Emmanuel Macron et les migrants : entre belles phrases et matraquages
Le 19 septembre dernier, Emmanuel Macron déclarait à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU que « le migrant est devenu le symbole de notre époque. Le symbole d'un monde où aucune barrière ne pourra s'opposer à la marche du désespoir si nous ne transformons pas les routes de la nécessité en routes de la liberté ».
Cette envolée lyrique, solennelle à défaut d’être compréhensible, a été accueillie par les applaudissements chaleureux de l’assemblée et par l’approbation des journalistes présents. Il faut dire que tout était bon à prendre après le discours apocalyptique de Donald Trump brandissant explicitement la menace de la guerre nucléaire contre la Corée du Nord. Le président français, décidément touché par la grâce, s’est même permis un « ce ne sont pas les murs qui nous protègent », référence à peine voilée à son homologue américain.
Malheureusement, la communication de Macron se rouille à mesure qu’il s’éloigne des grandes tribunes. Le 1er juin dernier, filmé à son insu lors d’une visite dans le Morbihan, il fait une blague pour le moins douteuse sur le « kwassa-kwassa », qui « pêche peu mais amène du Comorien ». Le kwassa-kwassa est une embarcation de fortune à bord de laquelle près de 10 000 migrants comoriens ont trouvé la mort depuis 1995 en essayant d’atteindre l’archipel de Mayotte, territoire français de l’océan Indien.
Empêcher les demandeurs d’asile d’arriver…
Afin de comprendre la véritable politique migratoire du président Macron, mieux vaut se tourner vers son Premier ministre Édouard Philippe, qui présentait le 12 juillet dernier le plan du gouvernement intitulé « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires ». Maryline Baumard, journaliste du Monde, résume parfaitement l’affaire : « L’idée première est bien d’empêcher les demandeurs d’asile d’arriver ».
En effet, le plan du gouvernement se concentre surtout sur le « renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne », avec tout ce que ceci implique en matière de renforcement de l’agence Frontex, censée empêcher les bateaux de migrants de traverser la Méditerranée, mais également d’accords en tout genre avec les pays frontaliers de l’UE par où transitent la plupart des migrants, à savoir la Turquie, la Libye et l’Égypte.
Le nouveau président français et ses homologues européens comptent toujours sur les dictatures méditerranéennes, celle de Kadhafi hier et celle de Sissi aujourd’hui, pour leur servir de gardes-frontières
Le plus médiatisé est l’accord entre la Turquie et les pays de l’UE conclu en 2016, qui facilite grandement le renvoi en Turquie de migrants arrivés en Grèce en échange d’aides financières accordées au gouvernement d’Erdoğan. John Dalhuisen, directeur du programme Europe d’Amnesty International, réagissait à l’époque en qualifiant ce deal d’« abysse moral », alors qu’un an après, plusieurs ONG déploraient les conséquences catastrophiques de cet accord sur les nombreux réfugiés bloqués en Grèce.
Un accord similaire avait été passé entre l’Italie et la Libye de Kadhafi, qui jouait le rôle de garde-frontière de l’Europe moyennant des milliards d’euros « d’aide au développement ». Les violations flagrantes des droits de l’homme subies par les migrants en Libye n’inquiétaient pas outre mesure les dirigeants européens de l’époque, comme le dénonçait déjà Human Rights Watch dans un rapport de 2009.
Le même souci d’empêcher les migrants de mettre pied en Europe et le même mépris envers leurs vies et leurs droits ont amené Macron à suggérer la mise en place de centres de « triage » dans le désert Libyen, un pays en guerre où les migrants sont régulièrement rançonnés et même vendus comme esclaves par les divers groupes armés qui y sévissent.
L’instabilité qui règne en Libye a également conduit les dirigeants de l’UE à se tourner vers le régime égyptien voisin pour arrêter le flux de migrants. Lors d’une récente visite au Caire, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a apporté son soutien à la dictature égyptienne et assuré que la politique d’Emmanuel Macron envers l’Égypte s’inscrirait dans la continuité de celle de son prédécesseur François Hollande. Vantant la « coopération militaire et sécuritaire » entre les deux pays, il a cité la Libye comme un sujet de préoccupation majeur.
En février 2017, le site égyptien Mada Masr révélait l’existence de discussions avancées afin d’intégrer l’armée égyptienne dans des opérations navales avec d’autres pays de l’UE pour stopper les bateaux de migrants partant de la côte libyenne. Les autorités égyptiennes avaient déjà arrêté plus de 4 600 migrants en 2016.
