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En Algérie, il vaut mieux être musulman. Et sunnite

Mohamed Aïssa voulait être le ministre de « toutes les religions ». Mais depuis quelques mois, on assiste à un nouveau raidissement de son institution envers les minorités religieuses dans le pays

Au lendemain de l’indépendance du pays, et dans sa volonté de « réappropriation des attributs de l’identité algérienne », l’islam est adopté en tant que religion d’État.

Les minorités chrétienne et juive qui sont restées durant les premières années de l’indépendance ont peu à peu quitté le pays, essentiellement vers la France. Celles-ci n’entrevoyaient plus d’avenir clair au sein de la nation algérienne naissante, particulièrement suite à l’adoption du très controversé code de la nationalité algérienne de 1963 selon lequel « le mot ‘’algérien’’ en matière de nationalité d’origine s’entend de toute personne dont au moins deux ascendants en ligne paternelle sont nés en Algérie et y jouissaient du statut musulman. »

Au début des années 2000, la presse algérienne, surtout arabophone, multiplie les articles offensifs reprochant à l’État algérien de laisser ces groupes se développer et de ne pas « protéger l’islam », pourtant religion de l’État

Après avoir vécu avec le mythe de l’unicité pendant des décennies, les Algérien(ne)s découvrent qu’en Algérie, comme partout dans le monde, la diversité confessionnelle est la règle. Le débat autour de la religion – ou des religions –  fait ainsi son entrée dans la place publique avec son lot de raccourcis et de préjugés, mais aussi de discours haineux, notamment dans la presse écrite et sur les réseaux sociaux.

En effet, depuis au moins une vingtaine d’années, des groupes de convertis au christianisme se sont multipliés en Algérie notamment sous l’influence des églises évangéliques anglo-saxonnes.

Au début des années 2000, la presse algérienne, surtout arabophone, multiplie les articles offensifs reprochant à l’État algérien de laisser ces groupes se développer et de ne pas « protéger l’islam », pourtant religion de l’État.

Slimane Bouhafs, un ex-policier Algérien de 49 ans converti au christianisme, a été condamné à trois ans de prison ferme en septembre 2016 pour « atteinte à l’islam et au prophète Mohammed » pour avoir publié sur les réseaux sociaux que le Prophète Mohamm

Les autorités algériennes se sont alors vues contraintes d’adopter des mesures légales pour encadrer ces nouveaux groupes de convertis de l’islam.

Un décret a donc été adopté le 28 février 2006 qui, tout en garantissant la liberté de culte, condamnait à des peines sévères d’emprisonnement ou à des amendes les individus ou les groupes qui inciteraient des musulmans à se convertir à une autre religion.

C’est sur la base des mesures d’application de ce décret que des églises furent fermées et plusieurs chrétiens furent condamnés, en 2008, à des peines d’emprisonnement pour avoir été contrôlés alors qu’ils transportaient des Bibles ou réunissaient des catéchumènes.

« Minorité », un mot qui n’apparaît nulle part dans la Constitution

Actuellement, la nouveauté réside dans le fait que le débat n’est plus centré uniquement sur les minorités issues de religions autres que l’islam comme le christianisme, et plus particulièrement sur l’évangélisation, il englobe aussi celles qui sont au cœur de l’islam mais différentes du courant dominant en Algérie, l’islam sunnite.

C’est ainsi le cas de l’ibadisme, courant dominant chez les mozabites du sud algérien, et du chiisme. C’est aussi le cas de l’ahmadisme qui a fait récemment une incursion très remarquée dans le paysage confessionnel algérien.

À LIRE : Accusés d’hérésie, les ahmadis d’Algérie prient clandestinement

La Constitution algérienne prévoit dans son article 42 que : « La liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables. La liberté d'exercice du culte est garantie dans le respect de la loi. »

Cependant, l’article 32 qui mentionne les conditions d’égalité entre les citoyens ne fait pas mention de la religion : « Les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »

Le mot « religion » n’apparait d’ailleurs que pour dire que l’islam est religion de l’État et le mot « minorité », quant à lui, n’apparaît nulle part.  

