Fidèle à la stratégie de son père, Bachar al-Assad se livre à un jeu d’échecs sur le front sud
Le terme de « pax syriana » a été inventé dans les années 70 en référence au contrôle syrien du Liban en tant que contrepoids face à Israël, alors que se jouait une bataille d’influence entre la Syrie et Israël dans le Levant.
À plusieurs reprises depuis le mandat français, Damas a cherché à exercer un contrôle sur le Liban de diverses manières, en particulier entre 1975 et 2005, période lors de laquelle la pax syriana était à son apogée. Le principal facteur était le conflit entre la Syrie et Israël. Le plateau du Golan a dominé les pensées syriennes après la guerre des Six Jours et, depuis lors, la Syrie et Israël sont enfermés dans une lutte pour le contrôle du sud du Liban et de la Syrie.
Bien entendu, durant la guerre qui a commencé en Syrie en 2011, le pays a combattu pour sa survie et perdu des parties de son propre territoire méridional. Maintenant que le gouvernement – fermement soutenu par les Russes – a réaffirmé son contrôle dans diverses parties du pays, Damas est sur le point de faire son retour dans le sud, où un accord potentiel entre Tel-Aviv et Moscou permettrait à l’armée syrienne de reprendre des territoires rebelles.
La politique par défaut de Damas
Il est encore trop tôt pour déterminer quand et comment cela pourrait se concrétiser, mais une chose est claire : lentement mais sûrement, Damas revient à sa politique par défaut faisant de la bataille diplomatique avec Israël son objectif principal, selon le modèle établi par le défunt président Hafez al-Assad.
D’aucuns pourraient faire valoir que la structure qu’il a transmise à son fils Bachar est ce qui a préservé ce dernier, en particulier lorsqu’il a fait face à la menace israélienne dans le sud. Les choses pourraient prendre une tournure remarquable avec un retour de l’armée syrienne aux commandes de sa frontière avec Israël, qui a bien saisi le paradoxe de sa préférence pour Damas par rapport à l’Iran ou aux groupes extrémistes soutenus par les États du Golfe.
Deux événements monumentaux ont contribué à l’avènement de Hafez al-Assad en tant qu’élément le plus influent dans le Levant. Le premier a été l’expulsion de l’Organisation de libération de la Palestine de la Jordanie vers le sud du Liban et le second a été l’accord de paix conclu entre l’Égypte et Israël.
Il s’agit à peu de choses près d’une réplique de la stratégie des années 1980, lorsque les Américains, après leur départ du Liban, ont préféré voir Hafez al-Assad mener la barque malgré l’opposition israélienne
Sous Hafez al-Assad, la Syrie s’est dressée comme la principale menace et force d’équilibrage contre Israël et, par défaut, les États-Unis. C’est un fait largement reconnu que pendant près de trois décennies, les présidents successifs des États-Unis en sont venus à accorder leur confiance à la souveraineté d’Assad sur le Liban et à la respecter à contrecœur.
Bien entendu, la guerre au Liban était en fin de compte un échange de tirs direct entre Israël et des intermédiaires de la Syrie. Depuis qu’Israël s’est retiré en 2000, les alliés de la Syrie ont fermement installé leur emprise. À l’époque, comme aujourd’hui, le sort des missiles et des conseillers militaires russes était une préoccupation majeure des États-Unis et d’Israël. La Russie avait des conseillers militaires et des batteries de missiles sol-air au Liban, comme c’est le cas actuellement en Syrie.
De même, Israël avait l’Armée du Liban Sud comme tampon entre l’armée syrienne et les forces israéliennes. Au cours du conflit actuel, Israël a apporté un soutien aux forces opposées à Damas au-dessus du Golan. Cette manœuvre a également permis de tester le sang-froid et la loyauté des Druzes israéliens, qui se sont ouvertement révoltés contre Tel-Aviv, dénonçant une violation non seulement du « tampon druze » dans le sud de la Syrie, mais aussi du soutien majoritaire des Druzes en faveur d’Assad.
La question de l’Iran
À l’époque, comme aujourd’hui, c’était le soutien russe en faveur de Damas qui était un élément stratégique pour gagner la paix, et malgré la présence de l’Iran au Liban, Israël et les États-Unis avaient accepté que Damas réglât le sort du Liban. Aujourd’hui, c’est une réplique qui se produit en Syrie.
