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Israël : le jour d’après

Le gouvernement de Bibi augure soit une nouvelle catastrophe, soit l’occasion d’un nouveau départ au moyen Orient – même contre son gré

Le matin suivant les élections en Israël n’est pas source d’optimisme. Avec un peu d’effort cependant, même les pessimistes peuvent trouver un certain réconfort. La victoire de Benyamin Netanyahou, aussi univoque qu’inattendue, va inaugurer une nouvelle coalition de fanatiques, de nationalistes et de religieux de la droite dure qui ressemblera fortement aux précédentes, mais plus uniforme et, cette fois-ci, sans feuille de vigne pour la dissimuler. Nous avons déjà vu ce qu’a pu faire un tel gouvernement aux Palestiniens et aux Israéliens : une autre guerre à Gaza, encore plus d’arrestations de masse en Cisjordanie, encore plus de lois anti-démocratiques, et de nouvelles provocations contre les Arabes et les minorités en Israël.

Le quatrième gouvernement Netanyahou sera plus confiant et moins restreint que les précédents. Ses membres ont compris ce qui fonctionne et attendront maintenant de meilleurs résultats en réutilisant les mêmes formules. Ils ont compris qu’ils peuvent se dispenser d’écouter et d’obéir au président des Etats-Unis Barack Obama, qu’ils peuvent sans honte dédaigner ses positions et subvertir ses politiques, lui jouer de mauvais tours, se confronter à lui comme jamais par le passé, l’humilier et l’insulter – et se maintenir à flot. Se maintenir à flot ? Pas vraiment ; plutôt, être réélus avec les honneurs.

Ils ont aussi compris qu’ils pouvaient légiférer pour affaiblir, et même détruire, les agents de la démocratie, de la Cour Suprême aux associations à but non-lucratif de la société civile en passant par les médias – tout en profitant d’une popularité grandissante sur le plan national. Ils ont compris que la droite peut faire pratiquement ce qui lui plait et voir sa popularité ne faire qu’augmenter.

Le gouvernement sortant poussera le nouveau gouvernement vers l’avant, avec moins de restrictions et de limites que ceux qui l’ont précédé. De ce point de vue, Palestiniens, pacifistes, défenseurs des droits civils du monde entier et Israéliens soucieux de l’image de leur pays peuvent s’attendre à un avenir encore plus sombre. Il n’y a pas de lumière au fond du tunnel – quelle lumière pourrait percer à travers les ténèbres choisies par les Israéliens, qui ont réélu une administration Netanyahou ?

Gaza peut s’attendre à un nouvel assaut cruel de la part d’Israël. Les recettes fiscales de l’Autorité palestinienne ne lui seront certainement pas transférées de si tôt, et il est probable que les Palestiniens soient poussés encore une fois vers la rébellion, aussi douteux que ce choix paraisse compte tenu de leurs divisions internes et des blessures non cicatrisées et encore saignantes de la deuxième Intifada.

Les mauvaises nouvelles, bien sûr, ont aussi un bon côté. Nul besoin d’être marxiste pour comprendre que lorsque les apparences sont mises à nues, elles le sont des deux côtés : c’est peut-être un bon présage. En annonçant à la veille des élections qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a rendu service aux Palestiniens, aux Israéliens et à ceux qui à l’étranger luttent pour la justice dans cette partie du monde. Le masque est tombé et, débarrassés de ce tableau artificiel, nous pouvons maintenant aborder la situation à travers le prisme d’une réalité qui a en fait toujours existé : Israël n’a aucune intention d’autoriser la mise en place d’un Etat palestinien. Israël n’a aucune intention de mettre fin à l’occupation. Israël n’a aucune intention de tenir compte des Etats-Unis, du droit international ou de l’opinion publique mondiale. La conclusion pertinente qui peut, et doit, être tirée est la suivante : finissons-en avec cette mascarade, ce « processus de paix » inutile et dépourvu de sens, et recommençons sur de nouvelles bases.