Mohamed Aïssa, ministre algérien des Affaires religieuses depuis mai 2014 (Facebook)

À Ghardaïa, ville du sud de l’Algérie où vit la majorité des membres de la communauté mozabite ibadite, des affrontements souvent meurtriers opposent cette communauté aux chaambas malékites – sunnites.

Bien que la dimension religieuse ne soit visiblement pas l’élément déterminant dans ce conflit qui oppose les deux communautés, celle-ci ne manque pas de se greffer à chaque fois et de venir exacerber des tensions déjà très vives.

À LIRE : Ghardaïa : autrefois frères, aujourd’hui ennemis

Nombre d’activistes parmi les Mozabites accusent les autorités de manquer d’impartialité dans leur gestion des événements et estiment que leur communauté est victime d’une double discrimination, à la fois ethnique et confessionnelle.

Durant les deux années 2015 et 2016, plusieurs militants mozabites sont en effet emprisonnés dont certains sont restés des mois sans jugement, et ce, en violation des procédures judiciaires en vigueur.

En juillet 2015, la vallée du M’zab a connu des affrontements sans précédent entre populations berbérophones et arabophones (MEE/Mélanie Matarese)

Au lieu d’une gestion sur le plan du droit et sous l’angle des libertés individuelles, les autorités font de la question des minorités en Algérie une affaire purement sécuritaire à traiter sur le plan judiciaire.

Les athées, eux aussi victimes de répression

Évoquant la question des ahmadis le 29 avril 2017, Mohamed Aïssa s’était félicité de l’action des « services de sécurité qui ont réussi à faire échouer un complot visant à diviser les Algériens sur le plan confessionnel », estimant qu’il s’agit là d’« un mouvement de renseignement au service du colonialisme moderne ».

Des dizaines de membres de la communauté ahmadie, qualifiée de secte par les autorités, sont transférés devant la justice dans plusieurs villes d’Algérie (Chlef, Batna, etc.) et nombre d’entre eux, dont Mohamed Fali, chef de file de cette communauté en Algérie, sont emprisonnés.

Des membres de la petite communauté des ahmadis prient chez eux, à Tipasa, à 80 km à l'ouest d'Alger (AFP)

Officiellement poursuivis « pour leur adhésion à une association non agréée et leur collecte de dons sans autorisation », et non pas pour la pratique de leur culte, les membres de cette communauté se sont vus même dénier leur appartenance au culte musulman par le ministère compétent.

Par ailleurs, les athées ne dérogent pas à la règle. Ils sont, eux aussi, victimes de répression et sont souvent poursuivis pour « offense » à l’islam, notamment suite à leurs publications sur les réseaux sociaux.

Les faits démontrent que les Algériens en général et l’État algérien en particulier ont encore du mal à s’accommoder pleinement de la diversité culturelle et religieuse

L’affaire de Rachid Faudil, ce blogueur jugé pour « offense au prophète » a en effet défrayé la chronique et son procès a été qualifié de « religieux » par ses avocats.  

Fait inédit dans les annales judiciaires en Algérie, le jeune romancier Anouar Rahmani est convoqué par la police le 27 février 2017 pour « blasphème », plus précisément d’« atteinte à l'entité divine et à la religion », et ce, suite à la publication de son premier opus, « La ville des ombres blanches ».

À LIRE : Anouar Rahmani : « Je voudrais dire à ma société que la différence n’est pas un crime »

Cette affaire ne manque pas de susciter l'indignation des internautes qui rappellent que cette convocation est en contradiction flagrante avec ce que prévoit la Constitution algérienne en la matière.

Les deux cas susmentionnés, loin d’être anecdotiques ou isolés, sont l’illustration parfaite du fossé existant entre le droit et les faits. Si le premier garantit la liberté de conscience et d’opinion en Algérie, les faits démontrent que les Algériens en général et l’État algérien en particulier ont encore du mal à s’accommoder pleinement de la diversité culturelle et religieuse.

 

-Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques et aux droits humains. Il est le fondateur de Babel Consulting, une entreprise de conseil en communication. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Mohamed Fali, chef de la communauté religieuse des ahmadis, a été condamné à six mois de prison avec sursis. Libéré de prison, il reste poursuivi pour « collecte de dons non autorisés et offense au prophète de l’islam » (AFP).

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