La violence des colons et leur plan pour faire exploser le Moyen-Orient
Le 11 mars 2011, des agresseurs inconnus ont pénétré dans la maison de la famille Fogel, dans la colonie d’Itamar en Cisjordanie, et poignardé à mort cinq membres de la famille, dont un bébé de cinq mois.
Les soupçons se sont portés sur Awarta, un village palestinien voisin. L’armée israélienne imposa un couvre-feu aux 6 000 résidents pendant près d’un mois, préleva les échantillons d’ADN de la plupart des hommes et entreprit de violentes perquisitions, s’attirant les critiques des organisations de défense des droits de l’homme. Ces méthodes agressives portèrent leurs fruits : deux jeunes hommes du village furent arrêtés et avouèrent avoir commis les meurtres.
Plus récemment, il y a maintenant trois semaines, des hommes masqués ont mis le feu à la maison de la famille Dawabsha dans le village de Douma, en Cisjordanie, 15 km au sud d’Awarta, brûlant vifs un bébé de 18 mois, Ali Saad Dawabsha, et son père Saad Dawabsha.
On soupçonna les colons d’une vingtaine d’« avant-postes » israéliens non-autorisés, d’où partaient des attaques fréquentes contre les villageois palestiniens et leurs possessions.
Aucun couvre-feu ne fut imposé à ces avant-postes et leurs quelques centaines d’habitants, aucun échantillon d’ADN ne fut prélevé sur les hommes, pourtant connus pour leur extrémisme et leur idéologie raciste anti-palestinienne. On n’entreprit aucune perquisition agressive, ni même courtoise.
Cela va sans dire, aucun suspect n’a été mis en garde à vue ou arrêté en relation avec cet incendie criminel, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahou lui-même avait promis de « capturer les coupables et les traduire en justice ».
Cela ne devrait pas surprendre ceux qui s’occupent de faire respecter la loi contre les colons israéliens soupçonnés de délits à l’encontre de Palestiniens en Cisjordanie. D’après un récent rapport de Yesh Din, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme qui fournit une aide légale aux Palestiniens victimes de la violence des colons, sur plus de 1 000 plaintes traitées depuis une dizaine d’années, 7,4 % à peine ont abouti à une mise en examen, et seulement 1,9 % se sont soldées par une condamnation.
« Nous rencontrons cette attitude tous les jours », a indiqué Gilad Grossman, porte-parole de Yesh Din.
« Cela va de la plainte la plus anodine relative à des dommages matériels causés à des propriétés de Palestiniens, à des plaintes concernant des agressions physiques. Les policiers arrivent en retard – quand ils arrivent – et la plupart ne parlent pas arabe. Ils ne recueillent aucun élément de preuve sur place. Il y a une attitude d’indifférence générale. »
Le service de sécurité intérieure israélien (en hébreu, Shabak) est censé mener ce type d’enquêtes. Il a un département spécial, officiellement dénommé le Département pour la défense de la démocratie, mais largement connu sous le nom de Département juif. À l’inverse des départements ayant affaire aux Palestiniens, le Département juif ne contribue guère à résoudre les crimes haineux envers les Palestiniens.
Depuis 2008, quand les colons de Cisjordanie ont commencé à transformer les agressions contre des civils palestiniens en une stratégie bien établie connue sous le nom de Tag Mehir (« Prix à payer »), très peu d’entre eux ont été arrêtés ou traduits en justice.
Avant l’incendie criminel de Douma, 15 autres foyers palestiniens avaient été incendiés. Personne ne fut arrêté.
Un politicien israélien bien renseigné sur les activités du Shabak a expliqué que le Département juif n’avait aucune motivation pour s’attaquer à ces crimes. Il y a une certaine gloire à gagner quand on élucide des attentats terroristes contre des Israéliens, a-t-il dit, mais aucune gloire à élucider des crimes haineux contre des Palestiniens.
Personne ne reçoit de promotion pour avoir résolu ce genre de crime. Au contraire, les enquêteurs du Département juif sont souvent la cible de militants d’extrême-droite qui affirment que les attentats du « Prix à payer » sont montés de toutes pièces par les victimes palestiniennes, voire par le Département juif.
