La vision d’Abbas pour la paix a été tuée dans l’œuf
Lors d’une récente réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, le président palestinien Mahmoud Abbas devait prononcer ce qui a été annoncé par ses conseillers comme un discours important décrivant son plan de paix après la fin tumultueuse de l’année 2017, lors de laquelle le président américain Donald Trump a promis de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’ambassade des États-Unis.
Avant son discours, Abbas a sondé un certain nombre de parties prenantes au processus de paix afin de voir si ces dernières étaient disposées à jouer un rôle plus important. Il a notamment rencontré la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini et le président russe Vladimir Poutine afin de demander à un groupe plus large de superviser les négociations internationales et d’assurer la reconnaissance d’un État palestinien.
Si Mogherini et Poutine ont tous deux rejeté la décision de Trump au sujet de Jérusalem, aucun des deux responsables n’a manifesté sa volonté de voir les États-Unis être mis de côté dans toute initiative de paix future.
Fustigé par les ambassadeurs
Dans son discours, Abbas a relayé sa vision de l’avenir et a demandé vers qui les Palestiniens pouvaient se tourner pour concrétiser leurs droits si le Conseil de sécurité de l’ONU les décevait. « Ce Conseil de sécurité est la plus haute entité auprès de laquelle les peuples du monde entier cherchent refuge et demandent une protection ; après ce conseil, nous remettrons notre problème entre les mains du Tout-Puissant. En effet, si notre peuple ne peut obtenir justice ici, à qui devrions-nous donc nous adresser ? », a-t-il demandé.
Abbas a demandé plusieurs choses, notamment la tenue d’une conférence de paix internationale d’ici la mi-2018 qui reconnaîtrait la Palestine en tant qu’État, la mise en œuvre de l’Initiative de paix arabe et l’abstention de toutes les parties quant à la prise de mesures unilatérales pendant le processus de négociation.
L’ensemble de mesures convenu devrait être approuvé par le Conseil de sécurité.
L’espoir en Terre sainte s’est fait rare au cours des dernières décennies et Trump a complètement coupé les vannes
Les ambassadeurs d’Israël et des États-Unis ont par la suite ridiculisé Abbas, qui a quitté la scène immédiatement après son discours et qu’ils ont accusé d’avoir fui des « vérités » difficiles à entendre. « Je m’attendais à ce que M. Abbas reste pour entamer un dialogue, mais encore une fois, il s’est enfui au lieu d’écouter ce que nous avions à dire » a déclaré l’ambassadeur israélien Danny Danon, qui l’a accusé de ne plus faire « partie de la solution ». « Vous êtes le problème », a-t-il ajouté.
L’ambassadrice américaine Nikki Haley s’est également montrée très critique : « Il y a la voie des exigences absolutistes, de la rhétorique haineuse et de l’incitation à la violence, a-t-elle constaté. Cette voie n’a mené à rien et continuera de ne mener à rien d’autre que des difficultés pour le peuple palestinien. Autrement, il y a la voie de la négociation et du compromis. »
« L’accord du siècle »
Si le président palestinien s’attendait à quitter la scène sous les applaudissements enthousiastes du Conseil de sécurité, il a dû être très déçu. Si c’est de cet organe qu’il attend l’approbation de son plan, la convocation d’une conférence internationale pour cet été et la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État, alors il aurait tout aussi bien pu s’épargner le déplacement.
L’appel d’Abbas en faveur d’une conférence internationale semble avoir été tué dans l’œuf lorsque l’on songe à la dernière tentative effectuée par la France, membre permanent du Conseil de sécurité, pour en organiser une dans des conditions politiques bien plus favorables, à savoir pendant les derniers jours de l’administration Obama.
La conférence a rassemblé environ 70 pays, dont ne faisaient pas partie Israël et les Palestiniens, tandis que la Grande-Bretagne a envoyé un responsable de second rang au lieu de son secrétaire aux affaires étrangères. Même les observateurs bien informés du conflit auraient du mal à se rappeler ce à quoi la conférence de Paris a abouti, alors que l’appel lancé à l’issue de celle-ci pour que le statut de Jérusalem ne soit pas modifié de manière unilatérale a été ignoré par Trump presque un an plus tard, jour pour jour.
L’administration américaine continue de développer son « accord du siècle », alors que Haley a récemment averti que ni Israël, ni les Palestiniens n’allaient « l’apprécier ». Les Palestiniens devront rejeter l’accord si, comme des fuites l’ont laissé entendre, les questions centrales concernant Jérusalem et le statut des réfugiés palestiniens sont retirées de la table.
