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Le nouveau gouvernement irakien entre exil, pouvoir et Iran

Ceux qui ont été choisis pour occuper les nouveaux postes de l’exécutif en Irak devront trouver un équilibre entre politique intérieure et politique internationale, étroitement mêlées

Les postes les plus élevés de l’exécutif irakien ont été annoncés jeudi, 14 des 22 postes du cabinet étant d’ores et déjà pourvus. Quelques ministères clés restent vacants et Adel Abdel-Mehdi, le nouveau Premier ministre irakien, détiendra les portefeuilles non alloués des ministres de la Défense et de la Justice.

Les nouveaux ministres vont maintenant rejoindre Barham Saleh, le nouveau président irakien, et Mohamed al-Halbousi, le président du Parlement, à la tête d’un État irakien aux prises avec des défis intérieurs apparemment insurmontables, allant des manifestations à Bassorah à l’effort de reconstruction suite à l’invasion du groupe État islamique (EI).

Sur le plan international, ces trois dirigeants devront également gérer le délicat rapport de force entre États-Unis et Iran vis-à vis de l’Irak, ainsi que les relations de leur nation avec le monde arabe dans son ensemble.

Approche réductionniste

Parmi les quatre principaux acteurs influents à peser sur le choix de ces trois dirigeants figuraient deux acteurs nationaux : le camp sadriste (de Moqtada al-Sadr) victorieux et leurs rivaux parlementaires affiliés aux milices chiites – certains, mais pas tous, ont des sympathies pour l’Iran. Les deux acteurs internationaux comprenaient l’Iran et les États-Unis.

Les médias américains et internationaux chercheront forcément à disséquer comment ces dirigeants s’alignent sur la politique étrangère iranienne ou américaine, comme en témoignent les titres des médias américains, israéliens, français et turcs, dont celui-ci : « L’Irak élit un sunnite pro-iranien à la présidence du Parlement ».

Comme nombre des élites politiques irakiennes actuelles, Abdel-Mehdi et Saleh étaient en exil de l’Irak sous Saddam Hussein, et la plupart de ces expatriés cherchaient refuge ou aide auprès de l’Iran

La tentation sera donc grande d’appliquer cette approche réductionniste à Abdel-Mehdi – qui parle persan et a vécu en Iran – ainsi qu’à Saleh, qui a maintenu des relations suivies avec Téhéran.

Comme nombre des élites politiques irakiennes actuelles, Abdul Mahdi et Saleh étaient en exil de l’Irak sous Saddam Hussein, et la plupart de ces expatriés cherchaient refuge ou aide auprès de l’Iran. Dans leurs cas, cependant, leur passé avec Téhéran ne les rend pas nécessairement pro-iraniens, car leurs idées politiques ont évolué au fil du temps et relèvent davantage de l’opportunisme que d’un engagement idéologique envers Washington ou Téhéran.

Le président de la Chambre, Mohamed al-Halbousi

Après les élections, la principale tâche du nouveau Parlement lors de sa première session fut d’élire un président de la Chambre, qui revient généralement à un Arabe sunnite. À la mi-septembre, le Parlement a élu Halbousi. Avec sa nomination, le Parlement a ensuite choisi son président, poste généralement attribué à un Kurde – Saleh, en l’occurrence – qui fut nommé début octobre. 

Une fois élu président, Saleh a demandé au plus grand bloc parlementaire de choisir un premier ministre désigné, généralement un chiite – en la personne d’Abdel-Mehdi – pour former un cabinet.

Mohamed al-Halbousi, nouveau président élu du Parlement irakien, prononce un discours le 18 septembre 2018, à Bassorah (AFP)

Ces répartitions selon confession et appartenance ethnique ne sont pas inscrites dans la Constitution irakienne, mais correspondent plutôt à des normes politiques censées représenter la démographie du pays. Contrairement à Abdel-Mehdi ou Saleh, Halbousi n’était pas un exilé. Ce dirigeant de 36 ans a déjà été gouverneur de la province d’Anbar.

La nomination de Halbousi était soutenue par l’alliance de Hadi al-Ameri, qui comporte des chefs de milices chiites : d’où des unes de journaux le taxant de « pro-iranien ». Une analyse plus approfondie de sa vie révèle qu’il a également entretenu des relations avec les États-Unis. Son alliance avec Ameri était plutôt une tentative opportuniste d’évincer d’autres rivaux arabes sunnites mieux implantés que lui pour remporter ce poste, généralement concédé au parti islamique irakien.

Saleh, le juste équilibre entre États-Unis et Iran

Saleh a fait ses études au Royaume-Uni et obtenu un doctorat en statistiques et données. Je l’ai rencontré à maintes reprises en tant qu’étudiant diplômé de l’Université de Georgetown, où il représentait l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) à Washington. Mais aux élections de 2018, il s’est présenté comme candidat indépendant.

