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Donald Trump prêche-t-il la guerre sainte ?

La présidence Trump devrait être l’occasion de reconsidérer la véracité du prétendu laïcisme des guerres occidentales – et accepter cette vérité profondément inconfortable : il mène une guerre sainte

Les États occidentaux se bercent depuis longtemps de l’illusion d’avoir dépassé les guerres de religion. Les croisades et la guerre de Trente Ans ont ensanglanté ces chapitres de l’histoire, et n’auraient plus rien à voir avec la politique étrangère contemporaine.

Même les détracteurs de l’impérialisme américain et de leur guerre sans frontières contre la terreur estiment ces campagnes plus motivées par le nationalisme que par la religion.

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La présidence Trump devrait être l’occasion de reconsidérer la véracité du prétendu laïcisme des guerres occidentales – et accepter cette vérité profondément inconfortable : il prêche la guerre sainte.

L’islam : menace sur la civilisation ?

Le 29 novembre, Trump a retweeté trois vidéos de Jayda Fransen, militante du groupe d’extrême droite, Britain First (La Grande-Bretagne d’abord), groupe fasciste du Royaume-Uni, notoire pour ses harangues au vitriol contre les musulmans. Les dirigeants politiques à l’étranger ont dénoncé cette initiative aussi vite que la Maison-Blanche s’est empressée d’en prendre la défense.

Sur la première vidéo, aujourd’hui discréditée, un prétendu migrant musulman agresse un adolescent hollandais appuyé sur ses béquilles. Sur la seconde, un chef de l’EI s’acharne à démolir une statue de la vierge Marie. La troisième vidéo s’intitulait « Une bande d’islamistes font tomber d’un toit un adolescent et le battent à mort ! ».

Ces vidéos s’ajoutent aux nombreuses autres où, sur les médias sociaux, Britain First vomit régulièrement sa notoire propagande antimusulmane, entre autres manifestations provocatrices de fanatisme religieux, dont les « patrouilles chrétiennes » et « les invasions de mosquées ».

Trump est convaincu, comme Stephen Bannon, que musulmans et islam constituent une menace contre la civilisation chrétienne occidentale

Or, en les retweetant, Trump nous livre également un aperçu de ses propres façons de voir. Il est convaincu, comme Stephen Bannon, que musulmans et islam constituent une menace contre la civilisation chrétienne occidentale.

Cette croyance n’appartient plus à sa sphère privée : elle transparaît désormais de plus en plus souvent dans la politique américaine. Le décret anti-immigration, objet de nombreux débats, révèle à son tour que Trump accorde une grande importance à l’identité religieuse. En plus d’identifier ouvertement les musulmans comme une menace, ce projet de loi prévoyait également une exception en faveur de « certaines minorités religieuses », dont le but était bien sûr de permettre à certaines minorités, chrétiennes en particulier, d’entrer sur le territoire.

Non que tous les immigrants soient dangereux ou que tout étranger présente un problème. Cette interdiction s’applique spécifiquement aux musulmans.

Au cours de la campagne électorale, Trump a formulé cette promesse : « Nous allons prendre la défense du christianisme », et toute une série de décrets et revirements politiques depuis son entrée en fonction se sont avérés incroyablement fidèles à ses promesses de campagne – dont l’abrogation de l’amendement Johnson (très critiqué par les églises évangéliques), qui prévoit des moyens plus sérieux de protéger la « liberté religieuse ».

La promotion de Steve Bannon à un siège au Conseil de sécurité nationale a été largement critiquée (AFP)

Un guerre de religion planétaire

De même, le vice-président Mike Pence a récemment annoncé des changements au niveau de l’aide étrangère fournie par les États-Unis. Les fonds ne seront plus alloués à l’ONU mais bénéficieront désormais aux minorités chrétiennes du Moyen-Orient, par l’intermédiaire de partenaires directs. Voici ce qu’il a déclaré : « le christianisme est victime d’attaques sans précédent dans les pays qui en furent le berceau », aux mains de terroristes islamistes radicaux, « motivés par la haine envers les chrétiens et l’évangile du Christ ».

Ces remarques ont été entendues lors d’un dîner intitulé « Pour la défense des chrétiens », auquel assistaient Pence, en compagnie d’autres hauts responsables de la Maison-Blanche.

Cette bruyante rhétorique s’accompagne du maintien de la présence militaire américaine dans les pays à majorité musulmane. Sous la présidence Trump, les bombardements en Irak et Syrie ont atteint des niveaux sans précédent, tout comme les opérations militaires américaines au Yémen, en Somalie et au Pakistan.

Le temps est-il venu de reconnaître que les États-Unis mènent une guerre sainte d’envergure mondiale ? Leur rhétorique, leurs politiques et leurs opérations militaires sont, sans conteste, définies selon des critères religieux.

