Le BDS a douze ans. Nous devrions nous réjouir, mais la plus grande victoire est encore à venir
Ce mois-ci marque les douze années écoulées depuis qu’une large coalition d’organisations de la société civile palestinienne a lancé un appel à la solidarité mondiale avec le peuple palestinien sous la forme d’une campagne de boycott des produits israéliens, de désinvestissement des entreprises qui profitent des violations israéliennes des droits de l’homme des Palestiniens, et d’appel à des sanctions contre le gouvernement d’Israël jusqu’à ce que celui-ci respecte le droit international.
« Les campagnes de boycott ne se résument pas à gagner ou perdre, l’important est les conversations qu’elles initient »
– Andrew Kadi, campagne américaine pour les droits des Palestiniens
Le « mouvement BDS », tel qu’il est connu du public, qui compte des millions d’alliés participant dans le monde entier à cette stratégie de résistance populaire, a remporté de nombreuses victoires importantes au fil des ans. La semaine dernière, lors de son assemblée annuelle des délégués à Orlando, en Floride, l’Église mennonite a voté quasiment à l’unanimité (98 %) en faveur d’une résolution visant à « éviter l’achat de produits associés à des actes de violence ou à des politiques d’occupation militaire, notamment des articles produits dans des colonies ».
Avec ce vote, l’Église mennonite a rejoint une longue liste de résolutions en faveur du désinvestissement adoptées par les congrégations chrétiennes aux États-Unis, notamment les Quakers, les Méthodistes unis, les Presbytériens, l’Église unie du Christ, les Unitariens universalistes, la Conférence catholique des supérieurs majeurs, l’Alliance des baptistes et l’Église évangélique luthérienne.
Et tandis que les Mennonites débattaient la résolution du désinvestissement, dix-neuf organisations et 60 comédiens ont signé une lettre au Lincoln Center demandant à cet illustre théâtre de la ville de New York de ne pas être complice de la propagande israélienne. Le 15 juillet, la légende de Pink Floyd, Roger Waters, devrait organiser une conférence mondiale sur Facebook sur le boycott culturel.
Les raisons de se réjouir
En se concentrant sur les États-Unis, la campagne américaine pour les droits des Palestiniens (USCPR) a récemment publié une compilation des victoires du BDS, dont certaines remontent à 2003 – avant l’appel officiel au BDS, qui énumère les multiples résolutions de désinvestissement des campus, les grandes associations universitaires approuvant le BDS, les divers boycotts culturels et les actions basées sur l’église.
« De la Palestine au Mexique, tous les murs doivent tomber » n’est pas seulement un slogan de manifestation. C’est la compréhension cruciale de l’importance de la lutte commune
Le large éventail couvert par la liste révèle dans quelle mesure les multiples franges du pays – étudiants, membres de l’église, athlètes et superstars – sont maintenant conscients des abus d’Israël et s’y opposent activement.
Aussi pour célébrer le 12e anniversaire de l’appel au BDS, le Comité national BDS (BNC) a envoyé un mail à ses partisans, lequel cite douze victoires mondiales significatives du BDS remportées en 2017. Ceux-ci incluent des succès remportés au Chili, en Norvège, en Équateur, au Liban et, bien sûr, aux États Unis.
Au-delà de ces victoires discrètes, nous pouvons célébrer la généralisation de la critique d’Israël au sein du peuple américain, la distinction longtemps attendue entre antisémitisme et antisionisme, et l’utilisation désormais répandue de l’expression « apartheid israélien ». Comme l’a déclaré Andrew Kadi, membre du comité directeur de l’USCPR, lors d’un récent webinaire, « les campagnes de boycott ne se résument pas à gagner ou perdre, l’important est les conversations qu’elles initient ».
Aujourd’hui, non seulement le BDS est considéré comme une menace pour Israël, mais les sionistes aux États-Unis sont de plus en plus sur la défensive, se sentant importuns dans les sphères progressistes. En effet, le syndrome PSP (progressiste sauf pour la Palestine) autrefois épidémique décline, car un nombre toujours plus élevé de personnes se rend compte que l’on ne peut pas être un État souverain progressiste, antiraciste, anti-impérialiste et pro-indigène, et d’une manière ou d’une autre ne pas dénoncer également les violations par Israël des droits de l’homme de la population palestinienne.
