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Droit d’appeler au boycott des produits israéliens : une grande victoire pour la liberté d’expression

La décision de la Cour européenne des droits de l’homme de condamner la France pour le jugement de militants appelant au boycott est une étape majeure dans le combat pour les droits du peuple palestinien
Marche de protestation contre la répression mortelle par Israël de manifestations à Gaza à la suite du transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, à Paris le 15 mai 2018 (AFP)

Le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France dans l’affaire qui l’opposait à onze militants injustement condamnés pour avoir appelé au boycott des produits israéliens. C’est un événement d’une importance toute particulière : tout en faisant justice aux droits de ces militants, l’arrêt de la CEDH replace dans le cadre de la liberté d’expression le droit d’appeler au boycott pour contester la politique menée par un État. C’est une très grande victoire du droit et des libertés publiques.

Il faut d’abord balayer les idées fausses : non, le boycott n’a jamais été interdit par la loi en France. Ce que la loi française interdit, c’est l’appel à la haine et à la violence (loi sur la presse) et la discrimination contre les personnes au regard de leur origine, de leur sexe, de leurs orientations.

Il aura donc fallu beaucoup d’imagination au tribunal français qui avait jugé ces militants pour inventer que l’appel au boycott des produits israéliens serait motivé par la volonté de discriminer un « groupe de producteurs » en fonction de leur nationalité.

Tout en faisant justice aux droits de ces militants, l’arrêt de la CEDH replace dans le cadre de la liberté d’expression le droit d’appeler au boycott pour contester la politique menée par un État

Il aura fallu beaucoup d’aveuglement à nombre de responsables de l’exécutif français, dont le premier d’entre eux, pour oser affirmer que l’appel au boycott et la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) étaient interdits ou durablement condamnés en France.

Il aura fallu aux groupes de pression inconditionnels de l’État d’Israël une bonne dose de cynisme et de mépris des libertés pour réclamer – sans heureusement l’obtenir – une loi contre le boycott en France.

« Un sujet d’intérêt général »

Notons que même après l’arrêt de la Cour de cassation d’octobre 2015, qui confirmait alors la condamnation des militants, aucune nouvelle poursuite n’a été retenue en France par les procureurs. S’ils attendaient d’être éclairés par l’arrêt à venir de la CEDH, on peut dire que désormais, ils le sont pleinement.

C’est à l’unanimité des sept juges composant la chambre chargée de statuer sur cette affaire que la CEDH a conclu que les décisions des tribunaux français contrevenaient à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel protège la liberté d’expression.

Les attendus sont particulièrement clairs. La CEDH souligne ainsi que « les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’État d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale ».

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Elle déclare aussi que « le discours politique est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance ».

L’appel au boycott pour des motivations politiques est ainsi remis par la CEDH à sa vraie place : celle d’une expression politique, participant à un débat d’intérêt général, et protégé à ce titre par la Convention européenne des droits de l’homme.

Condamnée par la CEDH, la France a maintenant des obligations, au-delà des réparations qu’elle doit aux militants injustement condamnés.

La condamnation de la France entraîne de fait l’annulation des deux circulaires scandaleuses que les ministres de la Justice avaient diffusées aux procureurs en 2010 et 2012. Mais la France doit maintenant affirmer, de la manière la plus solennelle, qu’elle respectera le droit citoyen d’appel au boycott contre l’État d’Israël et sa politique, comme pour tout autre État.

Cet arrêt devrait aussi contribuer au débat public dans d’autres pays européens. Les tentatives israéliennes, parfois réussies comme en Allemagne, d’obtenir des résolutions parlementaires contre la campagne BDS, apparaissent maintenant, et de manière claire, comme contraires à la liberté d’expression protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

La stratégie israélienne mise en échec

Depuis des années, et singulièrement depuis le début de 2016 sous l’impulsion du ministère israélien des Affaires stratégiques, la stratégie constante de l’État d’Israël a été de combattre les organisations et les militants qui contestent sa politique. Et l’arme principale de cette politique est l’intimidation, le rétrécissement de l’espace de débat, la « criminalisation » de l’appel au boycott en tentant de faire croire qu’il serait contraire à la loi.

Ni le gouvernement français, ni les relais locaux de la propagande israélienne n’ont réussi à freiner la campagne BDS, qui ne cesse de se développer en France comme partout dans le monde

Ni le gouvernement français, ni les relais locaux de la propagande israélienne n’ont réussi à freiner la campagne BDS, qui ne cesse de se développer en France comme partout dans le monde.

C’est avec de très grandes organisations (syndicats, associations de défense des droits de l’homme) que nous avons obtenu des succès spectaculaires dans le domaine du désinvestissement, notamment pour les entreprises françaises impliquées dans la construction du tramway de Jérusalem. Et la Saison croisée France-Israël, lancée et honteusement maintenue en juin 2018 au plus fort des Marches du retour à Gaza réprimées dans le sang, a été un véritable fiasco pour l’État d’Israël.

Rappelons aussi que c’est au nom du droit des citoyens de s’informer et d’exprimer leurs choix que la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé, en décembre 2019, l’obligation de l’étiquetage des produits des colonies, produits dont nous réclamons par ailleurs le bannissement pur et simple de l’espace européen.

Le 12 février 2020, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a publié une première liste de 112 entreprises impliquées dans la colonisation, liste qui a vocation à être mise à jour. Les entreprises, rappelées à leurs obligations éthiques, de plus en plus interpellées par les citoyens sur ce sujet, vont devoir cesser toute complicité avec la colonisation israélienne.

Cette série de résultats concrets, auxquels s’ajoute désormais l’arrêt de la CEDH, marque l’échec de l’offensive contre nos libertés.

Et maintenant ?

Avec le plan Trump pour la résolution du conflit israélo-palestinien, et la décision programmée du nouveau gouvernement israélien de procéder à l’annexion d’une bonne partie de la Cisjordanie occupée et colonisée par Israël, les menaces sur les droits et sur l’avenir du peuple palestinien sont plus fortes que jamais.

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Et dans le même temps, alors que nous sortons en Europe de la crise sanitaire liée au coronavirus avec de très grands défis sociaux devant nous, les citoyens exigent un monde plus juste et plus fraternel. Partout dans le monde, à travers la campagne d’indignation soulevée par le meurtre de George Floyd aux États-Unis, ils refusent le racisme et le suprémacisme.

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est une juste victoire du droit, de la liberté d’expression et de l’action citoyenne. Notre combat pour les droits du peuple palestinien est au centre des valeurs universelles de liberté, d’égalité, de justice et de dignité qui mobilisent toutes les générations partout dans le monde. La campagne BDS en fait partie et nous continuerons à la développer tant qu’Israël ne respectera pas le droit international et les droits de l’homme.

Lorsque le régime d’apartheid est tombé en Afrique du Sud, c’est par l’action conjuguée des citoyens, des Nations unies et des États. La mobilisation citoyenne est également porteuse d’une exigence vis-à-vis des États pour qu’ils passent de la parole aux actes et s’engagent enfin dans la voie des sanctions contre Israël tant que cet État continuera à bafouer le droit international.

C’est une nouvelle dynamique qui peut voir le jour. Elle doit être porteuse d’espoir, celui d’une mobilisation sans crainte et toujours plus forte, celui de voir les droits des Palestiniens enfin respectés, celui d’un monde plus juste et respectueux du droit.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Bertrand Heilbronn est le président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS)
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