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Le « Paris-Dakar » s’invite en Arabie saoudite : un scandale !

Le célèbre rallye-raid déménage d’Amérique latine pour raisons financières et trouve un accueil « enthousiaste » au pays de MBS. Une belle aubaine pour les deux parties   
Image du dernier Rallye Dakar au Pérou, le 16 janvier 2019 (World/ASO)

Les Saoudiennes et Saoudiens qui croupissent dans les geôles de la monarchie wahhabite devraient être éternellement reconnaissants à Xavier de Soultrait. 

Ce motard sportif français, qui veut participer à la prochaine édition du « Paris-Dakar » en Arabie saoudite en 2020, a déclaré à l’AFP : « Y aller et aborder les sujets qui fâchent, peut-être que ça peut aider […] Pour moi, c’est même un devoir d’essayer d’avoir un petit mot ».

Avoir un petit mot, un tout petit alors, qui ne pèsera pas trop devant la machine de guerre au Yémen, ni devant les persécuteurs traquant les militantes et les militants des droits de l’homme. Loujain al-Hathloul appréciera les bons sentiments de Xavier de Soultrait, 7e au classement moto du Rallye Dakar 2019. Elle, dont le crime suprême a été notamment de se battre pour le droit des Saoudiennes à conduire.

« Un petit mot »

La militante féminine a été jetée en prison il y a onze mois par les autorités saoudiennes. Elle serait « détenue à l’isolement, battue, soumise à la torture, à des chocs électriques, harcelée sexuellement et menacée de viol et de meurtre » selon les révélations de sa sœur Alia al-Hathloul dans une lettre publiée dans le New York Times. D'après l’AFP, des membres de la famille de Loujain al-Hathloul basés à l’étranger ont déclaré subir des pressions de la part de personnes proches de l’État saoudien pour qu’ils gardent le silence sur son traitement en détention.

Des proches de l’establishment saoudien ont averti que les critiques publiques des membres de la famille pourraient prolonger la détention des militantes.

On ne doute pas de la sincérité du motard français, mais un peu de décence et d’empathie envers les supplicié(e)s du régime saoudien ne serait pas de trop

Début avril, les autorités saoudiennes ont arrêté au moins neuf écrivains, universitaires et blogueurs, dont deux ressortissants saoudo-américains, qui avaient pris position en faveur des militantes jugées, selon des activistes. 

« C’est même un devoir d’essayer d'avoir un petit mot » ! On ne doute pas de la sincérité du motard français, mais un peu de décence et d’empathie envers les supplicié(e)s du régime saoudien ne serait pas de trop. Un peu de respect aussi pour les proches de Jamal Khashoggi, journaliste massacré pour s’être opposé par la plume au système saoudien.

L’attrait du gain

Mais à l’image des scandales de ventes d’armes par l’Occident ou des plans com de MBS, les intérêts et les milliards imposent leur logique. Car pourquoi le Rallye Dakar, cette lubie polluante et néocolonialiste, insiste-t-elle pour s’installer en Arabie saoudite ?

C’est d’abord pour l’argent, le profit, les pétrodollars. Ce 25 avril, dans la ville saoudienne d’Al Qiqqiya, les organisateurs de cette course annonceront officiellement les détails de cette compétition qui a eu la bénédiction des princes saoudiens.

« La vision et l’orientation de nos dirigeants nous ont permis de rêver sans limite et de porter le sport à travers le Royaume sur la route du succès. Aujourd’hui, nous sommes ravis d’annoncer que le Rallye Dakar, événement mondialement connu, va se dérouler dans le Royaume d’Arabie Saoudite pour la première fois », écrit sur le site officiel du « Dakar » le prince Abdelaziz ben Turki al-Fayçal, président de la Saudi Arabia General Sports Authority (GSA).

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 « Le soutien de Son Altesse Royale Prince Mohammed ben Salmane et la confiance du président de GSA ont été les clés qui nous ont permis d’obtenir les droits d’organisation d’un événement d’une telle ampleur », s’émeut de son côté le prince Khaled ben Sultan Abdallah al-Fayçal, président de la Saudi Arabian Motor Federation. 

« L’accord avec les autorités saoudiennes, qui porte sur les cinq prochaines années, permet aux organisateurs du rallye-raid de penser déjà aux parcours des prochaines éditions. Un futur tracé pourrait par exemple passer par Oman – où ASO [Armaury Sport Organisation, gérante du « Dakar »] organise le tour d’Oman (cyclisme) depuis 2010 – ou encore rallier l’Égypte qui avait déjà accueilli l’arrivée de l’épreuve en 2000 et en 2003 », révèle l’hebdomadaire français Le Point

L’organisateur principal du rallye-raid, Armaury Sport Organsiation (ASO) – qui détient le journal L’Équipe et qui gère le Tour de France de cyclisme, le Marathon de Paris, l’Open de France, etc. – tente, dans sa logique purement économique, de remonter la pente après les différentes mésaventures de la course en Amérique latine.

L’option saoudienne 

En janvier dernier, l’ex-directeur du « Dakar », Étienne Lavigne, déclarait à un journaliste : « On va retaper à la porte des pays qui ont accueilli le Dakar ces dix dernières années pour l’édition 2020 et si malheureusement il se confirmait qu’on retrouve les mêmes contraintes d’austérité, il faudrait trouver d’autres scénarios ailleurs et on a déjà des pistes ouvertes ».

« L’organisation du Dakar en Amérique latine était devenue compliquée, du fait notamment de la crise économique dont souffrent les pays de cette région du globe et des politiques d’austérité qui y sont mises en place. Ces pays rechignaient de plus en plus à débourser les sommes réclamées pour accueillir l’épreuve », décryptait le site de la radio Europe 1.  

Début 2019, Étienne Lavigne avait reconnu avoir établi « des contacts à très haut niveau » avec plusieurs pays africains, dont l’Algérie, la Namibie et l’Angola, selon le journaliste spécialisé Guillaume Jacquot.

« Un contrat de quinze millions de dollars par édition à la clé » 

- La chaîne d’information LCI

Ces options ayant été impossibles, apparemment, c’est sur l’Arabie saoudite que l’ASO a jeté son dévolu : le royaume a besoin de redorer son blason et multiplie les événements sportifs qui se veulent prestigieux (Supercoupe d’Italie de football, course automobile de Formule électrique) alors que l’ASO veut garantir la rentabilité du « Paris-Dakar ».

Par exemple, en terme de retransmissions télé, l’Arabie saoudite est plus avantageuse que les pays d’Amérique du Sud, comme l’explique Le Point : « Par rapport à l’Amérique latine, le décalage horaire sera bien plus favorable aux diffusions télévisées en France et dans les pays européens, là où le Dakar reste le plus populaire. Les arrivées pourront par exemple être diffusées systématiquement en direct, ce qui renforcera l’attractivité de l’offre sur le petit écran ».

Selon la chaîne française LCI, « la direction de la course a vu en l'option saoudienne une porte de sortie plus que convenable avec, selon plusieurs sources, un contrat de quinze millions de dollars par édition à la clé. »

« Les pétrodollars sont manifestement partout […] Il faudrait voir si les femmes, les personnes homosexuelles pourront participer au Dakar. Il faut que les droits fondamentaux soient défendus dans ce pays qui est bien loin de les respecter », estime Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme. Une question à envoyer aux organisateurs enthousiastes du « Paris-Dakar » désormais saoudien.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sortie le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
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