Traduction : « @Theresa_May, ne vous acharnez pas contre moi, concentrez-vous sur le terrorisme islamiste radical destructeur qui sévit actuellement chez vous, au Royaume-Uni. De notre côté, nous allons très bien, merci ! »

Les paroles de Steve Bannon, ancien stratège en chef de la Maison-Blanche, à l’adresse d’un comité restreint de prélats de l’Église catholique, valent le détour : à l’en croire, la civilisation occidentale vient d’« entrer dans une guerre mondiale contre le fascisme islamique ». Dans ce discours, il a exhorté l’auditoire à « combattre cette nouvelle barbarie, menace qui pèse sur nos croyances ».

Au regard de la première année de la présidence Trump, comment ne pas voir que c’est exactement ce que pense Trump, lui aussi ?

Cette rhétorique religieuse chargée n’est pas absente d’Europe, non plus. Outre les interdictions de la burka, du hijab et des minarets, on constate la montée en puissance de partis politiques violemment antimusulmans : le Parti de la liberté (Geert Wilder, aux Pays-Bas), le Front national (Marine Le Pen, en France) et Parti du droit et de la justice (en Pologne).

Haro sur l’islam, défendons le christianisme – voici le nouveau cri de ralliement de l’extrême droite.

Comprendre le terrorisme contemporain

Nous ne devons pas non plus nous imaginer que tout cela serait nouveau. George Bush, de nouveau fervent évangéliste, et Tony Blair, converti au catholicisme, ont tous deux révélé à quel point s’ancrait dans leur foi leur décision commune de faire la guerre en Irak.

Il y a un siècle, des leaders comme le Premier ministre britannique de l’époque, David Lloyd George, évangéliste pieux, qualifiaient la prise de Jérusalem à l’Empire ottoman comme l’une des grandes victoires de la chrétienté.

Et pour quiconque comprend la vision apocalyptique du monde, telle que perçue par les évangélistes américains, il saute aux yeux que c’est elle qui sous-tend le soutien politique américain à Israël.

Précisons tout de suite que ce n’est pas le poids de la religion dans le débat public et politique qui pose problème. L’ennui, c’est que la majorité des intellectuels, analystes et militants occidentaux n’ont pas encore compris qui est Trump, ni ce qui motive la politique américaine. C’est pourquoi ils sont mal préparés à la combattre.

Depuis que Martin Luther a formulé la « doctrine des deux règnes », les États occidentaux se sont engagés sur une voie intellectuelle qui les amènerait à séparer religion et politique, deux sphères estimées distinctes.

Ce n’est que partiellement vrai mais, pour autant, c’est cette vision qui constitue l’un des principaux piliers de l’identité occidentale. L’Occident est dit laïc et rationnel, et le fanatisme religieux sévirait en Orient, exclusivement.

Il n’a pourtant jamais été aussi crucial de rompre avec cette notion, et de retirer les œillères qui biaisent les analyses de nombreux commentateurs. Pour commencer, cela contribuera à la compréhension de la nature du terrorisme contemporain.

À LIRE : Comment Donald Trump accorde son soutien tacite au terrorisme contre les musulmans

Nombre d’entre eux ont été induits en erreur sur l’origine du terrorisme et les solutions à ce problème : ils sont en effet incapables de voir combien colonialisme européen et hégémonie occidentale s’enracinent depuis toujours dans les identités religieuses, et en particulier l’asymétrie des pouvoirs dans les rapports entre chrétiens et musulmans.

De plus, si de nombreux citoyens américains et européens comprenaient enfin à quel point la politique de leurs propres nations s’ancre dans la religion, ils seraient mieux à même de comprendre les pays où les rapports entre religion et politique sont si différents.

Mais le plus grave, c’est que le commandant en chef de la plus grande armée du monde se prend pour le défenseur de la chrétienté, fait des musulmans notre ennemi numéro un, et prend sur cette base des décisions synonymes de vie ou de mort pour les personnes concernées.

C’est choquant, profondément troublant, mais si l’on veut avoir la moindre chance de réparer les dégâts causés par Trump, il est indispensable de reconnaître l’importance de cette si dérangeante vérité.

- Dr Abdul-Azim Ahmed est universitaire et journaliste indépendant. Il a écrit pour The Independent et le New Statesman et prépare actuellement un livre sur les mosquées britanniques contemporaines. Abdul-Azim est également rédacteur en chef d’On Religion Magazine, publication trimestrielle qui observe les interactions entre religion et société.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : À l’aéroport international de Los Angeles, Noor Hindi et Sham Najjar, nés aux États-Unis de parents syriens, manifestent contre l’interdiction d’entrée sur le territoire, imposée à certains immigrants par le président Trump (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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