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Le Liban fait écho à l’hypocrisie de la classe politique arabe

La répression brutale de la manifestation « You Stink » (« Tu pues ») montre que le gouvernement sait que cette colère va bien au-delà d’un système de collecte des déchets inadéquat

Ce weekend, le Liban a été témoin de l’une des répressions gouvernementales d’une manifestation pacifique parmi les plus violentes de son histoire récente : une personne a été tuée et des centaines d’autres blessées lorsque la police et l’armée ont fait face aux manifestants avec des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles réelles.

Les manifestations des 22 et 23 août ont été motivées par la « crise des déchets » qui a vu le Liban se retrouver submergé sous des montagnes de déchets s’entassant dans ses rues en raison de l’absence d’un plan gouvernemental viable pour résoudre le problème de la collecte des ordures dans le pays, ce qui a signifié que les ordures ont fini en grande partie dans des décharges.

Ces sites étaient censés n’être qu’une mesure temporaire, mais le gouvernement a prolongé leur durée de vie indéfiniment au détriment de la santé des citoyens et de la sécurité environnementale.

La frustration des citoyens face à la réponse du gouvernement s’est accrue jusqu’à devenir une critique généralisée de la corruption dans un pays où le gouvernement s’est vu attribué la quatrième place des gouvernements les moins efficaces au monde par le Forum économique mondial.

Suite à une série de campagnes sur les réseaux sociaux, des militants de la société civile sont descendus dans la rue pour appeler au renversement du gouvernement. La réponse brutale du gouvernement a pris les manifestants par surprise, mais elle montre que le monde arabe continue de constater la même hypocrisie parmi sa classe politique.

La « crise des déchets » au Liban est un exemple des ententes politiques qui se déroulent dans les coulisses là et ailleurs, par lesquelles les politiciens s’échangent des faveurs au détriment des citoyens. Dans ce genre de situation, des services sont fournis aux citoyens mais de manière abusive, et les citoyens sont tenus d’acquiescer.

Au Liban, les gens ont toléré ce système de marchandage politique – bien qu’il ait fait du traitement des ordures dans le pays l’un des plus chers au monde – car au moins les déchets étaient collectés.

Le même marchandage politique s’applique à la prestation d’autres services de base, de l’électricité à l’eau. Les citoyens étaient censés être reconnaissants envers la classe politique pour ce qu’ils avaient et fermer les yeux sur ses transgressions, qui ne sont un secret pour personne. Cela a créé un statu quo auto-entretenu qui a avalisé la corruption et encouragé les populations à chercher à apaiser la classe politique afin que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits.

Cependant, l’inattention au problème croissant des décharges d’ordures a éprouvé la patience de la population et celle-ci a commencé à la relier ouvertement à la situation politique générale au Liban.

Des années après que le parlement libanais a prorogé à deux reprises son propre mandat inconstitutionnellement, et après plus d’un an sans président et avec seulement un gouvernement provisoire impuissant, les citoyens se sont mobilisés pour s’opposer au statu quo corrompu et demander des comptes à leurs dirigeants.

La manifestation qui a commencé le 22 août ne concerne donc pas littéralement les déchets ; son slogan, « You Stink », est une métaphore visant les politiciens libanais qui sont complices de la dégradation du pays.

La réponse du gouvernement est, à son tour, inconstitutionnelle. Bien que la Constitution garantisse le droit de protester, les manifestants se sont heurtés à la violence des forces de sécurité intérieure libanaises et de l’armée au cours de scènes qui rappellent celles des manifestations du Printemps arabe.

La brutalité employée à l’encontre de manifestants pacifiques dans le centre de Beyrouth ne fait malheureusement pas figure d’exception dans le monde arabe. C’est la même qui s’est abattue sur les citoyens de toute la région presqu’à chaque fois qu’ils se sont mobilisés contre la corruption dans les pays autoritaires.

La violence et l’oppression dans cette situation sont utilisées non seulement parce que les exigences immédiates des manifestants sont considérées comme inacceptables par la classe politique, mais aussi parce que les manifestations risquent de révéler la corruption du système politique actuel dans son ensemble – pointer du doigt les ententes politiques corrompues dans une région peut provoquer un effet domino de révélations qui menaceraient fondamentalement le statu quo.

À ce titre, la classe dirigeante politique libanaise a considéré les organisateurs de la campagne « You Stink » comme une menace existentielle. Dans la tradition autoritaire arabe, aucune réponse en-deçà de la brutalité pure et dure n’aurait été suffisante : les « fauteurs de troubles » devaient être étouffés dans l’œuf afin qu’ils ne puissent étendre leur présence et leur influence.

Comme ce qui s’est passé en Égypte, des voyous affiliés au gouvernement ont infiltré la manifestation pacifique le 23 août et ont attaqué les manifestants et les journalistes, notamment une journaliste qui a été agressée en direct à la télévision tandis elle rapportait l’activité de la foule. La violence a fourni à l’appareil sécuritaire un prétexte « légitime » pour recourir à la force.

Toutefois, cette réaction a également suscité l’autre trope familier de l’exploitation : un certain nombre de membres du parlement et de ministres ont commencé à dénoncer le statu quo à travers des déclarations en soutien à la manifestation, se plaçant ainsi en dehors du système et tentant par la même occasion de se décharger de la responsabilité de l’oppression qui se déroulait devant les yeux du public.

Ce travestissement de dirigeants autocrates en démocrates est également commun dans le monde arabe, et fait des événements du 22 et 23 août un autre exemple de la nécessité d’un changement fondamental du système politique qui prévaut dans la région.

Il apparaît clairement que le système peut promettre des réformes, mais que la classe politique au pouvoir n’agira pas en fonction. Les réformes ne viendront pas d’en haut, mais à travers la mobilisation stratégique et sérieuse des citoyens sur le terrain.

La principale leçon à tirer de ces événements, c’est que les citoyens ne devraient pas accepter des promesses de protection ou de réforme d’une classe politique corrompue qui domine les institutions étatiques. Ces promesses peuvent satisfaire les exigences à court terme, mais rendent les citoyens vulnérables à l’exploitation sur le long terme.

En bref, la seule façon de faire changer significativement les choses est de restructurer l’ensemble du système politique et de remplacer la classe politique au pouvoir avec de vrais démocrates qui ne mettent pas leurs propres intérêts politiques au-dessus de ceux de la nation.
 

- Lina Khatib est la directrice du Carnegie Middle East Center à Beyrouth. Auparavant, elle était co-fondatrice du Program on Arab Reform and Democracy (ARD) au Center on Democracy, Development, and the Rule of Law de l’université de Stanford.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants libanais affrontent la police antiémeute (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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