À LIRE ► Pourquoi la nomination de Barham Saleh à la présidence est une bonne nouvelle pour l’Irak

La force de l’UPK réside dans la province autour de la ville de Souleimaniye, dans la région du nord de l’Irak frontalière de l’Iran. La géographie a dicté que l’UPK aurait besoin du soutien de l’Iran, notamment en 1997, lors de l’épisode violent de conflits internes avec son rival kurde – le Parti démocratique du Kurdistan (PDK).

Lorsque Saleh est revenu à Souleimaniye à un poste de fonctionnaire gouvernemental, il joua un rôle déterminant dans des projets allant du raccordement du réseau électrique à celui de l’Iran et la création d’une université américaine – rappels concrets de l’équilibre entre Iran et États-Unis sur l’avenir de l’Irak dans le nord.

Entre communisme et révolution islamique

Abdel-Mehdi est issu des élites foncières et cléricales chiites irakiennes. Malgré son éducation religieuse, il s’est rapproché du Parti communiste irakien (PCI, ostensiblement laïc) – ce qui n’était pas inhabituel en Irak entre les années 1950 et 1970. Il représentait une génération de jeunes chiites issus de familles traditionnelles des villes sanctuaires de Nadjaf, Karbala et Kadhimiya qui gravitaient vers le communisme.

Au cours de cette période, se constitua le Parti islamique Dawa (qui donna tous les Premiers ministres irakiens après 2003) avec pour objectif de contrecarrer cette tendance en offrant une alternative religieuse aux chiites d’Irak. Dans les années 1960 et 1970, Abdel-Mehdi étudia l’économie en France, où il publia des ouvrages sur cette discipline. C’était un membre exilé du PCI, qui s’opposait au régime du parti unique baasiste.

Plus tard, il fut inspiré par la révolution iranienne, qui déboucha sur la formation de la République islamique, projet contre-hégémonique qui enflamma l’esprit des gauchistes et des communistes de l’époque, au Moyen-Orient et dans le reste du monde.

Le nouveau Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi, en compagnie du président Barham Saleh, à Bagdad le 2 octobre 2018 (AFP)

Finalement, Abdel-Mehdi a rejoint le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak, organisme institué par la République islamique en 1982 pour servir de gouvernement en exil, à un moment où l’Iran avait repoussé l’invasion irakienne et où Saddam Hussein était sur la défensive, militairement et politiquement. 

Malgré ses origines iraniennes, le Conseil, avant l’invasion de l’Irak en 2003, fit des ouvertures aux États-Unis et devint l’un des partis de l’Irak post-baathiste. Le parti se rebaptisa Conseil suprême islamique d’Irak et cessa d’en appeler à une « révolution islamique » à l’iranienne pour attirer davantage d’électeurs irakiens nationalistes.

Aux élections de cette année, le Conseil suprême islamique d’Irak s’est pratiquement effondré, sur fond de rivalités internes, et Abdel-Mehdi s’est présenté comme indépendant. Le parti qui avait commencé comme mandataire iranien en 1982 s’était disloqué, ce qui explique pourquoi l’Iran cherchait des partenaires plus fiables, notamment les milices chiites irakiennes. Ce réalignement explique comment Abdel-Mehdi était bien placé pour émerger comme candidat du compromis.

Plus technocrate que sectaire

Le bilan de ces trois hommes politiques ne place aucun d’entre eux franchement dans un camp pro-iranien ou américain, ni indépendant des grands blocs politiques.

La liste partiellement communiquée des ministres du gouvernement comprend plusieurs technocrates, dont Luay el-Khateeb, directeur exécutif de l’Institut irakien à l’énergie (non partisan), expert chevronné du secteur des hydrocarbures en Irak ; Thamer Ghadhan, ministre du Pétrole ; et, au ministère des Finances, Fouad Hussein, ancien législateur kurde.

Ainsi, la nécessité de cette opposition binaire – tout comme le besoin persistant de recourir au « sectarisme » pour rendre compte de la politique irakienne – masque plutôt qu’elle ne met en évidence la dynamique politique de ce pays. 

Ces trois hommes politiques vont œuvrer de concert pour concilier les intérêts américains et iraniens, tout comme ils ont coopéré au cours des deux dernières semaines à la formation d’un cabinet et résisté à l’envie de nommer des dirigeants en fonction de leur identité ethnosectaire : ils ont préféré s’adresser à des technocrates qualifiés, aptes à traiter les nombreux problèmes que connaît l’Irak.

- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces: An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017) et A Concise History of the Middle East (à paraître).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président irakien nouvellement élu, Barham Saleh, salue la foule à Bagdad, le 3 octobre 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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