C’est donc bien dans le domaine de la politique étrangère que s’inscrit la stratégie d’Emmanuel Macron en ce qui concerne les migrants : la priorité absolue est d’empêcher les demandeurs d’asile de débarquer en Europe, et par conséquent d’arriver en France. Le nouveau président français et ses homologues européens comptent toujours sur les dictatures méditerranéennes, celle de Kadhafi hier et celle de Sissi aujourd’hui, pour leur servir de gardes-frontières.
… et réprimer ceux qui sont déjà là
Ceci dit, et quand bien même l'État français réussirait à empêcher l'entrée de nouveaux migrants sur son territoire, il lui resterait à « régler » le cas des migrants déjà présents en France.
Emmanuel Macron et Édouard Philippe insistent dans leur communication sur la distinction entre réfugiés politiques et migrants économiques. Cette nuance, nous y reviendrons, a des implications idéologiques importantes.
En ce qui concerne les réfugiés politiques, le gouvernement assure vouloir garantir le droit d'asile aux « combattants de la liberté » et annonce dans ce sens raccourcir la durée d'étude de la demande d'asile.
Depuis l'élection de Macron, la France a mis en place un processus de déportation forcée vers l'Afghanistan malgré la guerre qui y fait toujours rage et les menaces de mort que les Talibans ont adressées personnellement à de nombreux réfugiés
La réalité est tout autre : alors qu'une grande partie des réfugiés syriens, après un long marasme bureaucratique, voient généralement leur demande d'asile accordée, ce n'est pas le cas pour d'autres réfugiés de pays en guerre, comme le Soudan ou l'Afghanistan. En effet, depuis l'élection de Macron, la France a mis en place un processus de déportation forcée vers l'Afghanistan malgré la guerre qui y fait toujours rage et les menaces de mort que les Talibans ont adressées personnellement à de nombreux réfugiés.
De plus, selon les récentes révélations de Street Press, alerté par les migrants soudanais auto-organisés, la police française collabore activement avec la dictature soudanaise afin d’identifier et faire expulser vers le Soudan des opposants au régime d'Omar al-Bachir, accusé de nombreux crimes de guerre et de nettoyages ethniques en plus de sa répression « normale » de tout activisme politique.
Ces éléments, couplés au récent rallongement de la durée de détention administrative des migrants de 45 à 90 jours – à l'issue de laquelle l'expulsion a normalement lieu – laissent penser que l'accélération de la procédure d'asile annoncée par le Premier ministre vise surtout à favoriser les expulsions des migrants, en leur laissant le moins de temps possible pour s'intégrer, trouver un travail, un logement, entrer en contact avec des militants solidaires, etc. avant que leur expulsion ne soit prononcée.
Les trente-cinq démantèlements de camps de migrants à Paris depuis juin 2015 – dont trois depuis l’élection de Macron – vont également dans ce sens : ce sont effectivement des rafles policières, au cours desquelles les camps sont assiégés au petit matin par les CRS qui confisquent tentes, couvertures et sacs de couchage et « réorientent » les migrants vers des centres de détention desquels ils seront plus facilement expulsés.
Enfin, une source dans l'administration indique que la préfecture de police de Paris pourrait bientôt se voir confier la gestion des migrants dans la capitale, qui relevait jusqu’ici de la mairie de Paris, promettant un renforcement de la répression déjà intolérable que subissent ces derniers.
Délit de solidarité
La répression étatique touche également quiconque ose agir en faveur des migrants ; le cas de Cédric Herrou, agriculteur du sud de la France condamné à une peine de prison avec sursis pour avoir aidé des réfugiés près de la frontière italienne, est bien connu. Mais il n'est pas le seul. Houssam el-Assimi, leader du collectif parisien d'aide aux migrants La Chapelle debout, peut en témoigner : il comparaissait fin septembre devant un juge.
Dans les deux cas, les avocats ont dénoncé des procès politiques, des tentatives d'intimidation venant du cœur des institutions étatiques françaises afin d'empêcher toute solidarité envers les migrants. Rien n’indique que ce type de poursuites, héritées du quinquennat Hollande, ne se multiplieront pas sous Macron.
La nouvelle loi antiterrorisme promet également un renforcement de la répression des migrants en France. En transférant de nombreux dispositifs clés de l'état d'urgence dans le droit commun, elle inscrit sur le long terme la dérive autoritaire de ces dernières années. De fait, l'état d'urgence a lâché la bride à la police, qui s'en est prise aux militants politiques de gauche, celles et ceux qui se trouvent souvent en première ligne pour défendre les migrants et les aider à s'organiser.