Si l’Etat palestinien est mort, comme les résultats de cette élection le montrent clairement, le discours général est prêt à être revisité. Désormais, nous devons parler uniquement des droits civils des Palestiniens. Les colonies resteront – le résultat de cette bataille a déjà été décidé – mais au XXIe  siècle, le monde ne peut soutenir et voir s’instaurer, dans aucun pays, un régime d’apartheid comme celui qui se révèle aujourd’hui en Cisjordanie et à Gaza. Maintenant, il faut intervenir de manière décisive, et sans compromis. Il ne saurait y avoir de discussions ou compromis concernant les droits civils essentiels. Il y aura une démocratie égalitaire pour tous ceux qui vivent sous la loi israélienne. Sinon, nous aurons affaire à un Etat d’apartheid, qui devra s’attendre à être traité comme tel, comme l’histoire a traité ce genre de régimes, à l’instar de l’Afrique du Sud dans le passé. Si c’est l’apartheid qui nous attend sur le ring, il faudra dévêtir les gants rembourrés et les laisser de côté.

Il semblerait alors approprié, dans ce cas, d’être reconnaissants pour les résultats de l’élection israélienne : ils ne laissent plus aucune place pour l’espoir quant à la validité du chemin parcouru pendant ce dernier quart de siècle, lorsque la solution à deux Etats, objectif accepté par les parties, a été sabotée par Israël sans possibilité de réparation, et que le monde entier, dont les Etats-Unis et l’Union européenne, sont restés dans leur coin sans lever le petit doigt, se contentant de supporter de loin et sans intérêt sincère cet objectif ostensible qui reculait sans cesse.

Alors ça y est. Plus de séances photos pour Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou. Plus de plans de paix pitoyables et vieux jeu dont Israël n’a de toute façon jamais vraiment voulu. Le gouvernement israélien a détruit leurs dernières perspectives de mises en œuvre. A présent, un nouveau discours va émerger, une nouvelle attitude, une nouvelle façon de relater les faits. L’occupation vieille de cinquante ans, à laquelle ses architectes n’ont jamais eu l’intention de mettre fin, n’a pas été affectée par les faibles tentatives du monde de la supprimer. Maintenant, le monde doit diriger ses préoccupations vers les droits et les libertés des personnes qui vivent sous cette occupation. Les Palestiniens ne peuvent pas attendre cinquante années supplémentaires. Des générations de jeunes sans perspective d’un avenir acceptable doivent voir leurs espoirs restaurés et enfin s’ouvrir la porte d’un futur décent. Ils le méritent autant que leurs voisins, les jeunes Israéliens qui vivent, en comparaison, des vies prospères. Les jeunes Palestiniens méritent, comme tous les autres, le respect de leurs droits civils et la liberté.

Certes, la route est longue et parsemée d’embûches. Mais ce nouveau gouvernement, dont les dirigeants viennent d’être élus, a au moins apporté une lumière franche, quoi que douloureuse, sur la réalité de la situation : la solution à deux Etats est en état de mort clinique. Il est temps de penser à l’alternative.  Existe-t-il une alternative à l’idée de deux Etats, hormis celle de l’Etat unique ? Peut-on réellement croire qu’Israël sera capable de s’en tirer avec le statu quo, qui n’en a jamais été un, pendant encore cinquante ans ? Cinquante ans supplémentaires d’occupation cruelle, brutale, illégale sans équivalent de par le monde, même en Micronésie, qui reconnaît sa légitimité ? Cinquante ans supplémentaires de colonies juives et de dépossession des Palestiniens ? Est-il concevable que le monde entier – se ralliant autour du sujet qui unit la communauté internationale plus que tous les autres (il n’y a pas, en effet, de consensus aussi global que celui de l’opposition à la poursuite de l’occupation israélienne) – tombe à genoux  face à un si petit pays ? Les jours à venir nous éclaireront sur ce gouvernement qui entre en fonction en Israël, et nous découvrirons s’il sera un gouvernement de catastrophe ou si ce scrutin va fournir, même contre le gré des électeurs, l’opportunité d’un nouveau départ au Moyen-Orient.
 

- Gideon Levy est chroniqueur au quotidien israélien Haaretz et membre de son comité de rédaction. Levy a rejoint Haaretz en 1982 et a été rédacteur en chef adjoint pendant quatre ans. Il fut aussi le lauréat du prix du journalisme Euro-Med en 2008, du prix Liberté de Leipzig en 2001, du prix du syndicat des journalistes israéliens en 1997 et du prix de l’Association israélienne pour les droits de l’homme en 1996. Son nouveau livre, The Punishment of Gaza (La punition de Gaza), vient d’être publié chez Verso.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Légende photo : Benyamin Netanyahou après sa victoire (AFP).

Traduction de l'anglais (original).

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