Je suis maintenant un extrémiste. Vous aussi peut-être
Selon Safe Campus Communities, un site web créé par le Conseil pour le financement de l’enseignement supérieur en Angleterre (HEFCE), je pourrais être considéré comme un extrémiste.
Selon un site web créé par le Conseil pour le financement de l’enseignement supérieur en Angleterre (HEFCE), je pourrais être considéré comme un extrémiste
J’ai exprimé « un soutien explicite en faveur de la Palestine ». Je m’oppose non seulement aux « colonies israéliennes à Gaza », mais aussi à toutes les constructions au-delà de la ligne verte du 4 juin 1967. J’ai aussi fréquemment « critiqué [les guerres occidentales] » au Moyen-Orient et je suis « opposé [au programme] Prevent » au motif qu’il n’empêche pas la création de djihadistes nationaux.
Je pense qu’Israël dirige une forme d’apartheid et pas seulement en Cisjordanie occupée. L’État juif est clairement et visiblement une démocratie fonctionnelle uniquement pour ses citoyens juifs.
Ces opinions « peuvent être considérées » comme extrémistes, bien que Safe Campus Communities note gentiment que celles-ci ne sont pas illégales. Ils pourraient bien ajouter cette précision. Les tentatives du gouvernement britannique visant à concocter une définition juridiquement sûre de « l’extrémisme non violent » ont échoué.
Ce n’est pas comme s’ils n’avaient pas eu le temps d’y réfléchir.
Où est le projet de loi de lutte contre l’extrémisme ?
Cela fera bientôt deux ans que le gouvernement britannique aura annoncé pour la première fois un projet de loi de lutte contre l’extrémisme, en mai 2015. Six mois plus tard, il a publié une stratégie. Le projet de loi a figuré depuis lors dans deux discours de la reine et rien n’est encore sorti.
La députée Harriet Harman, présidente de la Commission mixte des droits de l’homme, a désormais écrit à la secrétaire d’État à l’Intérieur Amber Rudd pour lui demander ce qui se passait. Le gouvernement a de bonnes raisons de se montrer réticent à l’idée de légiférer sur une question qu’ils définissent comme essentielle.
La propre commission d’Harman a trouvé peu d’éléments de preuve pour appuyer l’hypothèse du gouvernement selon laquelle il existe un ascenseur entre le conservatisme religieux et le djihadisme violent. Si l’extrémisme nie « le respect mutuel et la tolérance vis-à-vis des différentes confessions et croyances », le rapport de la commission a demandé qui est extrémiste lorsqu’une confession comporte des éléments misogynes et homophobes.
Cette nouvelle législation devrait-elle s’appliquer uniquement aux musulmans, auquel cas elle serait discriminatoire et porterait atteinte à la liberté d’expression religieuse, ou devrait-elle s’appliquer à toutes les confessions, auquel cas la nouvelle législation serait appliquée de manière indiscriminée ? Les synagogues pourraient être autant en première ligne que les mosquées.
En l’absence de définition juridique et de clarté, « Prevent » fonctionne avec un arsenal vague
En l’absence de définition juridique et de clarté, « Prevent » – un devoir statutaire à remplir et une infraction criminelle présumée à ignorer – fonctionne avec un arsenal vague.
La présentation de Safe Campus Communities est remplie de conditionnel et de points d’interrogation. Le rembourrage intellectuel en coton de ce résumé est pourtant tout sauf doux.
Une liberté d’expression approuvée au préalable
Cette semaine, des campus universitaires du monde entier organisent des débats sur le thème de l’apartheid israélien. Au moins trois événements en Grande-Bretagne ont été annulés ou reportés. L’Université du Lancashire central (UCLan) a annulé un événement organisé par une Friends of Palestine Society en raison de préoccupations selon lesquelles celui-ci ne serait pas « objectif ».
Ailleurs, des rendez-vous réservés des mois à l’avance sont déprogrammés à la dernière minute, des mesures de sécurité supplémentaires sont exigées, des discours sont surveillés et, dans certains cas, doivent être approuvés au préalable.
Cette mesure d’« évaluation et [de] gestion des risques » s’applique-t-elle à tout débat universitaire ? Non, manifestement. Si Moazzam Begg, ancien détenu de Guantánamo et militant des droits de l’homme qui est désormais catégorisé comme un « orateur à haut risque », est invité sur un campus pour s’adresser à une assemblée d’Amnesty International, il n’y a pas de problème. Cependant, s’il est invité à donner essentiellement le même discours devant une assemblée islamique, c’est l’apocalypse.
