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La guerre régionale n’est pas imminente, elle a déjà commencé

Un état de guerre général existe déjà entre les États antagonistes qui interviennent en Syrie, même si cela n’est ni déclaré, ni reconnu

En l’espace de trois jours, quatre pays intervenant en Syrie ont perdu des avions au cours de missions opérationnelles. La Russie, l’Iran, la Turquie et désormais Israël – pour la première fois – ont perdu des avions à différents moments dans les nombreuses batailles qui se chevauchent en Syrie.

Les implications vertigineuses de ces batailles qui s’entrecoupent – l’invasion d’Afrin par la Turquie, les zones de désescalade imposées par la Russie, l’envoi par l’Iran de drones en Israël et les attaques israéliennes contre des installations militaires syriennes – laissent entendre que la possibilité d’une escalade et d’un conflit régional à plus large échelle est toujours imminente.

Néanmoins, s’il est vrai que, comme on l’a rapporté, l’implication d’Israël en Syrie a été beaucoup plus sérieuse et généralisée qu’on ne le pensait à l’origine et que l’Iran a acquis des informations sur des sites en Israël, alors la guerre n’est pas imminente : elle a plutôt déjà commencé.

Des conflits qui s’entrecoupent

Il ne s’agit pas d’en faire des tonnes, mais de rapporter une évidence : les conflits qui s’entrecoupent en Syrie ne sont pas isolés les uns des autres et un état de guerre général existe entre des États intervenants antagonistes, même si cela n’est ni déclaré, ni reconnu.

Pratiquement chaque État intervenant poursuit ses objectifs malgré la présence – ou la menace – des autres États intervenants. Les lignes rouges établies déterminent ce que les États intervenants peuvent et ne peuvent pas faire en Syrie.

La Russie a clairement toléré l’anéantissement des défenses aériennes syriennes par l’armée de l’air israélienne, alors même qu’elle consolide l’emprise territoriale du gouvernement syrien. De même, la Turquie a envahi Afrin au mépris des objections des États-Unis et d’autres pays et, pour cela, a reçu dans l’absolu le feu vert du gouvernement syrien et de ses alliés régionaux.

Pratiquement chaque État intervenant poursuit ses objectifs malgré la présence – ou la menace – des autres États intervenants. Ces lignes rouges établies ont déterminé ce que les États intervenants peuvent et ne peuvent pas faire en Syrie

Alors que le conflit s’est régionalisé et que les États voisins interviennent directement plutôt que par le biais d’intermédiaires, les enchevêtrements du conflit ne cessent de s’approfondir.

Ce nouvel ordre n’a pas été bouleversé – ni même menacé – par l’épisode du F16 israélien abattu. Dans le même temps, cet événement ne devrait pas être considéré comme une victoire sérieuse pour le gouvernement syrien, l’Iran et le Hezbollah, compte tenu des provocations que constituent les raids israéliens quasiment quotidiens en territoire syrien.

Viser un avion avec succès n’influe pas de manière significative sur le champ de bataille.

Cela ne devrait pas non plus influer sur les calculs des nombreux acteurs intervenant en Syrie, y compris Israël. Nous ne devons pas oublier qu’Israël cible les installations militaires syriennes depuis le tout début du conflit, avec un succès indéniable.

Ni les menaces creuses de représailles proférées par le gouvernement syrien, ni la destruction d’un seul avion ne devraient modifier les calculs israéliens à cet égard. Cela semble être un prix peu élevé à payer étant donné l’efficacité militaire des attaques qui se poursuivent en Syrie.

Des lignes rouges définies

La question est alors de savoir ce que cela peut signifier pour les divers enchevêtrements du conflit et si ces derniers peuvent être démêlés ou sont appelés à dégénérer dans les mois à venir. À ce jour, les lignes rouges de chaque pays ont été plus ou moins clairement définies et appliquées de diverses manières. 

Certes, le champ de bataille a radicalement évolué et de nouveaux sous-conflits émergent – l’invasion d’Afrin par la Turquie, la campagne du gouvernement syrien à Idleb –, mais ils sont tous englobés et entretenus dans le bras de fer et les lignes rouges établis par les États de la région.

Débris du F16 israélien dans le nord du kibboutz israélien de Hardouf, samedi dernier (AFP)

C’est là que réside le dilemme auquel sont confrontés tous les États intervenants, un dilemme qui explique la nouvelle impasse militaire régionale en Syrie. Toute tentative de renégociation des lignes rouges serait certainement rejetée et contrée par l’emploi de la force, ce qui nécessiterait donc une sérieuse escalade. 

Malgré son arrogance et son insistance belligérante à l’idée de ne tolérer aucune présence iranienne en Syrie, Israël dispose de peu d’options militaires au-delà de ses stratégies existantes pour y parvenir.

Tant qu’un conflit interétatique n’aura pas éclaté en Syrie, on peut s’attendre à des cycles d’actualités vertigineux, semblables à celui qui a été observé la semaine dernière lorsque des avions de quatre pays intervenants ont été abattus – ce sera la norme et non l’exception

De même, tous les autres États qui interviennent en Syrie ne veilleront probablement pas à ce que le champ de bataille évolue de manière décisive en faveur d’Israël. L’impasse se poursuivra. Les États intervenants définiront et redéfiniront leurs objectifs stratégiques en conséquence sous la forme de processus politiques qui ne laisseront aucun espoir de créer des facteurs de consensus régional.

La Russie détient peut-être les clés de l’avenir politique de la Syrie, mais elle s’est avérée remarquablement encline à se contenter de laisser les autres pays, en particulier Israël et la Turquie, poursuivre librement et imprudemment leurs propres objectifs stratégiques. Cela n’annonce pas une désescalade, mais une poursuite de l’impasse.

Les scénarios d’intervention

La guerre régionale n’est donc pas imminente, elle est là. Elle n’est pas à l’horizon, mais juste sous nos yeux. Les formes prises par la guerre et les conditions de son escalade ou de sa désescalade devraient apporter des éléments de réponse aux questions que nous nous posons aujourd’hui sur le conflit.

À ce jour, les formes d’intervention des États de la région ont été acceptables pour tous les autres intervenants. L’intervention turque, les raids israéliens et les bombardements russes ont tous coexisté dans un écosystème de violence qui, d’une manière ou d’une autre, soutient ces enchevêtrements tout en les empêchant de dégénérer en un conflit interétatique direct.

À LIRE : La guerre en Syrie est loin d’être terminée

Pour les États, mobiliser des intermédiaires dans les guerres qu’ils livrent entre eux est une chose, mais la donne est tout à fait différente lorsqu’ils sont en conflit direct les uns contre les autres. Cela semble être la ligne rouge qu’aucun État n’est encore prêt à franchir.

Tant qu’un conflit interétatique n’aura pas éclaté en Syrie, on peut s’attendre à des cycles d’actualités vertigineux, semblables à celui qui a été observé la semaine dernière lorsque des avions de quatre pays intervenants ont été abattus – ce sera la norme et non l’exception.

- Samer Abboud est professeur associé d’études internationales à l’Université Arcadia, aux États-Unis, et l’auteur de Syria (Polity). Il est actuellement professeur invité au Centre d’études arabes et islamiques de l’Université Villanova, en Pennsylvanie.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : combattants de l’Armée syrienne libre soutenue par la Turquie dans la banlieue est d’al-Bab (Syrie), le 8 février 2018 (Reuters)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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