il y a aussi des limites au pouvoir des gouvernements : la société civile est toujours là, peu importe le nombre de personnes tuées ou le nombre d’organisations démantelées. C’est le pouvoir ultime de la société civile, et la raison pour laquelle les gouvernements la craignent réellement. 

- Marina Ottaway est chercheuse sur le Moyen-Orient au Woodrow Wilson Center et a une longue expérience en tant qu’analyste des transformations politiques en Afrique, dans les Balkans et au Moyen-Orient. Elle travaille sur un projet sur les pays du Printemps arabe et l’Irak. Parmi ses publications les plus récentes : Getting to Pluralism, co-écrit avec Amr Hamzawy et Yemen on the Brink, co-édité avec Christopher Boucek.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marina Ottaway is a Middle East scholar at the Woodrow Wilson Center and a long-time analyst of political transformations in Africa, the Balkans, and the Middle East. She is working on a project about the countries of the Arab Spring and Iraq. She has ten authored books and six edited ones. Her most recent publications include Getting to Pluralism, co-authored with Amr Hamzawy and Yemen on the Brink, co-edited with Christopher Boucek. Her latest publication is "A Tale of Four worlds: The Arab region after the uprisings", co-authored with David Ottaway.
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