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Le Maroc part en guerre contre les sacs plastique, mais importe des déchets italiens

Le Maroc a besoin de préserver l’environnement en commençant par nettoyer devant sa porte avant de s’occuper de celle des autres

CASABLANCA - Submergé de sacs plastique jetés dans ses rues, ses plages et ses campagnes, le Maroc prend désormais des mesures drastiques pour en réduire sa consommation.

Ce pays est le deuxième consommateur mondial de sacs plastique derrière les États-Unis. Il en utilise trois milliards par an dans l’agriculture, l’industrie et la vente au détail.

Or, cette année, il accueillera en décembre la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP22), et a le 1er juillet, inauguré une nouvelle ère baptisée « Zéro Mika » (zéro sacs plastique), le jour même où la France en décrétait l’interdiction.

La nouvelle loi 77-15 est soutenue par le gouvernement et la société civile, malgré le tollé de l’opposition qui prétend que cela menacerait la survie de « plus de 50 000 » familles.

En ayant recours à des stars de la télévision pour ses campagnes de sensibilisation auprès des Marocains, le gouvernement a fait un pas de géant vers un environnement plus propre, débarrassé des sacs plastique qui polluent son environnement depuis des années.

Les ordures débordent d’une poubelle dans un quartier chic de Casablanca (MEE/Saad Guerraoui)

Emballage alternatif

Les utilisateurs de sacs plastique ont désormais obligation de les remplacer progressivement par des paniers, des bacs, des caddies et d’autres moyens alternatifs pour transporter leurs achats. Certains magasins et vendeurs de rue écoulent cependant leurs derniers stocks de sacs plastique, en dépit de la menace gouvernementale d'infliger de lourdes amendes aux contrevenants à la loi, qui interdit la fabrication, l’importation, l’exportation, la commercialisation et l’utilisation de sacs plastique.

Le ministère de l'Industrie a créé un fonds de 200 millions de dirhams (un peu plus de 18 millions d’euros) pour aider fabricants et grossistes à mettre leur entreprise en conformité. Ce qui n’a pas empêché certains grossistes qui voient leur commerce disparaître, de défier la loi au risque de payer des amendes.

L'article 9 de cette loi frappe les fabricants de sacs plastique d’une amende de 200 000 à 1 million de dirhams (18 000 à 90 000 euros), tandis que l’article 10 impose une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros aux vendeurs et aux distributeurs.

Ceux qui craignent d'être verbalisés en sont réduits à écouler en fraude leurs stocks sur le marché noir, où le prix d’un kilo de sacs plastique jetables vient donc de doubler.

Contrairement à la France – où la loi interdit ce type de sachets, sauf s’ils sont biodégradables – la loi marocaine interdit toutes les sortes de sacs plastique, quelle que soit leur origine.

Les supermarchés comptent parmi les plus grands coupables. Ils ont dû se conformer à la nouvelle réglementation, ne plus offrir à leurs clients des sacs jetables mais leur proposer des modèles réutilisables, payants. Ils fournissent également différents types de conditionnement gratuits selon la nature du produit : des sacs en papier, des gobelets ainsi que du papier d’emballage et du papier aluminium.

Réactions mitigées

Les réactions des Marocains à l’interdiction des sacs plastique jetables ont été mitigées. Certains ont salué la décision comme une étape essentielle vers une plus grande propreté de l’environnement, longtemps terni par le spectacle répugnant de sachets volant dans tous les sens et d’ordures jetées à même la rue. Certains ont gardé le sens de l’humour en suggérant de passer en machine à laver les vieux sacs plastique en vue de les réutiliser, car ils auront bientôt totalement disparu et deviendront une « denrée précieuse ».

D’autres, qui ont du mal à ramener leurs commissions chez eux, déplorent que la plupart des épiceries n’aient pas mis à disposition des clients des substituts aux sacs plastique.

Le gouvernement s’est fixé l’objectif ambitieux de les éradiquer avant la COP22 grâce à des opérations de surveillance et de nettoyage, menées sous la responsabilité des autorités et des associations de protection de l’environnement, qui ont commencé en juin dans plusieurs régions.

Mais, le gouvernement s’est mis dans une situation embarrassante en important 2 500 tonnes de déchets italiens, avant de rétropédaler, suite à une véhémente campagne sur les réseaux sociaux qui en appelait à la démission du ministre de l’Environnement, Hakima El Haite.

Le cabinet s’est réuni et le ministre de la Communication Mustapha Khalfi a annoncé que le gouvernement avait décidé deux semaines plus tôt de suspendre l’importation de déchets italiens, dans l’attente d’une seconde analyse en laboratoire, alors que le sous-secrétaire d’État pour l’Environnement, Silvia Velo, venait de certifier la non-dangerosité de ces déchets.

Le Maroc importe en moyenne chaque année 4 500 tonnes de déchets italiens destinés à devenir du « combustible dérivé d’ordures » car le ministère de l'Environnement compte sur leur incinération pour développer une alternative aux combustibles fossiles.

Des ordures en plastique jonchent une rue commerciale dans la région de Derb Sultan à Casablanca (MEE/Saad Guerraoui)

Nous ne sommes pas une poubelle

Le hashtag « Nous ne sommes pas une poubelle » (we are not trash) a fait fureur sur Facebook, où de nombreux militants et citoyens ont vivement critiqué la décision d’El Haite et exigé sa démission.

« La Chine est le plus grand importateur de pétrole, l’Arabie saoudite le plus grand importateur d'armes, pendant quand le Maroc est le plus grand importateur d’ordures », dénonce une bannière qui circule sur les réseaux sociaux.

Cette campagne sur internet a été si efficace que, sous la pression, le gouvernement a décidé d’interdire toute importation de déchets.

Il s'agit d'un des plus grands reculs du gouvernement dirigé par des islamistes avant les élections législatives d’octobre prochain et l’accueil de la COP22, qui décrit le Maroc comme l’un des leaders mondiaux des énergies renouvelables.

La destruction des déchets polluants est très coûteuse en Italie en raison des risques d’émission de toxines nocives pour l’écosystème. L’Italie et d’autres nations européennes cherchent à expédier ces déchets ailleurs qu’en Europe, vers des pays dont la réglementation est moins stricte, en échange de séduisantes sommes d’argent.

Le Maroc fait partie de ces pays sensibles aux gratifications financières mais peu soucieux des risques environnementaux et sanitaires à long terme.

Avant d’importer davantage de déchets, un pays qui réduit sa dépendance au pétrole en accroissant ses capacités en énergies renouvelables doit réfléchir attentivement à la façon de recycler ses propres déchets polluants en ouvrant plus d’usines de recyclage dans toutes les grandes villes.

Le Maroc a besoin de faire un pas en avant en faveur de la préservation de l’environnement et pour ce faire, commencer par nettoyer devant sa porte avant de s’occuper de celle des autres.

- Saad Guerraoui est rédacteur en chef à Middle East Online et collaborateur régulier du journal Arab Weekly. Il a obtenu un doctorat en Administration des affaires à l'Université de Newport (Campus de Londres). Il est intervenu comme analyste sur différentes chaînes de télévision par satellite.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des vendeurs de rue dans l’ancienne médina de Casablanca continuent d’offrir à leurs clients des sacs plastique, jusqu’à épuisement du stock (MEE/Saad Guerraoui).

Traduction de l’anglais (original) par [email protected].

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