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Démographie et démocrates : des problèmes majeurs pour l’avenir de « Brand Israel »

En dépit des efforts de relations publiques déployés par le gouvernement israélien, le soutien à Israël décline auprès de la génération Y, des jeunes Américains juifs et des démocrates

Lorsque David Friedman a été investi de ses fonctions d’ambassadeur des États-Unis en Israël il y a deux semaines, tout s’est déroulé sans heurts. L’événement de l’après-midi était on ne peut plus simple : ses enfants et petits-enfants étaient présents, et le vice-président américain Mike Pence a salué l’avocat qui, selon lui, serait « littéralement… né pour ce travail ».

Cependant, la bonhomie et les formalités de la cérémonie ne pouvaient pas masquer le fait qu’il ne s’agissait pas d’une nomination ordinaire. En fait, l’audition de confirmation de Friedman au Sénat était à la fois une affaire sans précédent et un microcosme de tendances qui n’annoncent rien qui vaille pour « Brand Israel », la campagne de relations publiques lancée par le gouvernement israélien en 2006 pour redorer l’image d’Israël.

Le jour de son audition, le 16 février, vingt secondes à peine après le début de son discours, le candidat de Trump a été interrompu bruyamment par un jeune homme tenant un drapeau palestinien. Emmené par la police, Taher Herzallah, de l’organisation American Muslims for Palestine, a crié : « Nous ne partons pas, M. Friedman. Nous étions là, nous sommes là et nous serons toujours là. Les Palestiniens seront toujours en Palestine. »


Quelques minutes plus tard, Friedman a été de nouveau interrompu par quatre autres manifestants, dont trois membres de IfNotNow, un groupe de jeunes juifs américains. « Nous ne serons pas réduits au silence », s’est écrié l’un d’eux. « Vous ne nous représentez pas et vous ne nous représenterez jamais ». Un autre a proclamé : « L’occupation israélienne est une injustice contre les Palestiniens et une crise morale pour les juifs américains ».

Une année critique

Ce ne sont là que les manifestations les plus spectaculaires d’une campagne organisée contre la nomination de Friedman, une opposition motivée par le passif de l’avocat en matière d’invectives incendiaires contre les sionistes libéraux et les Palestiniens et son soutien à la colonisation de la Cisjordanie occupée.

En proposant Friedman, Trump a involontairement mis en lumière des divisions de longue date entre les Américains de confession juive. Le chef du bureau de Washington de Forward a qualifié cela de « violente dispute juive entre les partisans et les détracteurs de la solution à deux États ». Avant l’audience de confirmation de Friedman, un journaliste de Haaretz a déclaré que « les organisations juives américaines… [avaient] rarement été aussi divisées ».

Aujourd’hui, la nomination de Friedman à peine réglée, l’influent think-tank israélien qu’est le Reut Institute a publié un rapport sur « un fossé grandissant qui met en danger la relation entre Israël et la diaspora et remet en cause la légitimité de l’État israélien ».

Selon le Reut Institute, 2017 devrait être une « année critique » pour les relations entre Israël et les communautés juives dans le monde entier, en raison d’anniversaires significatifs comme le centenaire de la Déclaration Balfour et le cinquantenaire de la Guerre des Six jours, « combinés aux implications inconnues de la nouvelle administration Trump ».

De tels événements « engendreront des tensions encore plus grandes au sein des communautés juives », prévient le think-tank, lesquelles, à leur tour, « contribueront davantage à la division entre Israël et la diaspora ».

Division partisane

Il ne s’agit toutefois pas seulement de dissidences au sein de la communauté juive américaine ; la nomination de Friedman souligne également la transformation d’Israël en une question partisane dans la politique américaine.

Il ne s’agit pas seulement de dissidences au sein de la communauté juive américaine ; la nomination de Friedman souligne également la transformation d’Israël en une question partisane dans la politique américaine

Le 9 mars, la Commission sénatoriale des Affaires étrangères a voté l’approbation de la nomination de Friedman par douze voix contre neuf ; un seul démocrate s’est joint à onze républicains pour voter en faveur de celle-ci.

Au cours du vote complet et définitif, le Sénat était divisé à hauteur de 52-46 lors d’un vote par appel nominal, décrit par Politico comme « une étape inhabituelle ». Les ambassadeurs des États-Unis « ont traditionnellement été approuvés par un vote oral ou par consentement unanime », a ajouté le site d’informations, en raison du « solide soutien des deux partis » à Israël.

