La vérité qui se cache derrière l'enfer d'Alep
C’est la saison des pleurs et des lamentations pour Alep, cette ville historique florissante aujourd'hui en ruines où se sont déroulées, à la vue du monde, des scènes d’une brutalité extrême d’hommes, de femmes et d’enfants pulvérisés dans leurs foyers.
Les consciences à travers le monde se sont réveillées devant les actes choquants et sauvages de la tragédie d'Alep. Or derrière ces événements qui se sont déroulés sous nos yeux se cachent des faits qui ne peuvent être effacés des esprits en Europe, principalement, et dans les démocraties occidentales en général.
La tragédie d'Alep ne se serait pas produite si l’équation internationale ne l’avait rendue possible
Le premier de ces faits est que cette saison de pleurs pour Alep n'a commencé que lorsque la situation a été décisivement conclue sur le terrain militaire – c'est-à-dire, une fois qu'il était trop tard.
En réalité, le plus que les puissances européennes, en particulier, et les puissances occidentales, en général, ont fait concernant la catastrophe à Alep a été de publier des déclarations vides exprimant leur inquiétude, tout en agissant comme si elles étaient complètement impuissantes.
La France, par exemple, a été l'un des pays européens les plus actifs. Cependant, comme d'habitude, elle s’est affairée à envoyer des invitations à des sommets visant à explorer la situation à Alep, sans résultats tangibles.
Finalement, elle a décidé d'éteindre les lumières de la tour Eiffel pour pleurer les victimes des bombes et du silence.
L’histoire se répète
Les États-Unis et l'Union européenne pourraient admettre qu'ils n’ont pas traité le peuple syrien de façon équitable et qu’ils ne sont pas venus au secours du peuple d'Alep, qui a été abandonné à cette alternative : la mort par bombardement ou l'expulsion.
C'est un fait historique indélébile. En effet, la tragédie d'Alep ne se serait pas produite si l’équation internationale ne l’avait rendue possible.
Oui, c'est la Russie qui a dirigé l'opération avec toute la férocité et la barbarie dont elle avait fait preuve à Grozny, mais cela n'exonère pas les membres de la communauté internationale, y compris les États-Unis et les puissances européennes en exercice, de responsabilité directe ou indirecte dans ce qu’il s’est passé.
Par ailleurs, les forces occidentales sont effectivement présentes dans la région, mais avec un mandat consistant à combattre l'État islamique (EI), pas à protéger le peuple syrien.
Au cours de ces années, les exigences des puissances occidentales ont été dirigées vers l'opposition et les factions syriennes armées. La crainte occidentale de tendances extrémistes parmi les factions syriennes a été clairement et publiquement énoncée.
En parallèle, un discours considérant Assad comme un partenaire crédible pour régler la situation syrienne à venir, ainsi que pour « la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme », a prévalu.
Il est tout à fait clair qu’en conséquence, le peuple syrien a été abandonné à son sort et exposé à un grave danger, y compris le massacre et le nettoyage ethnique.
Cette négligence vis-à-vis de la situation a également contribué à l'impunité des milices extrémistes venues en Syrie et à Alep pour combattre les Syriens dans leur patrie sous prétexte de soutenir le régime d'Assad, gonflées à bloc par une vile propagande sectaire.
Implication d'acteurs non syriens
Ce qui s'est récemment passé à Alep est limpide. Il est également tout à fait injuste de dire qu'il s'agit d'un conflit interne syrien.
Une évaluation imparfaite de la situation consiste à affirmer que des acteurs non syriens, originaires de nombreux pays, ont bombardé les Syriens, les laissant se faire écraser sous les décombres ou les obligeant à fuir.
Cela a eu lieu sous le commandement direct de la Russie et grâce à une forte implication iranienne. Dans la pratique, le régime syrien a simplement fourni la couverture appropriée.
Des témoignages émouvants ont été apportés par des membres de la milice libanaise qui soutient Assad. Ils y ont exprimé leur choc d'avoir découvert trop tard que l'ennemi qu'ils avaient été amenés à combattre en Syrie était tout simplement des Syriens dans leur propre pays – et non des mercenaires étrangers comme on le leur avait dit.
