Le génie de l'imam Hassen Chalghoumi
La France compte six millions de citoyens de confession musulmane. C'est une communauté importante et donc naturellement diverse. Sur ce chiffre de six millions, soit l’équivalent de la population de l'Écosse, certains sont boulangers ou médecins, d'autres sont avocats ou plombiers, certains sont même journalistes ou théologiens. Aujourd'hui cette minorité fait partie intégrante de la société. Elle est essentiellement composée de natifs de France, ayant grandi dans ce pays et bénéficié, du moins jusqu'à la majorité, de son système éducatif.
Six millions de musulmans et voilà que son représentant le plus visible, le plus médiatisé est l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi.
Tunisien de naissance et ayant frayé dans la criminalité dans son jeune âge, il se présente aujourd'hui comme le champion du « vivre ensemble ».
Le « vivre ensemble » est une expression qui, a priori, tend à favoriser la vie harmonieuse entre communautés, est en réalité un slogan récemment trouvé qui associe la bigoterie « nouvelle génération » au paternalisme et à la haine de soi. Pour vivre ensemble, entendons-nous souvent dire, il faut s'assimiler et accepter la sacrosainte laïcité sur laquelle repose aujourd'hui l'identité française.
Personne n'a jusque-là défini l'assimilation ou même la laïcité, mais on sait tout de même que les musulmans n'en ont pas compris le concept. Tant qu'ils continuent à s'appeler Mohamed, à ne pas manger un jambon beurre au bistrot du coin ou qu'ils soutiennent la cause palestinienne, ces six millions de citoyens ne seront jamais véritablement assimilés ou « laïques ». Et c'est là qu'intervient le mystérieux imam de Drancy, alliant bêtise et génie, et se présentant comme le musulman nécessaire. Celui qui a fait sa propre épuration ethnique au point de ne garder de musulman que l'accent de l'émigré de première génération.
Dans ce contexte confus où l’identité citoyenne se mêle au religieux, Hassen Chalghoumi remplit de nombreuses fonctions, toutes plus utiles les unes que les autres. D'une part, l’apparence du personnage suscite la pitié. Tantôt idiot du village, tantôt 'oriental' clownesque, Chalghoumi réconforte le raciste lambda dans son image du Maghrébin. Celui-ci ne sait pas s'exprimer, malgré une longue présence en France, et même lorsqu'il parvient à aligner une phrase, elle sera confuse et incohérente. Un ramassis de mots et de clichés bon enfant du genre « il faut s'aimer », « j'aime la tolérance » ou « il faut combattre l'extrémisme » constitue l'essentiel de son discours. Il n'y a rien à reprocher en soit à ce collectif de phrases un peu midinette, un peu « Kumbaya », et avec lesquelles nous ne pouvons qu'être en accord. Après tout, il faut s'aimer n'est-ce pas? Qui refuse la tolérance ? Et l'extrémisme -sous toutes ses formes - se doit d'être combattu. Sur la base de cette phraséologie fort limitée, voilà que cet imam, dont les compétences religieuses restent à démontrer, a forgé une carrière médiatique dont les agrégés les plus chevronnés seraient jaloux.
Or, il est justement là, le génie du personnage. Chalghoumi n'est pas omniprésent sur les écrans de télévisions parce qu'il est intelligent ou éloquent. Il est là pour maintenir à tout prix l'image d'une communauté encombrante et bête dont le seul rôle pourrait se limiter aux travaux manuels ne nécessitant aucune compétence intellectuelle. Lorsque Chalghoumi s'exprime, on se sent gêné. La honte de rire de la stupidité d'autrui prend le dessus lorsqu'on devient adulte. Ainsi, personne n'osera contredire les idioties incessantes de cet homme. Aujourd’hui, il anime des conférences, co-écrit des livres-interviews avec les journalistes les plus connus de France, et intervient lors de chaque événement d'envergure impliquant l'islam ou les musulmans. Or, à ce titre on notera le ton paternaliste souvent adopté par ses intervieweurs.
On le ménage, on l'écoute et on le corrige comme l'élève médiocre qui passe au tableau et suscite la pitié de son maitre d'école compréhensif. L'homme est passé devant les journalistes les plus acharnés et en est sorti indemne là où des monuments de la politique ou des médias y ont laissé des dents. Et pour cause, son accent, son apparence, son vocabulaire limité suscite la pitié. Quel journaliste voudra ou pourra s'acharner sur ce niais duquel on rit sous cape ? Lorsqu'on ose une question qui fâche, Chalghoumi répondra à côté, signalant de ce fait qu'il n'a pas du tout compris. L'interlocuteur se résigne et n'insistera pas, même les journalistes des médias 'mainstream' ne tirent pas, après tout, sur les ambulances! Son accent est donc devenu son plus grand atout. Il le protège des questions difficiles des journalistes et inonde le moulin des bigots prompts à souligner l'incompatibilité de l'islam en Europe.
