Aller au contenu principal

Géopolitique de l’indépendance kurde

Une semaine après le vote pour l’indépendance du Kurdistan, les acteurs régionaux ont besoin d’une politique plus novatrice face à la question de l’indépendance kurde en Irak pour empêcher cette poudrière d’exploser

Une semaine après le référendum sur l’indépendance organisé par les Kurdes d’Irak, le retour de flamme géopolitique a été rapide et presque unanime. Les États-Unis ont jugé le référendum illégitime. L’Iran, la Turquie et la Syrie ont également rejeté l’initiative, chaque pays prenant des mesures pour riposter contre ce qu’ils considèrent comme un précédent inacceptable. L’intrus qui soutient un Kurdistan indépendant ? Israël.

Le principal bénéficiaire de l’aide étrangère américaine cumulée depuis la Seconde Guerre mondiale œuvre activement contre les intérêts de Washington qui convergent avec ceux de Téhéran, d’Ankara et de Damas. Cela soulève une question : qu’est-ce qui motive les réponses géopolitiques à l’indépendance kurde ? Trois points permettent de souligner les enjeux.

L’effet domino

Le premier point, qui va peut-être de soi, est qu’un Kurdistan indépendant à leurs frontières respectives menace de déstabiliser les populations kurdes en Iran, en Turquie et en Syrie.

Certains Kurdes d’Iran auraient célébré le référendum au Kurdistan irakien, tandis que les luttes des gouvernements turc et syrien avec leur propre communauté kurde ne sont plus à prouver. Les trois pays craignent l’effet domino que l’indépendance des Kurdes d’Irak pourrait déclencher.

L’Iran et la Turquie ont également douloureusement appris que la fragmentation fait déborder l’instabilité à travers les frontières. Des dizaines de milliers de réfugiés irakiens ont fui vers l’Iran et les réfugiés afghans en Iran se comptent en millions. Des estimations non officielles estiment ce chiffre beaucoup plus élevé dans les deux pays.

Si l’offensive indépendantiste kurde en Irak réussit, Israël aura un nouvel ami dans une région où il n’en compte pas beaucoup

Pour sa part, la politique poreuse mise en œuvre par la Turquie à ses frontières pendant une grande partie de la guerre en Syrie a contribué à un afflux massif de réfugiés ainsi qu’à un retour de flamme. Les effets politiques, économiques et sécuritaires de cette instabilité compliquent encore davantage la politique intérieure fragile mise en œuvre par les présidents Hassan Rohani et Recep Tayyip Erdoğan.

Ensuite, Washington voit dans les tendances susmentionnées une convergence d’intérêts avec Téhéran, Ankara et Damas. Les États-Unis n’ont ni l’envie, ni le besoin de se retrouver avec un nouveau combat au Moyen-Orient alors qu’ils essaient de façon désordonnée d’affronter l’Iran, d’apaiser les tensions dans le siège saoudo-émirati contre le Qatar et de combattre l’État islamique et al-Qaïda.

Un Irak unifié maximise la capacité de toutes les parties à projeter leur pouvoir respectif. La scission de l’Irak en deux États – ou trois, si les sunnites irakiens suivent le mouvement – obligera les États-Unis, l’Iran, la Turquie et la Syrie à au moins doubler leurs dépenses en ressources et à élever leur niveau de perception de menace déjà explosif.

Des Kurdes affichent leur soutien pour le référendum sur l’indépendance prévu quelques jours plus tard, à Erbil (Irak), le 22 septembre 2017 (Reuters)

De plus, les États-Unis ont également versé des quantités record de sang et d’argent en Irak (ainsi qu’au cours de leur « guerre contre le terrorisme »), une montagne qui a finalement accouché d’une souris.

L’Irak restera probablement dans un marasme politique, économique et sécuritaire pendant une génération ; plus de 90 % des jeunes Irakiens considèrent les États-Unis comme leur ennemi et certains Irakiens estiment que la vie était meilleure sous Saddam Hussein.

La fragmentation de l’État irakien ne ferait que souligner l’évidence : l’invasion américaine de 2003 a été l’erreur stratégique d’une génération, avec une série de conséquences apparemment sans fin.

Deux poids, deux mesures

Enfin, Washington, Téhéran, Ankara et Damas s’opposent à l’idée de redessiner la carte du Moyen-Orient – au Kurdistan irakien ou ailleurs – parce qu’ils ne recherchent pas plus de territoire.