La discorde concernant Friedman n’est que le dernier épisode suggérant qu’Israël ne jouit plus de ce consensus bipartite dans la politique américaine que beaucoup avaient supposé inébranlable. Rappelons la querelle très publique contre l’accord sur le nucléaire iranien ou la façon dont la candidature de Bernie Sanders a servi de porte-voix aux démocrates qui veulent une ligne plus dure vis-à-vis des politiques israéliennes.

Les sondages suggèrent que la division partisane est partie pour durer. Dans un sondage Gallup de février, il apparaît qu’alors que 45 % des Américains ont exprimé leur soutien à « la création d’un État palestinien indépendant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza », ils étaient 61 % chez les démocrates – contre 25 % chez les républicains.

Ou prenons un autre sondage publié plus tôt cette année, dans lequel les répondants ont été invités à évaluer si un pays était un allié des États-Unis sur une échelle à cinq degrés (allié, ami, incertain, hostile ou ennemi). Israël est passé de la sixième place en 2014 à la seizième place en 2017 – et, fait instructif, on a pu constater une grande disparité entre les républicains et les démocrates, qui l’ont classé respectivement cinquième et vingt-huitième.

Le défi de la génération Y

Les moins de 30 ans constituent un problème particulier pour l’État d’Israël et ses défenseurs – que ce soit au sein de la communauté juive américaine, parmi les démocrates et dans la population américaine plus largement.

Un autre sondage récent de Gallup suggère que, même si Israël « jouit d’une image positive parmi tous les grands groupes démographiques et politiques des États-Unis », 33 % des moins de 30 ans perçoivent ce pays de manière défavorable – le deuxième plus haut niveau de n’importe quel sous-groupe (36 % des démocrates perçoivent Israël de manière défavorable).

Une autre étude récente a constaté une « grande fracture » entre les juifs de moins de 30 ans aux États-Unis et en Israël, ces derniers tendant à « s’aligner sur la droite politique ».

À titre d’exemple, les universitaires ont énoncé les trois affirmations suivantes aux répondants : « 1. Les colonies aident la sécurité d’Israël ; 2. Dieu a donné la terre d’Israël aux juifs ; et 3. Je ne pense pas qu’on puisse trouver un moyen pour qu’Israël et un État palestinien indépendant puissent coexister pacifiquement. »

Alors que 35 % des Israéliens juifs de 18-21 ans ont déclaré qu’ils étaient d’accord avec ces affirmations, seulement 7 % des Américains juifs de la même tranche d’âge l’ont fait.

Âgé, conservateur et masculin

De nombreux défenseurs d’Israël connaissent bien ces problèmes. Lors d’une récente conférence organisée par le groupe britannique pro-Israël BICOM, Rick Nye, directeur général de l’institut de sondage Populus, a tenu des propos qui ont donné à réfléchir au public lors d’un panel sur Israël et l’opinion publique.

En analysant divers sondages effectués au Royaume-Uni, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, Nye a expliqué comment « le soutien à Israël est devenu de plus en plus […] le domaine des sections plus âgées, plutôt masculines et conservatrices des électorats occidentaux et, aux États-Unis, des sections évangéliques et religieuses de l’électorat ».

Dans le même temps, « soutenir Israël devient moins attrayant pour les personnes plus jeunes, moins conservatrices et les femmes », a-t-il ajouté. « Et cela affecte de façon disproportionnée les jeunes qui sont allés à l’université, les gens sur les campus ».

Le défi pour les défenseurs d’Israël, a déclaré Nye, est de pouvoir « construire un discours contemporain attrayant pour le public de la génération Y »

Cela semble être un défi de taille, à la lumière d’un statu quo consolidé, de l’apartheid sur le terrain et d’une administration américaine agissant comme un catalyseur sur les processus de fracture et de divisions partisanes susmentionnés. En ce qui concerne « Brand Israel », la gastronomie de Tel Aviv et les start-ups high-tech israéliennes ont l’air d’être bien parties pour se faire éclipser par l’occupation et l’ethno-nationalisme.

Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor et ses articles ont été publiés par divers médias, dont Al Jazeeraal-Araby, le Huffington PostThe Electronic Intifada et dans la section « Comment is free » de The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle-East Eye.

Photo : un partisan d’Israël lors d’un rassemblement contre les résolutions anti-israéliennes aux Nations unies, le 12 janvier 2017 devant la mission française à l’ONU à New York (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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