En dépit du battage médiatique autour du croissant chiite et de la montée indéniable de l’influence iranienne dans le Levant, l’influence réelle de l’Iran sur Damas est souvent exagérée. Patrick Seale, Jubin Goodarzi et Barak Barfi ont tous trois longuement écrit sur le fait que l’Iran n’a jamais totalement contrôlé la Syrie et que Damas a toujours eu des politiques différentes en Irak et au Liban voisins.
Emma Sky, conseillère politique britannique spécialiste de l’Irak, a également expliqué dans son livre que la Syrie avait soutenu les camps opposés à l’Iran après l’invasion américaine de l’Irak. La réponse est relativement moins complexe que ce que présentent les observateurs : l’Irak et le Liban ont une majorité de chiites duodécimains, alors que la Syrie n’a jamais adhéré à l’islam chiite dominant, ni aux politiques des mollahs de Téhéran.
L’alliance est avant tout une question de convergence au Liban ; pourtant, même dans ce pays, Damas favorise les groupes qui s’opposent à Téhéran chaque fois que cela convient à l’appareil de sécurité syrien. Même pendant le conflit actuel, l’ancien chef du renseignement politique syrien, Rustom Ghazaleh, était farouchement opposé à l’implication iranienne dans le sud de la Syrie, précisément parce que la Syrie ne pouvait pas se permettre de provoquer Israël, étant donné que l’armée syrienne était sur tous les fronts.
Il y a également eu un clivage évident entre l’armée syrienne et certaines parties des forces iraniennes et des milices sous son giron. Le point de vue de l’armée syrienne a toujours été que la Russie est venue en aide à l’État, à l’armée et aux services de renseignement syriens, tandis que l’Iran a aidé ses propres intermédiaires sans assister directement l’armée.
C’est pour cette raison que Bachar al-Assad et l’armée syrienne ont demandé l’aide de la Russie – et dès que l’armée syrienne a obtenu ce soutien, le revirement de situation s’est avéré significatif.
Bien sûr, on ne peut sous-estimer le soutien apporté par l’Iran à Damas au cours de cette guerre ; l’Iran connaît les limites de sa présence et a indiqué publiquement qu’il laisserait l’armée syrienne prendre le contrôle du sud. L’Iran a ainsi clairement reconnu ses propres limites et les lignes à ne pas franchir dans le conflit.
Un accord en vue ?
On ne sait toujours pas précisément quel genre d’accord peut être conclu entre Israël et la Russie au sujet du sud de la Syrie. Un journal israélien de confiance a fait état d’une conversation entre Moscou et Tel-Aviv au cours de laquelle il était question de laisser l’armée syrienne reprendre le sud tant que les Iraniens ou leurs intermédiaires n’étaient pas impliqués dans la bataille et dans la stabilisation post-conflit.
Nabih Berri, un autre allié de Damas au Liban, a laissé entendre qu’un retrait complet de l’Iran pouvait avoir lieu une fois que les forces américaines auraient quitté la Syrie. Le président Donald Trump et les Américains ne sont certainement pas intéressés par le sud ou par l’idée de rester en Syrie plus longtemps que nécessaire – et s’ils estiment que les Russes et les Israéliens ont conclu un accord, cela leur conviendrait parfaitement.
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Il s’agit à peu de choses près d’une réplique de la stratégie des années 1980, lorsque les Américains, après leur départ du Liban, ont préféré voir Hafez al-Assad mener la barque malgré l’opposition israélienne. Comme aujourd’hui, la logique américaine était alors que la Russie pouvait influencer Damas pour éviter une guerre totale dans le Levant.
Il s’agit là du plus grand héritage que Hafez al-Assad a légué à son fils – le jeu d’échecs à la frontière israélienne décidera toujours du sort de Damas. Si un accord était effectivement conclu dans le sud de la Syrie, cela contribuerait à renforcer le retour du gouvernement syrien à un contrôle quasi total du pays.
- Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est également chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il est aussi un conférencier régulier de plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient, au Pakistan et au Royaume-Uni.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des chars israéliens prennent position près de la frontière syrienne sur le plateau du Golan annexé par Israël, le 9 mai 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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