La conférence palestinienne qui pourrait bien révolutionner le mouvement
Il y a quelques mois, un groupe de Palestiniens a eu l’idée de convoquer une conférence pour les Palestiniens de la diaspora. L’appel au rassemblement a rapidement reçu une large réponse.
Des Palestiniens vivant en Europe, en Amérique, en Amérique latine et dans le monde arabe, des Palestiniens de toutes origines et de tous intérêts ont vu dans cette idée une concrétisation de leur ambition de se réunir et de se rencontrer pour leur cause. C’était une occasion d’affirmer leurs liens avec leur patrie et le rôle qu’ils pouvaient jouer sur le chemin de la lutte nationale.
Au milieu d’une campagne de cynisme et d’accusations, la conférence s’est tenue les 25 et 26 février dans la ville d’Istanbul après qu’il s’est avéré qu’aucune capitale arabe n’était disposée à l’accueillir.
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La cause palestinienne ne traverse pas une très bonne période, pas plus qu’elle ne suscite un grand optimisme. Plusieurs États arabes et non arabes, en collaboration avec les anciennes classes dirigeantes et en accord avec des groupes dédiés à la violence et des camps sectaires, ont travaillé dur pour faire avorter la marche arabe vers le changement et la liberté. Ensemble, ils ont fait sombrer les Arabes dans un abîme de fragmentation et de guerres civiles.
Lorsque la mort, la destruction et la faim prévalent sur un peuple tout entier – et lorsque ces personnes se trouvent obligées de tenir tête à l’ennemi en embuscade juste à leur porte ou qui plane dans le ciel au-dessus de leurs villes –, ce peuple aura du mal à trouver le temps de penser à la Palestine ou de rassembler le pouvoir supplémentaire pour affronter un ennemi un peu plus lointain.
Une telle préoccupation éloignée du problème palestinien est peut-être ce que les classes dirigeantes arabes ont recherché – ou chaleureusement accueilli.
La majorité des États arabes, qui se sont donné comme priorité absolue de faire face aux vents du changement et de s’engager dans des conflits régionaux, n’ont pas hésité à garder le silence au sujet du parti pris croissant des puissances internationales contre les Palestiniens et leurs droits.
Plus l’équilibre des pouvoirs sur lequel repose le conflit sur la Palestine est imparfait, plus les dirigeants israéliens intensifient leurs efforts pour arracher les Palestiniens à leurs terres et les pousser vers le dernier mur.
Le pouvoir de la diaspora
Le projet sioniste a été conçu dès le premier jour pour poursuivre la politique de remplacement ; celle-ci a nécessité l’expulsion du plus grand nombre de Palestiniens de leur patrie.
La majorité de ces Palestiniens vivent dans les pays arabes voisins de la Palestine, comme la Jordanie, le Liban et la Syrie. Des millions d’autres ont fini par vivre dans d’autres pays arabes ou en Europe et aux États-Unis.
Parmi les Palestiniens de la diaspora, comme on les appelle maintenant, figurent des universitaires hors pair, des chefs d’entreprise influents, des étudiants et des professionnels de tous types. Nombre d’entre eux ont apporté une contribution importante à la croissance et au développement du pays qu’ils ont choisi comme refuge.
Pour des raisons qui dépassent la portée du présent article, une majorité écrasante des Palestiniens de la diaspora continuent de se voir conne étant étroitement liés à la question palestinienne. En 1948, la Nakba a dévasté la communauté nationale palestinienne et arraché la plupart de ses membres de leurs villages et de leurs villes. Des familles ont été séparées et se sont retrouvées dans différents camps de réfugiés, tandis que leurs moyens de gagner une vie décente ont été complètement perdus.
Tout au long des années 1950 et 1960, les Palestiniens, en commençant par les Palestiniens de la diaspora, ont fondamentalement reconstruit leur mouvement national.
La diaspora palestinienne a été le moteur de la fondation du mouvement du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ce sont les Palestiniens de la diaspora qui ont lancé la lutte armée ; ils se sont organisés dans des associations étudiantes, des syndicats et des centres de recherche et d’études.
Ce sont eux qui ont brandi la bannière portant le nom de leur peuple et de leur patrie dans les universités, au sein des communautés et dans les milieux politiques occidentaux, en particulier en Europe occidentale et aux États-Unis.
Mais avec la signature des accords d’Oslo en 1993 et la création ultérieure de l’Autorité palestinienne dans certaines parties de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, cette renaissance palestinienne a commencé à fléchir.