Que Macron saupoudre cette réalité impitoyable de belles phrases sur la « France des droits de l’homme » qui se devrait de protéger « les combattants de la liberté » ne fait qu’ajouter une bonne dose de cynisme à un constat déjà accablant
La police et la justice, deux institutions au cœur de l’État français, se chargent donc d’appliquer une politique impitoyable envers les migrants, traînant dans la boue tous les grands principes « républicains » sur les droits et la dignité humaine et reléguant aux oubliettes les conventions internationales. Que Macron, comme Hollande avant lui, saupoudre cette réalité de belles phrases sur la « France des droits de l’homme » qui se devrait de protéger « les combattants de la liberté » ne fait qu’ajouter une bonne dose de cynisme à un constat déjà accablant.
Si la police et la justice agissaient sous les ordres de Marine Le Pen, l’explication aurait été simplement trouvée dans l’idéologie profondément raciste du Front national. Mais c’est bien Emmanuel Macron qui a été élu, notamment en se façonnant une image – relayée ad nauseam par les grands médias français et européens – du candidat raisonnable du centrisme libéral, l’antithèse des aberrations Trump, Le Pen, Mélenchon et Brexit.
Malgré ses dérapages verbaux sur le kwassa-kwassa et la fécondité des femmes africaines, entrave « civilisationnelle » selon lui au développement du continent africain – dérapages au final pas si insolites quand on connaît la classe dirigeante française –, il serait erroné de présenter le racisme comme un fondement de l’idéologie Macron. Cela n’exclut pas toutefois la possibilité qu’il y ait recours dans le futur, comme ce fut le cas pour François Hollande.
Le « président Jupiter » voit sa principale mission dans la réforme de l’économie française sur des lignes radicalement néolibérales. Cela signifie un transfert des richesses du bas vers le haut, des salariés vers les actionnaires, une réduction des impôts pour les plus riches accompagnée du démantèlement progressif des services publiques et de ce qu’on appelle le « modèle social français ».
Macron s’inscrit dans une démarche où toutes les valeurs de solidarité, d’altruisme ou d’entraide doivent être remplacées par le froid calcul économique qui régit la compétition entre les individus. Dans ce contexte, toute solidarité envers les migrants doit être combattue et réprimée
Pour accomplir cette tâche historique et justifier l’augmentation des inégalités qu’elle va engendrer, Macron a besoin, comme Thatcher avant lui, d’une couverture idéologique. La dame de fer avait décrété que « la société n’existe pas, il n’y a que des individus », ou encore dénoncé les syndicats comme « les ennemis de l’intérieur ». Macron s’inscrit dans une démarche similaire, où toutes les valeurs de solidarité, d’altruisme ou d’entraide doivent être remplacées par le froid calcul économique qui régit la compétition entre les individus.
Dans ce contexte, toute solidarité envers les migrants doit être combattue et réprimée. Les migrants eux-mêmes doivent être divisés entre « combattants de la liberté » et « migrants économiques », ces derniers vus comme un lest intolérable pour un pays au taux de chômage déjà élevé.
Dans cette bataille idéologique, les faits sont secondaires. Ces faits, c’est que la guerre entraîne la misère économique, et que la misère économique s’accompagne dans certains pays d’une répression politique contre quiconque ose élever la voix. Comment alors faire la distinction entre migrants économiques et migrants politiques ? Peu importe au final, car nous avons déjà vu comment les « combattants de la liberté » soudanais et afghans sont traités par l’État français.
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Il est intéressant de comparer le cas français au cas allemand ; Angela Merkel, qu’on ne pourrait soupçonner de gauchisme, avait jusqu’à récemment ouvert la porte à des centaines de milliers de migrants. La chancelière, et avec elle une bonne partie de la classe dirigeante allemande, pariait sur ces jeunes migrants pour mettre de l’eau au moulin de l’économie allemande, orientée vers l’export et basée sur la haute technologie et les bas salaires. Mais devant le constat que la plupart des migrants n’avaient pas les qualifications nécessaires pour booster l’industrie allemande, et la pression venue de l’extrême droite avec les gains électoraux de l’AfD, Merkel a opéré un brusque tournant dans sa politique, laissant présager une montée de la répression contre les migrants.
Macron ne croyait pas si bien dire lorsqu’il déclarait que « le migrant était devenu un symbole de notre époque. » Époque où les pays les plus riches préfèrent ouvertement laisser des hommes et des femmes se noyer par milliers plutôt que leur ouvrir la porte, époque où le froid calcul économique fait des êtres humains une marchandise comme une autre, soumise aux lois du marché. Si bien que le moindre acte de solidarité humaine est vu par les défenseurs du système comme une déclaration de guerre.
- Jad Bouharoun est un militant socialiste et écrivain libanais.
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Photo : des agents de police lors de la démolition du camp de migrants de Calais en octobre 2016 (AFP).
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