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La Syrie a besoin d’une véritable solution politique

La seule issue à la mort et à la dévastation sans fondement est un compromis politique entre les Russes, les Iraniens, les Turcs et le Golfe

La reconquête d’Alep est une victoire significative pour le régime syrien contre l’opposition armée, qui est désormais confinée à quelques poches dans l’est de la ville.

Mais cette victoire a un goût amer de défaite.

Une victoire impossible

Il est question ici d’une guerre civile où l’équilibre des pouvoirs évolue constamment, d’un conflit que personne ne peut régler de façon décisive ou irrévocable et d’une guerre par procuration entre de nombreuses puissances régionales et internationales.

Derrière chaque acteur interne se cache une puissance étrangère avec ses propres enjeux et calculs, des Russes et des Iraniens aux Américains, en passant par les pays du Golfe et les Turcs

En raison de la complexité du tissu social syrien, les conflits politiques ont pris un caractère sectaire et ethnique. Ce qui a commencé sous la forme d’un soulèvement populaire contre la dictature d’un régime à parti unique s’est transformé en un affrontement violent entre alaouites et sunnites, entre Arabes et Kurdes et entre chrétiens et musulmans, dans un spectacle hideux d’auto-immolation.

La position géographique sensible du Levant a transformé la Syrie en un champ de bataille où des acteurs internationaux et régionaux se disputent le contrôle et l’influence. Derrière chaque acteur interne se cache une puissance étrangère avec ses propres enjeux et calculs, des Russes et des Iraniens aux Américains, en passant par les pays du Golfe et les Turcs.

Le conflit en Syrie a commencé comme une révolution spontanée déclenchée par un sentiment d’injustice et d’oppression et inspirée par les explosions populaires antérieures en Tunisie puis en Égypte en 2011. Mais ce n’est pas ce que nous avons aujourd’hui.

À mesure que de nouveaux facteurs sont entrés dans l’équation, le soulèvement populaire a dévié de son chemin et s’est transformé en une guerre civile armée brutale. La lutte noble pour la liberté et les droits de l’homme s’est transformée en une affreuse ruée vers le pouvoir et la domination.

Les clivages ethniques et sectaires au sein de la société syrienne signifient que ni le régime, ni ses adversaires ne peuvent dicter l’issue du conflit qui se joue.

Alors que les alaouites, les chrétiens et les minorités religieuses se sont ralliés autour du régime d’Assad, la majorité sunnite en colère s’est largement rangée du côté de l’opposition. Les Kurdes disposent de leur propre programme, qui jouit d’un soutien international croissant.

L’incarnation la plus vive du terrible schisme qui a divisé la société syrienne a peut-être été les images surréalistes de l’est et de l’ouest d’Alep, entre des personnes endeuillées, recouvertes de poussière, exténuées et accablées par le chagrin, pleurant leurs proches massacrés, et des foules en liesse célébrant les forces responsables du massacre.

Les frontières géographiques qui se chevauchent et les conflits interconnectés, en particulier ceux qui sévissent entre la Syrie et l’Irak, qui reste en proie à une guerre civile sans fin, laissent entrevoir une crise illimitée.

L’équilibre des pouvoirs sur le terrain est instable : les mêmes forces du régime syrien qui célèbrent aujourd’hui la reconquête d’Alep ont dû se retirer il y a quelques jours de la ville antique de Palmyre après que l’État islamique est parvenu à la reprendre.

Avec des groupes terroristes comme al-Qaïda et l’État islamique qui profitent du chaos et du climat de schisme ethnique et sectaire qui règne pour pénétrer en profondeur dans le territoire syrien, il est devenu impossible de contrôler la situation sans résolution politique viable qui élimine les causes profondes des tensions qui existent.

La leçon la plus importante à tirer de l’Irak, qui est encore aux prises avec des conflits politiques fondés sur des clivages sectaires et ethniques et alimentés par les interventions étrangères effectuées depuis 2003, est qu’aucun conflit ne peut être réglé sous la menace d’armes. Chaque bataille en engendre une autre dans une chaîne explosive de destruction qui ne connaît pas de fin.

Sortir de l’abîme

Cette guerre n’a pas de gagnants, ni de perdants. C’est un conflit incessant que personne ne peut régler définitivement en sa faveur. Cela réduit les options disponibles pour les Syriens au nombre de deux :

Rechercher une solution politique sérieuse peut sembler être l’option la plus ardue. Mais elle est également la moins coûteuse

Ils peuvent continuer de suivre la voie de la guerre civile si le régime se révèle incapable d’anéantir l’opposition armée, en dépit des victoires militaires partielles qu’il a remportées çà et là, tandis que l’opposition ne parvient pas à renverser et à remplacer Assad.

Les flammes continueraient de faire rage, d’autant plus que certaines puissances internationales, en premier lieu les Américains et les Israéliens, cherchent à prolonger le conflit indéfiniment et à transformer la crise en une guerre d’usure où les Arabes, les Iraniens, les Turcs, les Russes, le régime et l’opposition seraient tous perpétuellement pris au piège.

L’alternative est d’abandonner la logique destructrice nihiliste du vainqueur et du perdant et de rechercher plutôt un compromis politique. Il s’agit de rechercher des accords raisonnables pour répartir équitablement le pouvoir et engager un processus de réforme sérieux, sur la base de la sauvegarde de l’unité et de la souveraineté menacées du pays.

La vérité est qu’Assad ne peut plus gouverner le pays comme il l’avait fait avant la révolution, avec la main de fer du parti Baas, des services militaires et de renseignement. De vastes étendues de territoire ne sont pas sous son contrôle. Trois millions de Syriens sont devenus des réfugiés. Des millions d’autres ont été déplacés à l’intérieur du pays et l’ampleur de la colère et du rejet de son régime n’a fait qu’augmenter au sein de la majorité sunnite.

Rechercher une solution politique sérieuse peut sembler être l’option la plus ardue. Mais elle est également la moins coûteuse. Celle-ci exige beaucoup de patience, de sagesse et de courage de toutes parts.

Il n’y a pas d’héroïsme, ni d’honneur, ni même de victoire dans des guerres entre compatriotes. Assad ne peut pas exterminer l’opposition militaire, peu importe le nombre de batailles qu’il remportera, tandis que l’adversaire ne peut, de façon réaliste, espérer le renverser avec les alliances fortes qu’il a réussi à forger.

Le seul moyen de sortir du puits sans fond de mort et de dévastation est un compromis politique soutenu par les principales puissances impliquées, c’est-à-dire les Russes, les Iraniens, les Turcs et le Golfe. C’est seulement alors que nous pourrons espérer sauver ce qu’il reste de la Syrie.

- Soumaya Ghannouchi est une écrivaine britanno-tunisienne spécialisée dans la politique du Moyen-Orient. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @SMGhannoushi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la ville syrienne d’Alep en septembre 2016 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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