L’accomplissement suprême d’Oslo
Les accords d’Oslo sont nés de négociations à volets multiples organisées à Washington, à Londres, à Bruxelles, à Rome et, bien sûr, en Norvège, dont certaines ont été menées en secret. Les critiques à l’égard des accords ont afflué, que ce soit du point de vue palestinien ou du point de vue de ceux qui désirent voir le processus de paix progresser.
Pourtant, deux questions qui méritent une certaine attention n’ont pas vraiment réussi à faire surface au milieu de ces critiques. Ces deux questions sont le sort des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes et les droits des Palestiniens de la diaspora.
Les négociateurs palestiniens ont ignoré ou complètement négligé la question des prisonniers et des réfugiés et ont finalement signé un accord de paix qui ne comportait pas de détails précis sur ces préoccupations.
La question des prisonniers continue de peser sur la conscience de tous les Palestiniens. Cela est particulièrement vrai dans le cas des dizaines de milliers de familles dont les fils et les filles ont été envoyés dans les prisons d’Israël – le même État d’Israël, bien entendu, avec lequel les dirigeants de l’OLP ont signé les accords d’Oslo.
Du mouvement de libération à la bureaucratie
En ce qui concerne la question des réfugiés, d’autres questions sont suspendues à son sort.
L’OLP a considéré que la création de l’Autorité palestinienne (plutôt que la libération des terres palestiniennes occupées en 1967) constituait l’accomplissement le plus important des négociations. Progressivement, le leadership de l’OLP s’est comporté comme si l’AP – plutôt que l’OLP – était l’entité qui représentait les Palestiniens, en parlant et en négociant en son nom.
D’une manière préméditée et préconçue, l’OLP a été totalement ignorée sauf, bien sûr, lorsque le président de l’AP en avait besoin pour consolider sa légitimité ou imposer ses choix. Avec le temps, l’OLP n’est devenue rien de plus qu’une bureaucratie vieillissante et érodée.
Simplement, personne ne voulait s’en souvenir. Aucune des discussions et aucun des accords entre les factions palestiniennes qui ont cherché à raviver l’OLP et à la reconstruire n’a jamais produit de résultats significatifs, non pas parce que ces accords n’étaient pas réalistes, mais parce que le leadership de l’OLP, qui est lui-même le leadership de l’AP, n’a – jamais – souhaité raviver l’OLP ou la reconstruire.
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Comme le leadership de l’AP l’a bien compris, les rênes de l’autorité lui ont été confiées non pas pour représenter tous les Palestiniens ou la communauté nationale palestinienne, mais pour représenter uniquement les habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza et, bien sûr, pour prendre en charge la gestion des affaires municipales et de sécurité en lieu et place de l’autorité d’occupation.
Restaurer l’équilibre
Ce qui est certain, c’est que l’AP a toujours connu les conditions rattachées à la concession qu’elle a reçue et s’est efforcée avec sincérité et diligence de respecter ces termes et de ne jamais les dépasser.
Même au sein du Fatah, qui forme l’épine dorsale de l’AP, le rôle et le poids des Palestiniens de la diaspora ont reculé avec insistance, à tel point qu’ils ont été presque totalement absents de la récente conférence du mouvement.
Le problème ne réside pas seulement dans l’incapacité de l’AP à libérer les zones occupées pendant la guerre de 1967 et à en faire une entité souveraine libre qui représente les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. L’Autorité s’est rapidement divisée en deux entités antagonistes : la première à Gaza et la seconde à Ramallah.
Ainsi, l’appel à l’établissement d’un nouveau cadre qui rassemble les Palestiniens de la diaspora revêt une importance extrême – et, par conséquent, les protestations émises par la bureaucratie de l’OLP sont dénuées de sens.
Si la bureaucratie de l’OLP souhaite contester quelque chose, elle devrait protester contre le coup d’État perpétré par l’AP et les gardes d’Oslo contre la longue lutte du mouvement national palestinien en faveur de la restauration de la communauté nationale palestinienne.
Les Palestiniens de la diaspora ont constitué le premier incubateur du mouvement national. Le rassemblement récent des Palestiniens de la diaspora pourrait effectivement s’avérer être l’élan nécessaire pour rétablir l’équilibre de la formule du pouvoir qui régit le conflit sur la Palestine et qui décide du destin de son peuple.
- Basheer Nafi est directeur de recherche au Centre d’études d’Al-Jazeera.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : plusieurs dizaines de milliers de manifestants défilent dans les rues de Washington, D.C., en avril 2002, pour défendre les droits des Palestiniens (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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