Le fait de redessiner les frontières en fonction de la myriade de revendications de longue date des communautés minoritaires ouvrirait une boîte de Pandore qui menacerait la stabilité de toutes les parties prenantes – sauf une, apparemment. Ce n’est pas une coïncidence si Israël fait pression en faveur de l’indépendance kurde en Irak, faisant peu de cas de la politique de deux poids, deux mesures dont Tel Aviv se rend coupable au vu de son dégoût pour l’autodétermination palestinienne.

Les revendications kurdes sont compréhensibles, mais le référendum exacerbe la crise de la coexistence politique, économique et sociale en Irak plus qu’elle n’y remédie

Cette entreprise est un pari peu risqué pour Israël : le soutien au référendum n’engage aucun coût dans la mesure où Washington ne souhaite pas ou ne peut pas tenir Tel Aviv pour responsable de son intransigeance.

Si l’initiative d’indépendance kurde en Irak réussit, Israël aura un nouvel ami dans une région où il n’en compte pas beaucoup. Elle divise également un ennemi autrefois puissant en Irak – un pays contrôlé en partie par l’obsession numéro un du gouvernement Netanyahou : l’Iran. Affaiblir Bagdad et Téhéran en un seul coup fait partie des objectifs régionaux du jeu à somme nulle de Tel Aviv depuis plus de deux décennies.

À l’avenir, les acteurs régionaux ont besoin d’une politique plus novatrice face à la question de l’indépendance kurde en Irak pour empêcher cette poudrière d’exploser.

Alors que les États-Unis, l’Irak, l’Iran, la Turquie et la Syrie – ainsi que le Conseil de sécurité des Nations unies – s’opposent au référendum, la question n’est pas de savoir s’ils feront pression sur les Kurdes, mais plutôt le degré d’énergie et de coordination qu’ils choisiront d’employer pour ce faire. Plus ils seront unis, plus l’impact du cavalier seul israélien sera faible.

Des mesures unilatérales

L’Iran, l’Irak et la Syrie connaissent d’expérience l’impact de la punition collective que les sanctions produisent. Ce fait seul devrait les pousser à coopérer avec les États-Unis et la Turquie dans le but d’adopter une approche collaborative et calibrée qui enverrait un message clair aux Kurdes d’Irak et à leurs dirigeants : en prenant des mesures unilatérales pour diviser l’Irak et en créant des situations de fait sur le terrain, tous les progrès qu’ils ont réalisés au cours des 25 dernières années pourraient être annulés.

Cependant, ils devraient également communiquer simultanément une voie de sortie que les Kurdes devraient emprunter en vue d’une désescalade : suivre la Constitution irakienne et se référer à la Cour suprême lorsqu’elle a des litiges avec le gouvernement fédéral.

Souvent, la géopolitique se résume à des avantages dont chacun tire parti. Alors qu’ils font pression en faveur de l’indépendance, les Kurdes d’Irak et leurs partisans à Tel Aviv en ont peu par rapport à leurs homologues à Bagdad, à Washington, à Téhéran, à Ankara et à Damas. Les revendications kurdes sont compréhensibles, mais le référendum exacerbe la crise de la coexistence politique, économique et sociale en Irak plus qu’elle n’y remédie.

La lutte contre l’État islamique a généré un plus grand degré d’unité parmi les chiites, les sunnites et les Kurdes. Tirer parti de la perception de menace partagée pour en faire un contrat social convenu d’un commun accord, basé sur la sécurité, constitue la seule fondation susceptible d’apporter une paix durable aux Kurdes, à leurs frères chiites et sunnites et à la communauté internationale.

- Reza Marashi a rejoint le Conseil national irano-américain (NIAC) en 2010 en tant que premier directeur de recherche de l’organisation, après avoir officié au bureau des affaires iraniennes du département d’État américain. Avant son passage au Département d’État, il a été analyste à l’Institute for National Strategic Studies (INSS), où il a couvert les questions relatives à la Chine et au Moyen-Orient, ainsi que consultant stratégique privé basé à Téhéran, où il s’intéressait aux risques politiques et économiques se rapportant à l’Iran. Ses articles ont été publiés dans le New York Times, Foreign Affairs, Foreign Policy et The Atlantic, entre autres publications. Il a collaboré en tant qu’invité avec de nombreux médias, dont CNN, NPR, la BBC, TIME Magazine, le Washington Post et le Financial Times. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @rezamarashi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi (à droite) est accueilli par le leader kurde irakien Massoud Barzani à Erbil, capitale de la région autonome kurde du nord de l’Irak, le 6 avril 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].