En Israël, le racisme devient une stratégie de marketing politique
Il y a une semaine, le match Israël-Albanie en était à sa 83e minute. Une victoire aurait plus que jamais rapproché Israël du championnat d’Europe de football en 2020.
Israël menait 1-0 tandis que les Albanais maintenaient la pression. Mais Israël est alors passé à l’attaque : le ballon a été récupéré par Dia Saba, originaire de Majd al-Krum, un village palestinien du nord d’Israël. Saba a décoché un tir du bord de la surface et porté son équipe à 2-0. Israël était sur le point de réaliser un exploit historique.
Saba n’était pas seul. Cinq des onze Israéliens présents sur le terrain étaient d’origine palestinienne, le plus grand nombre de tous les temps. Les joueurs remarquables du match, c’était eux. Leur origine n’a pas empêché les amateurs de sport en Israël de s’enthousiasmer pour l’équipe.
Le public juif d’Israël serait-il en train de se diriger vers l’acceptation de la minorité palestinienne ? Tous les signes indiquent le contraire.
Campagne de peur et incitation à la haine
Le 30 octobre, des élections municipales auront lieu pour toutes les administrations locales en Israël – et les campagnes présentent des signes d’une incitation sans précédent à la haine contre la minorité arabe palestinienne.
Dans la ville de Ramla, dont la plupart des habitants palestiniens ont été expulsés en 1948, Naftali Bennett, du parti Le Foyer juif, ministre de l’Éducation, et le ministre de la Justice, Ayelet Shaked, ont diffusé des publicités mettant en vedette une jeune femme d’apparence occidentale vêtue d’un hijab.
Derrière elle se trouvent des bougies allumées et une coupe de vin, coutume du shabbat. La légende indique : « Des centaines de cas d’assimilation [qui quittent le judaïsme pour une autre religion] et personne ne s’en soucie. Demain, ça pourrait être votre fille. Seul le parti du Foyer juif préservera la judéité de Ramla.
Des centaines d’arrêts de bus sont habillés d’affiches avec un drapeau israélien d’un côté et un drapeau palestinien de l’autre. Les légendes sont sans équivoque : « Nous, la ville hébraïque, ou eux, l’OLP »
À Tel-Aviv, le Likoud, le parti du Premier ministre Benyamin Netanyahou qui lors des dernières élections n’avait remporté que deux des 31 sièges au conseil municipal, mène une campagne similaire faite d’alarmisme et d’incitation à la haine. Des centaines d’arrêts de bus sont habillés d’affiches avec un drapeau israélien d’un côté et un drapeau palestinien de l’autre. Les légendes sont sans équivoque : « Nous, la ville hébraïque, ou eux, l’OLP », « Nous, la ville hébraïque, ou eux, le mouvement islamique de Jaffa ».
Le racisme contre les Arabes fait partie de l’histoire d’Israël depuis le premier jour. Une série de lois – de la loi sur le retour (pour les juifs) à la loi sur la propriété des absents (ciblant les Arabes) – et le pouvoir accordé au Fonds national juif de ne pas vendre de terres à des non-juifs, ont fermement institutionnalisé la discrimination. Les déclarations racistes contre les Arabes ne sont pas non plus un phénomène nouveau. La nouveauté, c’est que le racisme est devenu une stratégie marketing officielle et institutionnalisée en politique.
« Les Arabes affluent en masse vers les urnes »
Pour identifier de manière chronologique la naissance de cette nouvelle tendance, il faut revenir aux dernières élections nationales, en mars 2015. À 11 h du matin le jour du scrutin, Netanyahou a publié une courte vidéo dans laquelle il regardait la caméra et déclarait d’un ton inquiet, comme si une guerre avait éclaté : « Les Arabes affluent en masse vers les urnes. Les ONG de gauche les y amènent par bus entiers ».
Ça a fonctionné. Selon de nombreux commentateurs, cette vidéo a sauvé Netanyahou de la défaite, car jusqu’à ce matin-là, il était à la traîne derrière le Parti travailliste.