Alors que l'Espagnol et judéo-chrétien Manuel Valls, devenu français à l'âge de 20 ans, s'est élevé au rang de Premier ministre, l’Arabe/musulman, lui, ne sait toujours pas parler. Et pourtant comment expliquer cet accent et ce français que l'on entend plus dans la communauté depuis les années soixante-dix ?
Il est vrai que dans l'histoire de l'immigration, de nombreux Maghrébins ont évolué en France pendant des décennies sans véritablement améliorer leur français -et même dans certains cas- sans l’apprendre. Mais la raison est pourtant simple. Ces étrangers, ouvriers de leur état, étaient confinés dans des cités habitées par des gens de mêmes origines; cités desquelles ils ne sortaient que pour rejoindre l'usine, elle aussi peuplée de Maghrébins venus ‘du bled’.
Chalghoumi est différent. Vivant en France depuis près de 20 ans, il côtoie aujourd'hui l'élite française. Que ce soit dans les diners mondains où se réunissent les plus hautes personnalités de l'État ou ses apparitions dans les médias, entouré de journalistes de renom, il n'est pas emprisonné dans un ghetto à l'instar des ouvriers des années 1960 et 1970. Entretiendrait- il ce lourd accent et ce vocabulaire limité en raison des avantages que celui-ci lui confère?
La réponse est là, la télévision française ne peut assumer un autre Tariq Ramadan. Certes le théologien Suisse est diabolisé de manière quasi quotidienne et sa filiation ou son fameux 'moratoire' sur la polygamie ne cesseront d'être mentionnés à chaque intervention, mais le personnage de part sa remarquable éloquence reste incontournable mais cependant dérangeant.
Le musulman qui apparait dans les médias doit remplir des critères définis. Il sera rappeur, chanteur ou sportif. À la télévision, on lui attribuera une émission sur une chaine secondaire pour néanmoins donner l'image d'un pays assumant sa diversité. Mais il ne doit pas trop exhiber d'intelligence et c'est là qu’Hassen Chalghoumi remplit cette fonction avec brio. Six millions de musulmans et voilà que son auto-proclamé représentant est l'homme qui s'est déclaré être 'Charlot' au moment des attentats sur la rédaction de Charlie Hebdo. Son lapsus a certes fait le bonheur des réseaux sociaux, il n'empêche qu'il demeure le musulman le plus 'visible' de France au grand dam d'une communauté qui pourtant compte des intellectuels de tout bord, des sommités en médecine ou des ténors du barreau.
Ainsi, au-delà de l'image cocasse que présente l'Imam comique, se cache un sérieux problème dans un pays qui assume de plus en plus ouvertement son islamophobie. Chalghoumi, l'oncle Tom de service, est le musulman providentiel qui représente de manière parfaite l'islam tel que voulu par la France actuelle: éternellement étranger, ridicule et se devant d'être soumis sans jamais s'affirmer. Contrastant la religion juive qui elle est représentée dans toutes les tranches de la société française reflétant une diversité flamboyante, l'islam de Hassen Chalghoumi est le seul islam encouragé a percer. Tel le musulman récurrent représenté dans les caricatures de Charlie Hebdo, barbe hirsute et sale autour desquels voltigent toujours une ou deux mouches, Hassan Chelghoumi de part le rôle qu'il joue depuis dix ans en France, ne représente pas les musulmans ni l'islam mais plutôt une image caricaturale de cette religion. À ce titre, il fut d'ailleurs le parfait 'Charlie'...Pour le reste il sera toujours un peu Charlot.
- Hafsa Kara-Mustapha est une journaliste, analyste politique et commentatrice qui se concentre particulièrement sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Elle a travaillé pour le groupe FTet Reuters et son travail a été publié dans le Middle East Magazine, le Jane's Foreign report et de nombreuses publications internationales. Apparaissant régulièrement comme experte à la télévision et à la radio, Hafsa peut être vue sur RT et Press TV.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : L'imam Hassen Chalghoumi a côté de Marine Le Pen sur le plateau de l’émission Le Grand Journal, le 9 mars 2012 (AFP)
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