Les Syriens ont été verbalement encouragés à se révolter, mais dans la pratique, ils ont été abandonnés à leur sort et exposés à tous les dangers sur le terrain
Cependant, tout cela ne doit pas fausser notre vision de la réalité, qui est que la révolution du peuple syrien a commencé pacifiquement et a maintenu cette approche non violente avec fermeté pendant des mois et des mois sans aucune aide réelle du reste du monde, pas même des pays européens – ceux-là mêmes qui ont officiellement honoré le Printemps arabe.
Les Syriens ont été verbalement encouragés à se révolter, mais dans la pratique, ils ont été abandonnés à leur sort et exposés à tous les dangers sur le terrain. Aujourd'hui, personne ne se souvient peut-être que le mouvement populaire, quand il a commencé à Alep, a été lancé principalement depuis les environs de son université renommée, dont les étudiants ont soulevé les banderoles de la liberté et de la démocratie.
Tout au long de cette période, les dirigeants des démocraties occidentales n'ont accordé aux Syriens rien de plus que des déclarations de solidarité sans effet concret sur le terrain. Puis, contraints à se défendre par l'armée du régime, les Syriens, comme on pouvait s’y attendre, ont pris les armes – des armes légères – dans les zones rurales et ensuite dans les villes.
Préoccupation pour la vie humaine
La Syrie semble aujourd'hui être une jungle d'armes et d’artillerie lourde, mais la réalité est que de grandes différences existent dans les capacités des parties belligérantes, que ce soit sur le terrain ou dans les airs.
Ceux qui, depuis longtemps, se disaient « amis du peuple syrien » ne lui ont pas donné les moyens de se défendre.
Était-il vraiment logique d'ignorer la tragédie qui allait en s'aggravant, de ne pas profiter des options disponibles pour y remédier, et de se plaindre ensuite des vagues de réfugiés qui en ont résulté ?
Tout le monde a parlé des restrictions américaines maintenues tout au long de ces années, empêchant l'approvisionnement des factions syriennes en armes capables de changer l'équilibre des forces ou même en armes de défense antiaérienne.
Le résultat a été un bombardement aérien meurtrier et vicieux qui s’est poursuivi sans entrave.
Une fois de plus, nous avons découvert que la préoccupation de la communauté internationale pour la vie humaine est liée à la nationalité et à l'origine géographique, et que le retour de scènes rappelant la Seconde Guerre mondiale est autorisé par la communauté internationale dans certaines parties du monde, dont Alep.
Dans de nombreux pays, la catastrophe d'Alep a fait remonter à la surface les souvenirs des tragédies que leurs peuples avaient vécues il y a seulement quelques décennies, et dont ils pensaient que le monde ne permettrait jamais la répétition.
Il est assez paradoxal que l'Europe politique continue d'adopter la posture d'un spectateur impuissant face à la tragédie du peuple syrien. D’autant plus que dans le même temps, elle s’est montrée particulièrement préoccupée par le flux de réfugiés atteignant ses rives.
Était-il vraiment logique d'ignorer la tragédie qui allait en s'aggravant, de ne pas profiter des options disponibles pour y remédier, et de se plaindre ensuite des vagues de réfugiés qui en ont résulté ?
La conflagration qui ne cesse de s’amplifier en Méditerranée orientale en détruisant tout sur son passage a de nombreuses conséquences. La moindre d’entre elles est que les nuages de fumée lourde pourraient dériver vers les rives nord et atteindre le cœur même de l'Europe. Les destinées de nos nations, plus qu'à tout autre époque, sont si étroitement liées.
- Hossam Shaker est chercheur, auteur et consultant en médias, relations publiques et communication de masse pour de nombreuses organisations en Europe. Basé à Vienne, il s’intéresse à l’analyse des questions européennes et internationales, ainsi qu’aux questions sociales et médiatiques.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une fillette syrienne évacuée d'Alep mange à son arrivée dans la région de Khan al-Assal, le 20 décembre 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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