La campagne d’incitation à la haine de Netanyahou a continué pendant toute la durée du mandat de l’administration actuelle. Plus tôt cette année, sa page Facebook avait publié un article laissant supposer que les fans de BneiSakhnin, le plus grand club de football arabe d’Israël, avaient, lors de la minute officielle de silence, sifflé dix jeunes randonneurs israéliens qui s’étaient noyés lors d’une inondation subite dans le sud d’Israël. Il a été établi par la suite que cette histoire était fausse, mais elle est restée sur le compte Facebook officiel du Premier ministre pendant des jours. Cela aurait-il été le cas sans le « succès » cynique de sa vidéo du jour du scrutin ?
Traduction : « Le Foyer juif à Ramla, une ville où cohabitent juifs et musulmans, a lancé une campagne en faveur de son candidat à la mairie : ‘’Cela pourrait être votre fille [si elle épouse un musulman]’’. Naftali Bennet, le chef du parti, est le ministre de l’Éducation (d’Israël) »
L’influence de cette vidéo pourrait également avoir plané sur le récent projet de loi sur l’État-nation, que Netanyahou a fait adopter à la hâte, tout en refusant tout appel demandant une pause afin de procéder à une réévaluation. Il est difficile de voir comment cette loi – déclarant que seuls les Juifs ont le droit à l’autodétermination en Israël, annulant le statut officiel de la langue arabe et obligeant l’État à encourager la « colonisation juive » – aurait pu être adoptée sans la grande légitimité publique conférée par cette vidéo au discours sur la discrimination et l’incitation à la haine contre la minorité arabe palestinienne.
L’efficacité de cette vidéo prouve que l’incitation à la haine est un outil de promotion gagnant en politique de nos jours. Le premier à avoir adopté ce message lors de la campagne électorale municipale a été AviElkabetz, ancien maire d’Afula, dans le nord d’Israël, qui souhaite retrouver son poste. « Forte poussée de 33 % des représentants de minorités pendant le mandat de Meron », a décrié Elkabetz sur sa page Facebook, évoquant l’actuel maire, Yitzhak Meron.
Stratégie de judaïsation
L’augmentation est en réalité de 300 à 400 citoyens arabes, un chiffre négligeable dans une ville de 50 000 habitants – mais selon Elkabetz, Meron conduit Afula à « devenir une ville mixte ».
Après Afula ont suivi les campagnes de propagande haineuse à Tel Aviv et à Ramla, où les responsables de la campagne ont apparemment pensé que ces publicités anti-arabes étaient non seulement légitimes, mais valaient également la peine d’y investir des centaines de milliers de shekels.
À Haïfa, le président du parti Foyer juif, Yoav Ramati, a proposé de publier une liste de vendeurs juifs sur le marché de la ville, afin que les clients sachent où acheter. Karmiel a également promu RotemYanai, candidat à la mairie pour Le Foyer juif, et a parlé avec enthousiasme de « judaïser la Galilée » – et à Nazareth Illit, le parti du Foyer juif a informé ses électeurs que « Nazareth Illit est juif ».
Karmiel et Nazareth Illit ont toutes deux été construites au cours du siècle dernier dans le nord d’Israël, dans le but de judaïser des zones densément peuplées par les citoyens arabes palestiniens d’Israël. Les deux villes comptent aujourd’hui une minorité non négligeable d’habitants arabes. Il est donc facile de jouer sur les craintes des majorités juives de voir une présence palestinienne croissante.
Stratégie payante aux urnes ?
Il est encore difficile de savoir à quel point miser sur ces campagnes ouvertes d’incitation à la haine et de peur menées contre les Arabes se révèlera payant dans les urnes. Cela ne deviendra évident que le 30 octobre. Pourtant, il semble qu’une limite ait été franchie ici.
Lorsque le racisme devient non seulement acceptable sur la scène publique, mais est également perçu comme… approprié pour une campagne électorale officielle, on arrive à un moment très dangereux
Le racisme a toujours existé. Naturellement, en Israël, cela a toujours existé, et pas exclusivement envers les Arabes. Mais lorsque le racisme devient non seulement acceptable sur la scène publique, mais est également perçu comme un moyen efficace de gagner des voix et approprié pour une campagne électorale officielle, on arrive à un moment très dangereux. C’est précisément où en est Israël actuellement.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’exprime à Berlin, le 4 juin 2018 (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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