Israël aura pour sa part une grande influence sur l’accord, mais continuera d’affirmer que celui-ci ne répond pas à ses besoins en matière de sécurité – même s’il peut coopérer avec l’administration de Trump afin de l’améliorer. Plus ils l’« amélioreront », moins il sera favorable aux Palestiniens, qui seront fustigés pour leur « manque de respect » vis-à-vis de l’administration américaine.
Les jeux sont faits d’avance contre les Palestiniens
Comment une conférence internationale pourrait-elle être organiser avec ce genre de résultat quasi-certain et pourquoi Abbas a-t-il, de façon peu judicieuse, spécifié une date quasiment impossible à tenir pour ce processus, sachant que les jeux sont faits d’avance en sa défaveur ?
Le seul facteur qui pourrait rebattre les cartes serait un changement au poste de Premier ministre israélien. Alors que les chances de voir Benyamin Netanyahou rester au pouvoir évoluent de jour en jour, son absence pourrait changer la donne – mais avec une gauche faible et une droite israélienne enhardie, il est peu probable qu’une coalition de gauche ou un dirigeant de droite pragmatique en ressorte.
Il suffit d’énumérer les noms des Premiers ministres potentiels pour conclure qu’un changement de dirigeant ne ferait qu’affaiblir davantage les perspectives de paix : Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, Moshe Kahlon, Yair Lapid, Avi Gabbay. Aucun ne désire la fin de l’entreprise de colonisation ou de l’occupation illégale de Jérusalem, ni l’émergence d’un État palestinien indépendant.
Gabbay, qui dirige le parti travailliste, s’oppose à la suppression des avant-postes, même les plus isolés, et a déclaré lors d’un meeting devant des activistes du parti : « Les Arabes doivent avoir peur de nous. Ils tirent un missile, on en tire vingt. C’est tout ce qu’ils comprennent au Moyen-Orient. »
Un climat de haine
On est loin d’un groupe d’individus qui veulent vraiment une paix juste. Et pourquoi ne profiteraient-ils pas d’une administration américaine solidement rangée derrière les objectifs expansionnistes d’Israël ?
Le lobby pro-israélien aux États-Unis a travaillé pendant des décennies pour obtenir une administration américaine qui, en plus de consentir aux exigences israéliennes, quelles qu’elles soient, emploie même les arguments produits par le ministère israélien des Affaires étrangères pour les défendre.
Parmi ces arguments figurent notamment des propos stipulant que « les colonies ne sont pas un obstacle à la paix », des références aux « réalités sur le terrain » et aux « besoins d’Israël en matière de sécurité », ainsi que des remarques au sujet du « traitement injuste » réservé à Israël, qui serait pris à parti de manière disproportionnée compte tenu de tout ce qui se passe au Moyen-Orient.
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Les interférences de Trump à travers sa décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël auraient pu créer un climat beaucoup plus favorable à la paix – en l’occurrence s’il avait reconnu Jérusalem-Ouest comme capitale d’Israël et Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine et conditionné la construction de deux ambassades à la conclusion de pourparlers de paix fondés sur le droit international, disons en l’espace de deux ans.
Au lieu de cela, Trump a clairement affiché sa position, alimentant un climat de haine et de peur. L’espoir en Terre sainte s’est fait rare au cours des dernières décennies et Trump a complètement coupé les vannes.
À moins qu’il ne trouve le courage et la sagesse de revenir sur sa décision, les vannes de l’espoir resteront fermées, et ni les plaidoyers d’Abbas, ni un changement de dirigeant en Israël ne pourra les rouvrir de force. C’est une mauvaise nouvelle pour les Israéliens comme pour les Palestiniens.
- Kamel Hawwash est un professeur britannico-palestinien d’ingénierie à l’Université de Birmingham et un militant de longue date pour la justice, en particulier pour le peuple palestinien. Il est vice-président du British Palestinian Policy Council (BPPC) et membre du Comité exécutif de la Campagne de solidarité avec la Palestine (PSC). Hawwash apparaît régulièrement dans les médias comme commentateur sur les questions du Moyen-Orient. Il dirige le blog www.kamelhawwash.com. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @kamelhawwash. Il a rédigé cet article à titre personnel.
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Photo : le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas prend la parole devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le 20 février 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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