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Djihad contre djihad : le rôle changeant du Liban dans le conflit régional

Le Hezbollah combattant les militants sunnites en Syrie signifie-t-il que la logique traditionnelle de « l’ennemi de mon ennemi » n’a plus cours ?

Au large des côtes de la ville de Tyr au sud du Liban, proche de la frontière avec Israël, un navire de guerre est récemment apparu à l’horizon.

Mes colocataires et moi-même avons craint par réflexe que ce ne soit un navire israélien, cependant nous avons fini par établir que le bateau faisait simplement partie de l’arsenal de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Pas une seule fois nous est-il venu à l’idée que ce navire aurait pu appartenir à l’armée libanaise, en situation de sous-équipement chronique.

Une des raisons pour lesquelles l’armée a été reléguée au rang de force de combat de bas étage est due à l’inertie politique nationale, grâce notamment à des dirigeants sectaires qui détesteraient voir une institution incluant tous les groupes religieux prospérer. Une autre raison pourrait être attribuée aux Etats-Unis ainsi qu’aux autres parties concernées qui ont, au cours de ces dernières années, fait en sorte de ne fournir à l’Etat libanais que des équipements ne constituant aucune menace existentielle à Israël - des jumelles de visions nocturne par exemple.

Bien sûr il est permis à Israël d’avoir de nombreux comportements existentiels vis à vis de son voisin du nord, avec l’aide de toutes sortes de machines très avancées livrées rapidement des Etats-Unis. En plus de massacrer des civils, l’armée israélienne a également ciblé des installations et du personnel appartenant à l’armée libanaise et à la FINUL, malgré le fait qu’aucune de ces entités ne soit particulièrement connue pour avoir levé le petit doigt contre les Israéliens, à part pour compiler un certain nombre de violations du territoire et de l’espace aérien libanais par l’armée israélienne.

Le Hezbollah fait alors son entrée, avec un CV comprenant des faits de guerre incluant : avoir chassé l’armée israélienne hors du Liban en 2000, avoir contrecarré une victoire israélienne lors de la guerre de l’été 2006, et humilié l’armée la plus puissante de la région.

Le Parti de Dieu a depuis étendu son domaine d’opérations, en rejoignant l’armée syrienne dans sa guerre contre une opposition de plus en plus dominée par le Daech et d’autres groupes djihadistes - une décision qui selon le Hezbollah fait partie intégrante de l’entretien de ses capacités de résistance contre Israël. Certains pourraient qualifier cela de défense offensive.

En conséquence de la montée djihadiste, les Etats-Unis & Cie sont devenus plus généreux avec l’armée libanaise, qui a effectivement été promue aux premières lignes de la dernière guerre pour la civilisation, et qui a donc été jugée digne de recevoir des « armes haut de gamme », comme elles ont été décrites par l’ambassadeur des Etats-Unis au Liban David Hale, au mois de février.

Ce mois-ci même, le site internet de l’armée libanaise se vantait d’avoir organisé une session « d’essai de tirs » avec des missiles anti chars reçu des Etats-Unis dans le cadre d’un accord sponsorisé par les Saoudiens. D’autres types d’équipement reçus incluaient des hélicoptères de combat, de l’artillerie lourde et des missiles anti-blindage Hellfire.

Ces livraisons d’armes ont généré de l’inquiétude pour certains tels que le Israeli National News, qui a récemment publié un article au titre typiquement alarmiste : « Le Liban acquière plus d’armes américaines - ou est-ce le Hezbollah ? » Dans cet article, on apprend que « beaucoup en Israël ont exprimé leur crainte que ces armes puissent terminer dans les mains du groupe archi terroriste du Hezbollah ».

Une question plus pertinente cependant pourrait se concentrer sur pourquoi Israël fréquente des groupes de terreur tels que le Front al-Nosra, filiale d’al-Qaïda en Syrie - ou pourquoi est-ce que les armes américaines ont terminé dans les mains du Daech ?

Pendant ce temps, la logique de « l’ennemi de mon ennemi » a continué à fracturer la Syrie pour l’ouest et ses alliés, étant donné que le Hezbollah et les djihadistes sunnites occupent des positions ennemies. Il semblerait, en fait, qu’il y a désormais tellement d’ennemis qu’il arrive parfois que nous en perdions certains de vue. Le 11 juin, le Wall Street Journal a rapporté que certains sénateurs américains s’étaient plaints au Directeur du renseignement national James Clapper, au sujet d’une supposée « omission » dans une présentation faite au Congrès en février au sujet de l’évaluation des menaces mondiales.

Le problème, en résumé, était que « l’Iran et le Hezbollah n’étaient pas inclus en tant que menaces terroristes ». Effectivement, la seule fois où le Parti de Dieu figure dans l’évaluation, se trouve dans la section détaillant les « menaces croissantes de groupes terroristes », qui note que « les extrémistes sunnites essayent d’établir des réseaux au Liban et ont augmenté leurs attaques contre les positions de l’armée libanaise et du Hezbollah le long de la frontière entre le Liban et la Syrie ».

Cette interprétation semblerait présenter le Hezbollah dans un rôle fondamentalement défensif. En réponse aux plaintes des législateurs, Clapper a émis une lettre réitérant que l’Iran et le Hezbollah sont toujours aussi menaçants.

Oubliez « l’ennemi de mon ennemi » ; plus il y a d’ennemis en circulation, mieux c’est pour l’industrie de l’armement et autres concentrations de pouvoir qui profitent du chaos permanent.

Bizarrement cependant, le Liban - l’Etat que l’historien David Hirst a judicieusement désigné comme le « champ de bataille du Moyen-Orient » - jouit actuellement d’une relative tranquillité, tout du moins en termes de standards libanais. Ceci malgré le chaos voisin et l’insistance répétée du camps anti-Hezbollah que le Parti de Dieu a provoqué des « retombées » de violence de Syrie.

Avec Daech qui entreprend désormais un débordement sans précédent le long de la frontière nord-est du Liban avec la Syrie, la fonction du Hezbollah en tant que dernière ligne de défense est devenue encore plus apparente. Etant donné toutes les manifestations de désir de stabilité régionale de la part d’Israël, les Israéliens ne seraient probablement pas si déchirés que cela à l’idée que le Hezbollah - si souvent accusé d’être un « Etat dans un Etat » - avait du fil à retordre avec un califat au sein d’un Etat.

Et étant donné le fait que le Liban est sans doute condamné à un perpétuel état d’urgence, on espère que la djihad du Hezbollah contre les djihadistes ne l’empêchera pas de gérer plusieurs tâches à la fois lors de sa prochaine confrontation avec l’entité belligérante du sud.

Belen Fernandez est l’auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié chez Verso. Elle est conseillère de rédaction chez Jacobin magazine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des membres du mouvement chiite libanais Hezbollah portant le cercueil d’un de leurs camarades, Abd al-Jalil Mohamed Hamdan, au cours de sa procession funéraire le 13 juin 2015, dans la banlieue sud de la capitale libanaise Beyrouth, après qu’il ait été tué au combat aux côtés des forces gouvernementales syriennes dans la région de Qalamoun. (AFP)

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Traduction de l'anglais (original) par Oriane Divoux.

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