Ici, il est clair et palpable qu’un objectif plus sombre est servi. Cela n’a rien à voir avec les valeurs britanniques, l’extrémisme djihadiste violent ou le groupe État islamique. Tout cela se rapporte à la clôture du débat sur Israël et la Palestine à un moment particulièrement délicat où même la rhétorique entourant l’existence d’un État palestinien est jetée par-dessus bord.
De toute évidence, si la solution à deux États est abandonnée, il n’en restera qu’un. Un État dans lequel les Palestiniens, qu’ils soient sous l’occupation, qu’ils aient un statut de résident de Jérusalem ou qu’ils soient citoyens d’Israël à part entière, subissent une discrimination devant la loi. Les tentatives israéliennes visant à légitimer cette réalité sont ce sur quoi porte la bataille qui se joue sur les campus.
Gerald Kaufman, qui nous a quittés récemment, a été une autre victime de cette campagne. Kaufman, un sioniste devenu un détracteur féroce d’Israël, a été calomnié pour un discours dans lequel il a comparé les agissements israéliens à Gaza lors de l’Opération Plomb durci à ceux des Nazis en Pologne. La grand-mère de Kaufman a été abattue dans son lit, dans sa ville natale de Staszów, par un soldat allemand.
Qui pour tenir tête aujourd’hui ?
L’apartheid israélien a été examiné pour la première fois de manière sérieuse dans un journal britannique par un journaliste primé et un ancien collègue, Chris McGreal, qui a été correspondant à Johannesburg pendant dix ans et à Jérusalem pendant quatre ans. Son analyse judiciaire, rédigée en 2006, vaut la peine d’être relue aujourd’hui.
Deux articles du Guardian ont produit une réaction immédiate. Le CAMERA (« Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America ») a renvoyé McGreal devant la Press Complaints Commission dans une plainte qui a compté au total 35 000 mots, soit le double de la longueur des articles originaux. Dans sa plainte, le CAMERA a essayé de nier l’indéniable – qu’il y avait une politique de maintien de l’équilibre démographique de Jérusalem. Cela constituait un déni de réalité éhonté.
J’ai demandé un jour à un ambassadeur israélien en service qui étaient selon lui les jumeaux ennemis d’Israël. « La BBC et le Guardian », a-t-il rétorqué sans une once d’ironie
La plainte du CAMERA n’a pu s’empêcher d’être révélatrice. Le véritable reproche adressé à cette analogie était que McGreal avait « nié les droits historiques du peuple juif » et fait preuve de « mépris pour le sionisme ». Heureusement – mais nous étions en 2006 –, la Press Complaints Commission a tenu tête à ce déluge et rejeté chacun des points de la plainte. Tout comme Alan Rusbridger, alors rédacteur en chef du Guardian.
Dans son bureau sont entrés Henry Grunwald, président du Conseil des représentants des juifs britanniques, et Gerald Ronson, président du Community Security Trust. Ronson n’a pas ôté son manteau. « J’ai toujours dit que les opinions sont comme des trous du cul, tout le monde en a un », aurait-il dit à Rusbridger d’après ses souvenirs. « Ensuite, il a effectivement affirmé : "Je suis en faveur de la liberté d’expression, mais il y a une ligne qui ne peut pas être franchie. Et en ce qui me concerne, vous l’avez franchie et vous devez arrêter cela." » Ronson a accusé le Guardian d’être responsable d’attaques antisémites, une allégation que Rusbridger a refusé d’accepter.
La Press Complaints Commission et le Guardian ont tous deux campé sur leurs positions. Dans l’esprit de McGreal, l’objet de cet exercice ne faisait aucun doute. Il n’était question en rien de corriger des informations inexactes, mais entièrement de brutaliser et d’intimider. C’était en 2006. Ces mêmes organisations camperaient-elles sur leurs positions aujourd’hui ? Curieusement, j’en doute. Regardez ce qui s’est passé avec la couverture du conflit par la BBC.
J’ai demandé un jour à un ambassadeur israélien en service qui étaient selon lui les jumeaux ennemis d’Israël. Je m’attendais à ce qu’il désigne le Hamas et le Hezbollah. « La BBC et le Guardian », a-t-il rétorqué sans une once d’ironie. L’ambassade d’Israël n’a fait que tenir parole depuis lors.
J’adorerais dire que ces tactiques ne fonctionneront pas. Malheureusement, le fait est qu’aujourd’hui, je n’en suis plus si sûr.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : manifestation organisée par la Palestine Solidarity Campaign à Londres, le 7 juin 2013 (PSC/Flickr).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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