Le Mali, un pays sous tutelle ?
Les jours se suivent et se ressemblent au Sahel en général, et au Mali en particulier. Fin septembre, pas moins de 60 personnes ont perdu la vie au Mali, pour la plupart des civils. Lors d’une seule attaque, 22 civils touarègues de la communauté des Idourfan ont par ailleurs été exécutés dans le nord-est frontalier avec le Niger.
Le 13 décembre, une cinquantaine de civils ont aussi été tués autour de Ménaka, la ville principale du nord-est du Mali. Les atrocités de 2018 semblent malheureusement déjà se perpétuer en 2019, puisque le 1er janvier, près de quarante personnes été assassinées dans le cercle de Bankass (région de Mopti).
Dans un autre registre dramatique, la situation est terriblement alarmante pour des milliers d’enfants en âge d’être scolarisés. En effet, plus de 750 écoles sont fermées au nord et au centre du pays.
L’opération française Barkhane, qui poursuit son quadrillage du territoire malien, lançait en septembre une opération aéroportée dans la région de Ménaka au Mali, à l’est du pays, à la frontière nigérienne.
Cent-vingt parachutistes furent largués par deux avions de transport tactique – un Transall C-160 et un A400M Atlas –, confirmant ainsi avec l’utilisation de ces gros appareils, le renforcement des forces militaires françaises.
Toujours au mois de septembre, au Niger, neuf personnes ont trouvé la mort dans une double attaque et sept membres des forces de défense et de sécurité (FDS) ont été tués par l’explosion d’un engin piégé.
Toutes ces attaques et opération de kidnapping soulignent la porosité des frontières sahéliennes ainsi que la menace et l’instabilité transfrontalière
Au mois de novembre dernier, huit salariés de la société de forage Foraco trouvaient la mort dans le village nigérien de Toumour (sud-est du Niger, près de la frontière nigérianne) suite à une attaque terroriste.
Un prêtre missionnaire italien a aussi été enlevé dans un village situé à 125 km au sud-ouest de Niamey par des hommes arrivés en moto du Burkina Faso, où les attaques se font elles aussi de plus en plus nombreuses. Entre septembre et octobre dernier, près de vingt civils et militaires trouvèrent la mort suite à des attaques terroristes. En novembre, une autre attaque terroriste eu lieu dans le village nigérien de Toumour, faisant huit morts.
Inquiétudes de l’ONU
Toutes ces attaques et opérations de kidnapping soulignent la porosité des frontières sahéliennes ainsi que la menace et l’instabilité transfrontalière qui s’étend dans la région.
En décembre, l'Agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) s’est déclarée « préoccupée par la persistance de la violence dans les zones frontalières du Niger jouxtant le Mali et le Burkina Faso, qui a forcé 52 000 Nigériens à fuir leurs foyers en 2018 ».
Un précédent bilan onusien établi en octobre faisait état de 42 000 déplacés fuyant des « menaces venant des groupes armés non étatiques » ou des « effets » des mesures sécuritaires visant à juguler « les infiltrations récurrentes de terroristes » venant du Mali voisin.
Le G5 Sahel, dont les opérations doivent reprendre dès ce début d’année comme l’a annoncé le chef d’état-major des armées françaises, le général François Lecointre, continue quant à lui de montrer défaillances, limites opérationnelles et divisions internes.
Le président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a lui-même reconnu, lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en septembre, que le G5 Sahel avait du mal à être opérationnel. Ce qui en dit long sur cet outil militaire sous-régional mort-né, qui ne saurait tarder à imploser.
Les problèmes de financement ont maintes fois été soulignés, tout comme les dissensions internes et problèmes de leadership.
La force a notamment connu un « coup d'arrêt assez brutal » avec l’attaque de son QG, à Sévaré le 29 juin, et la nomination d’un nouveau chef à sa tête.
En juillet dernier, lors du dernier sommet de l’Union africaine (UA) à Nouakchott (Mauritanie), le général mauritanien Hanena Ould Sidi succédait au général malien Didier Dacko.
À travers son quadrillage du territoire, du nord jusqu’au centre, dans les faits, c’est bel et bien Barkhane qui contrôle aujourd’hui les deux tiers du Mali
En novembre, Hanena Ould Sidi avait déploré le manque d’équipements et l’absence de nouveau quartier général après l’attaque de l’été.
« Ce sont les équipements qui me manquent, et le PC [poste de commandement] de la force. On n’a pas de quartier général et les équipements tardent à venir », avait déclaré l’officier mauritanien à l’issue d'une rencontre avec la ministre française des Armées, Florence Parly, et son homologue allemande de la Défense, Ursula von der Leyen.
Le casse-tête du G5
Le remplacement à la tête du G5 s’est effectué aussi en présence du président français, Emmanuel Macron. Hasard de calendrier ou timing bien réglé, cela ressemblait aussi à une manière de remercier le bon élève mauritanien.
Pour rappel, Nouakchott n’avait finalement accepté l’idée du G5 Sahel qu’après de fortes pressions externes exercées sur le président mauritanien afin qu’il mette un terme à ses hésitations.
C’est dans ces conditions que, suite à la décision de son commandant, le QG du G5 Sahel avait déménagé de Sévaré à Bamako.