À Standing Rock, à Ferguson, lors des manifestations contre les expulsions d’immigrants et lors des marches des fiertés, alors que nous proclamions ensemble « No Ban, No Wall » et « No Pride in Apartheid », le BDS nous a permis de forger des alliances avec des communautés militantes privées de certains droits, auxquelles les sionistes, en raison de leur soutien au mur d’apartheid, leur désir de suprématie ethnique, leur déni du droit de retour pour les réfugiés, ne pouvaient pas se joindre ou dont ils ont été priés de partir en raison de leur comportement perturbateur.
Pas vraiment complet
L’ampleur de notre succès se reflète dans le fait qu’Israël et les États-Unis investissent depuis des années du temps, de l’énergie et de l’argent pour contrer le BDS, ce qui est (à juste titre) considéré comme une « menace existentielle » plus importante pour Israël que le Hamas – une « menace pour Israël » prise comme un défi à l’approbation par l’État de la suprématie juive, qui repose sur la dépossession et la privation permanente des droits du peuple palestinien.
Peu importe ce que nous avons acquis au cours de ces douze années de coordination, rien de ce que nous avons réalisé jusqu’à présent n’est véritablement complet, si cela ne contribue pas à la justice
Mais bien que nos nombreuses victoires soient tangibles, l’objectif ultime, l’amélioration des conditions des Palestiniens dans leur patrie historique, ainsi que la diaspora mondiale, reste jusqu’à présent inachevé.
La bande de Gaza est au bord de l’effondrement total alors que siège génocidaire – une sanction collective illégale contre un choix démocratique fait par un peuple sous occupation – est aujourd’hui dans sa dixième année et devient plus étouffant à chaque jour, car les restrictions affectent tous les aspects de la vie et des infrastructures sociales pour deux millions de personnes.
Des villages bédouins continuent d’être détruits dans le désert du Naqab (Négev), un rappel que la Nakba se poursuit. Des maisons palestiniennes sont rasées en Cisjordanie, alors que de nouvelles colonies exclusivement juives sont construites, et les colonies établies, qui n’en sont pas moins illégales, sont agrandies. Et bien sûr, les réfugiés languissent toujours dans la diaspora.
Peu importe ce que nous avons acquis au cours de ces douze années de coordination, rien de ce que nous avons réalisé jusqu’à présent n’est véritablement complet, si cela ne contribue pas à la justice.
Le siège de Gaza sera-t-il levé ? Les agriculteurs de Cisjordanie pourront-ils arroser leurs vergers ? Ma mère, une enfant de Misrara à Jérusalem-Est qui est devenue réfugiée à l’âge de 16 ans, verra-t-elle à nouveau sa ville natale bien aimée ?
La victoire finale
Mes questions ne doivent en aucun cas être interprétées comme une évaluation sobre, un « où avons-nous commis une erreur ? » Nous sommes dans le juste. Nous avançons à grands pas. Chaque victoire que nous engrangeons – et nous continuons à engranger de grandes et petites victoires presque tous les jours – est la preuve que nous, le peuple, sommes plus forts que les puissances les plus militarisées qui ont l’intention de nous réprimer, plus persuasifs que les siècles de discours colonialistes qui nous censureraient.
Je ne peux m’empêcher d’éprouver des sentiments partagés à célébrer les « victoires » tandis que l’oppression que nous cherchons à abolir reste inchangée
Et chaque victoire que nous engrangeons n’est pas seulement une victoire pour le peuple palestinien, c’est une victoire pour toutes les communautés qui se rassemblent dans leur résistance à la violence sanctionnée par l’État et au racisme institutionnel partout. « De la Palestine au Mexique, tous les murs doivent tomber » n’est pas seulement un slogan de manifestation. C’est la compréhension cruciale de l’importance de la lutte commune.
Néanmoins, alors que les militants du BDS s’organisent contre la situation sur le terrain et font face à un ensemble de défis complètement différent des Palestiniens vivant sous le siège, sous l’occupation, dans un système d’apartheid, notre objectif peut se tourner par inadvertance vers nos propres batailles et nos victoires locales, alors que le contexte plus large mais plus important s’efface au loin.
Je ne peux m’empêcher d’éprouver des sentiments partagés à célébrer les « victoires » tandis que l’oppression que nous cherchons à abolir reste inchangée. Au lieu de cela, nous devons garder nos yeux sur la récompense, car en l’occurrence, c’est l’objectif final qui importe – pas uniquement le chemin qui permet de l’atteindre.
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un manifestant palestinien brandit le drapeau national alors qu’il passe près d’une partie du mur de séparation d’Israël au milieu de la fumée due au gaz lacrymogène tiré par des troupes israéliennes afin de disperser la manifestation hebdomadaire contre l’occupation israélienne, le 13 juin 2014 dans le village de Bilin, en Cisjordanie (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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