Il y a un autre problème. Quand il agit contre des suspects palestiniens soumis au régime militaire, le Shabak dispose d’un pouvoir presque illimité en ce qui concerne les couvre-feux, les perquisitions, l’établissement de check-points, l’interception de communications en tous genres, ou le recrutement de collaborateurs en échange de l’autorisation de recevoir des soins médicaux en Israël. Cependant, quand il a affaire à des suspects juifs israéliens, le prestigieux Shabak ne dispose pratiquement jamais de ces moyens.
L’incendie criminel de Douma, de même que les autres attentats commis par les militants du « Prix à payer », a été condamné par les dirigeants du courant majoritaire des colons, qui affirment qu’il s’agit d’actes criminels isolés, sans le soutien d’un véritable réseau. Ce genre de commentaire rend Eliaz Cohen furieux. Lui-même un colon de Kfar Etzion, il mène depuis plus de dix ans une campagne contre ces violents extrémistes.
« Nous parlons ici d’une secte fermée qui comprend au moins 1 500 personnes, en comptant ceux qui sont impliqués dans les attentats eux-mêmes, et le cercle de leurs sympathisants », explique Cohen, qui affirme avoir eu connaissance de rapports internes du Département juif.
« Ils ont un rabbin, Yitzchak Ginzburg, et une idéologie clairement raciste. Dans leurs textes, notamment Torat Ha-Melech (« l’enseignement du roi »), ils justifient explicitement le fait de brûler vifs des bébés palestiniens, et ils expliquent comment procéder. »
D’après Cohen, ces militants du « Prix à payer » ont une stratégie : enflammer les territoires palestiniens pour déclencher une guerre totale non seulement en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi dans le monde arabe et musulman. Une telle guerre mènerait éventuellement à la « recréation » d’Israël en tant qu’État gouverné par les lois religieuses juives et dirigé par le Messie Roi, en la personne du rabbin Ginzburg lui-même. Cela explique pourquoi ils s’en prennent aux mosquées et aux églises. Et pourquoi ils ont choisi d’incendier la maison des Dawabsha.
Cohen est frustré par l’impuissance du Département juif et des autres services de police face à ces extrémistes racistes qui, selon lui, sont connus de tous. Il affirme que ces militants juifs présentent un danger mortel pour l’existence même de l’État d’Israël, et qu’ils devraient en conséquence être traités comme des « bombes à retardement », de la même façon que les suspects palestiniens.
Tout en exposant les dangers de ces sectes violentes, Cohen affirme que le courant majoritaire des colons ne soutient pas ces attentats, pour des raisons pratiques autant que morales. L’un des objectifs des colons est de démontrer qu’il est possible et viable de s’établir parmi les Palestiniens. Les attentats du « Prix à payer » réduisent à néant ces ambitions.
Cependant, il est difficile de nier que le soutien pour ces militants du « Prix à payer » provient du cœur même de la communauté des colons, ou des politiciens d’extrême-droite. Un rapport de Molad, une organisation israélienne de gauche, montre que le financement des activités du « Prix à payer » provient de municipalités de colons qui sont à leur tour financées par le gouvernement.
Quand le procureur général d’Israël envisagea d’inculper les auteurs du Torat Ha-Melech pour incitation au racisme, 200 rabbins se rassemblèrent pour les soutenir. La décision d’inculper les auteurs fut annulée.
Un commentateur d’Haaretz, Sefi Rachlevsky, nous a rappelé que Netanyahou en personne avait décrit l’un de ces rabbins comme un « commando dirigeant le peuple d’Israël ».
Que les colons exploitent ces attentats du « Prix à payer » à leurs propres fins, ou qu’ils s’y opposent sincèrement comme l’affirme Cohen, il est clair dans tous les cas qu’Israël, et peut-être les colons eux-mêmes, sont pris au piège. Après avoir ignoré, voire cautionné, la violence à l’encontre des Palestiniens pendant de si nombreuses années, Israël a beaucoup de mal à s’opposer aux communautés fermées d’où proviennent ces agresseurs.
Le fait que ces communautés fermées opèrent dans le no-man’s land des « avant-postes illégaux » essentiellement établis sur des terres palestiniennes privées – et en réalité soutenus et financés par des organisations gouvernementales – rend la chose encore plus difficile.
Quand l’illégalité est si profondément enracinée, il est presque impossible à la légalité de s’implanter.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : femmes palestiniennes contemplant les dégâts au domicile de la famille Dawabsha le 4 août (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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