En se déplaçant plus au sud du pays, le commandement du G5 Sahel ne fait que s’éloigner de ses troupes – dont les performances sur le terrain restent à démontrer – ainsi que des zones de conflits, là même où les terroristes et autres narcotrafiquants sévissent.
Ce qui amène certaines critiques : si les forces du G5 Sahel ne sont pas capables de se protéger elles-mêmes, comment pourraient-elles protéger les populations locales ?
Plus inquiétant encore, cette décision est aussi un signal fort envoyé aux forces militaires françaises de Barkhane, leur signifiant que si, en théorie, le G5 Sahel et le gouvernement malien contrôlent cette partie nord du pays, en pratique, c’est bel et bien Barkhane qui mène la danse.
Ainsi est actée la disparition de facto de la souveraineté du gouvernement central malien sur la majorité du territoire national.
Le 23 novembre, Amadou Koufa, chef du Front de libération du Macina (FLM), groupe islamiste armé apparu en 2015, était tué par les forces militaires de Barkhane dans la région centre de Mopti. Cette opération militaire française méticuleusement planifiée, ne peut que renforcer l’idée qu’à travers son quadrillage du territoire, du nord jusqu’au centre, dans les faits, c’est bel et bien Barkhane qui contrôle aujourd’hui les deux tiers du Mali.
Kamissa Camara, ministre sous influence ?
La question de la souveraineté du Mali se pose aussi aujourd’hui concernant la nomination de Kamissa Camara comme ministre des Affaires étrangères en septembre.
En effet, si de nombreuses voix au Mali et ailleurs se sont félicitées de voir une jeune femme diplômée des plus prestigieuses écoles françaises et américaines nommée ministre des Affaires étrangères de leur pays, certains s’interrogent maintenant non seulement sur ses compétences – venant de la société civile, elle n’a aucune expérience politique – à ce poste ô combien stratégique mais aussi et surtout sur ses liens étroits avec la France.
Après l’euphorie des premiers jours suivant sa nomination, de nombreux Maliens soulignent maintenant que Kamissa Camara est née et a grandi en France, ce qui peut en effet soulever de nombreuses questions sur sa réelle indépendance d’esprit, la marge de manœuvre des autorités maliennes vis à vis de Paris étant déjà très étroite.
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Lors d’un entretien avec un journaliste de la chaîne turque TRT World, en juillet 2017, Kamissa Camara avait répondu aux propos d’Emmanuel Macron critiquant la fertilité des femmes africaines en disant qu’il fallait « mettre cela sur le compte de la maladresse ».
D’autres signes tangibles de perte de souveraineté ne trompent personne : c’est le cas, par exemple, de la présence au sein même de la zone de bagages de l’aéroport Modibo Keita de Bamako de la Unidade Especial de Polícia (unité d’élite de la gendarmerie portugaise) !
Même les diplomates doivent se plier aux mesures de sécurité d’Air France malgré leur statut diplomatique
À ce sujet, les mesures de sécurité dans les aéroports de la région sont d’une manière générale parlantes.
Si les différentes compagnies aériennes desservant le Mali ou la Mauritanie – pour ne citer que ces deux États – appliquent les mêmes mesures de sécurité dans les aéroports de ces pays, celles d’Air France sont au contraire bien plus sévères.
À ce titre, même les diplomates se doivent de se plier aux mesures de sécurité d’Air France malgré leur statut diplomatique.
Un haut diplomate africain en a fait l’amère expérience récemment en se trouvant contraint de se soumettre au portique de sécurité et à la fouille de ses bagages.
Déliquescence annoncée ?
La décision de déménager le QG du G5 Sahel de Sévaré à Bamako signifie que les responsables ne se sentent pas en sécurité au nord.
Cependant, loin des zones de conflits du nord, le commandement du G5 Sahel n’en sera que moins efficace. Il deviendra même une cible de premier choix pour les groupes armés terroristes présents au centre du Mali et qui, selon certaines sources, avancent doucement vers la capitale malienne.
Mais pire encore pour la population malienne, cela signifie que l’insécurité va se déplacer aux portes même de Bamako et s’étendre plus facilement et rapidement dans le sud et sud-ouest du pays.
« Notre grand Mali avance » : le slogan visible sur de grands panneaux publicitaires où domine IBK peine à masquer le fait que sa réélection en août 2018 demeure hautement contestée.
Le Mali, trop souvent présenté jusqu’au coup d’État de 2012 comme un modèle démocratique pour tous les États de la région, avance très certainement. Mais dans quelle direction ? Et surtout, avance-t-il dans la bonne direction ? Car si le Mali a recouvré son indépendance il y a cinquante-huit ans, sa souveraineté demeure sujette à débat.
Dans son livre Lignes d’horizon, Jacques Attali prophétisait la disparition éventuelle de l’État du Mali. Si cette analyse dramatique pour les Maliens, mais aussi pour toute la région allant du Maghreb à l’Afrique de l’Ouest, ne s’est pas encore concrétisée, force est de reconnaître qu’il est de plus en plus difficile de demeurer optimiste pour ce pays.
Le Mali est lentement mais sûrement en train de sombrer dans un système de tutelle qui ne dit pas encore son nom. Les dirigeants maliens et sahéliens ne semblent pas encore en avoir pris conscience.
- Abdelkader Abderrahmane est chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président français Emmanuel Macron partage le repas des soldats de l’opération Barkhane à Gao, au nord du Mali, le 19 mai 2017 (AFP).
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